Le bouc émissaire

L’homme est fait de colère, de dépit et de profonde inquiétude, dit l’adage. Le Covid, même absent dans la population locale, a réveillé ses démons. Cet infiniment petit continue à peser sur tous les aspects de notre vie, dont notre porte-monnaie, et finalement à jouer avec nos nerfs. Et nous avons fini par être encore plus sceptiques, plus cyniques, plus méfiants et plus fragiles encore. Une fragilité qui nous rend plus aptes à envoyer les moins forts par-dessus bord plutôt qu’à ramer dans la même direction tous ensemble. Pourtant, nous sommes dans le même bateau, celui qui a tangué au plus fort de l’épidémie en mars dernier, celui qui menace à tout moment de sombrer si d’aventure le virus brisait les barrières ou si nous cédions à l’imprudence. Ainsi, il est difficile dans cet environnement hostile et incertain pour chacun de trouver le simé lalimier que prônait si joliment le regretté Kaya, qui nous rappelait à tout bout de champ l’urgente nécessité de vivre l’impossible unité. Malheureusement, le monde est fait de toute une ribambelle de pompiers pyromanes qui épuisent à petit feu le déjà si fragile espoir de cette union sacrée pourtant nécessaire pour sortir de l’ornière.

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En avril dernier, l’inactivité avait provoqué des élans de solidarité, des envies de se retrouver, même testés et masqués. Cette union sacrée, le monde hippique mauricien l’a vécue. Ensemble, main dans la main, quand il fallait convaincre les autorités de rouvrir le Champ de Mars, même avec les masques et sans public. Et tous avaient applaudi le calendrier pourtant démentiel prévu pour rattraper le temps perdu. Six mois après, pour nombre d’entre eux, le poids des échecs individuels commence à peser lourd et chacun s’arme comme il le peut pour se protéger de son incurie et désigne déjà des coupables pour des lendemains encore plus incertains. Comme souvent, dans ces cas-là, c’est l’arme des faibles qui est alors utilisée, celle de désigner un bouc émissaire. Et l’idéal, toujours, comme l’a écrit Guy de Maupassant, consiste à pointer du doigt l’étranger, pas celui de Camus.

Faut-il s’étonner que la charge contre le foreigner, qui est désormais considéré comme le coupable expiatoire de tous les problèmes du MTC, soit venue de l’entraîneur le plus volubile, celui-là même qui a souvent été rappelé à l’ordre pour dire tout haut ce que les autres pensent tout bas ? Il semblerait que les administrateurs tardent à le convoquer cette fois puisqu’ils sont eux-mêmes au bord de l’implosion avec un président contesté par une majorité de ses collègues par une motion de no-confidence qui dort pour l’instant dans les tiroirs et qui risque d’y rester vu les lobbies qui mettent la pression sur les contestataires. Les entraîneurs ont dans leur sillage enfourché leurs chevaux de bataille pour soutenir avec plus de véhémence le père de l’un des membres du fixtures committee qui se sont sentis insultés par un mail du CEO du MTC, le Sud-Africain, l’étranger visé, au point de démissionner de leur poste. Nous avons lu et relu cette lettre et nous cherchons toujours où se trouvent les insultes. Par contre y figure un appel nécessaire pour trouver avec les entraîneurs les moyens pour qu’il y ait plus de partants dans chaque course, car les enjeux sont en adéquation avec les partants. Plus il y en a, plus les parieurs parient. Si dire cela est mal, alors il faut tirer la ligne.

L’autre reproche qui est fait au CEO, c’est d’avoir réduit la qualité de l’entretien de la piste alors qu’il touche un salaire mirobolant. Et à ce titre, il serait responsable des claquages et des saignements des chevaux. Il n’y a malheureusement pas de statistiques fiables pour dire s’il y a plus de chevaux touchés de ces maux que les années précédentes, mais si la qualité de la piste est un facteur important, il faut signaler que les chevaux courent plus souvent cette année avec des espacements de temps moindres avec les doubles réunions qui se multiplient. Aussi parmi les chevaux touchés, il y a ceux qui avaient arrêté leur entraînement et qui l’ont repris plus abruptement pour retourner à la compétition.

Loin de nous l’idée de défendre le CEO du MTC, il est assez grand pour le faire, mais il faut faire justice aux faits qui sont implacables et à un environnement économique exceptionnellement difficile. Il faut aussi être juste sur les responsabilités des uns et des autres. Concernant les conditions de travail du CEO étranger — voulu par tous alors que l’on tirait à boulets rouges sur celui qui occupait la fonction à l’époque —, la faute

serait plutôt imputable aux administrateurs s’ils ont été trop généreux et auraient choisi le mauvais candidat. D’ailleurs, ils auraient déjà avoir dû faire un assessment sur son travail depuis qu’il est là pour jauger s’il a rempli sa tâche ou non et décider conséquemment sur son avenir. Ce n’est certainement pas le rôle des entraîneurs… À Turf Magazine, nous accueillons ce départ des représentants d’entraîneurs du fixture committee comme une bonne nouvelle, car nous avons toujours écrit qu’il s’agissait là d’un conflit d’intérêts caractérisé et nous précisons bien que c’est le principe qui était mis en cause et non les personnes.

Le Covid n’a pas fini de bouleverser le monde hippique, car même la quarantaine des nouveaux chevaux est aujourd’hui problématique. Ainsi, les différents arrivages de contingents de chevaux ne doivent pas partager le même centre de quarantaine. Il faut donc trouver des alternatives. Et comme elles sont peu nombreuses, l’allongement des jours de quarantaine de 19 à 40 jours a décuplé la problématique. Ainsi, une cinquantaine de chevaux demeurent en attente en Afrique du Sud puisque certains entraîneurs refusent de payer le surplus des frais d’un des centres disponibles, à Rs 68 000, alors que d’habitude ils utilisaient celui de Palma à Rs 6000. Une différence qui choque mais sans doute justifiée par la qualité des infrastructures et du service. Mais il n’y a pas que cela qui est en jeu, il y a aussi le fait que certains propriétaires ou entraîneurs souhaitent payer et acheter directement leurs chevaux, alors que selon les règlements en cours, toutes les transactions doivent être effectuées par et à travers le MTC, seul habilité à importer des chevaux.

Autant dire que nous ne sommes pas sortis de l’auberge et que le Covid continuera à peser lourd dans la balance du dérèglement qui anime le monde hippique mauricien en mode survie de ses paradoxes. Mais il y a aussi des causes intrinsèques à l’industrie. De tous les acteurs hippiques qui réclament fort justement plus de stakes money, en ce moment, combien parient aux courses ? Comment le font-ils, en cash ou à crédit ? Et comment font les turfistes qui ne veulent plus se rendre au Champ de Mars mais qui ne trouvent pas de fixed-on betting à part le SMSPariaz, dont les cotes défient la logique du bookmaking classique ? Ces parieurs-là ne se retrouvent-ils pas malgré eux entraînés dans le bookmaking clandestin ? Tout cela fait que des millions de roupies sortent du circuit officiel et légal. Ils font perdre 4,5% et 12% de cette somme au MTC et à l’État respectivement, ce qui se répercute lourdement sur les stakes money. Quand le Covid sera maîtrisé et que la bêtise retombera enfin, quand chacun retrouvera ses esprits, nous prendrons la vraie mesure de l’acte de trahison de tous ceux qui ont comploté en début de saison avec ceux qui assassinent nos courses. Les vrais acteurs des courses et du MTC doivent s’unir pour combattre le réel ennemi au lieu de se chamailler et chercher des boucs émissaires. Il faudrait peut-être descendre sur la piste et dénoncer l’étatisation des courses à travers la Gambling Regulatory Authority et son protégé… Eux ne sont pas des boucs émissaires, mais les véritables coupables.

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