Mortelle obsolescence

« De nos jours, rien ne dure ! » Une parole bien contemporaine que l’on s’entend tous, un jour ou l’autre, proférer çà et là, tant l’appétit féroce de notre société de consommation semble n’avoir aucune limite. Car pour se nourrir, et donc pouvoir continuer à fonctionner, le « système » a besoin de croissance. Avec une équation simple comme bonjour : plus l’on consomme, plus l’on produit; et plus l’on produit, plus l’on consomme. Générant au passage des milliards de milliards de bénéfices, et alimentant un système corrompu par la seule « denrée » trouvant grâce aux yeux de ceux qui le maintiennent en vie : l’argent ! Mais pour y arriver, ce même système se doit continuellement de créer de l’offre en innovant, en générant sans cesse de nouveaux (faux) besoins, dont nous ne pourrons plus nous séparer sans éprouver un cruel sentiment de manque énorme. Comme si notre vie en dépendait !
C’est aussi dans cette logique que les industriels auront mis en circulation – timidement au début, et de manière quasi-systématique plus tard – toute une gamme de produits obsolescents, que ce soit de par leurs matériaux ou leur programmation interne. Avec une seule finalité : obliger le consommateur à rapidement en changer et, ainsi, à continuer d’alimenter la poule aux œufs d’or que constitue notre puissante machine industrielle. Mais une obsolescence qui se veut également guidée par une autre réalité : notre durée de vie. En d’autres termes, l’obsolescence de l’homme, qui naît, vit, dépérit et, en fin de compte, finit toujours par disparaître. Autant dire qu’il s’agit d’exploiter les ressources de chacun d’entre nous autant que possible, mais aussi le plus vite possible.
Mais cette obsolescence trouve aussi (admirablement ?) écho dans le cœur même de notre système. Et ce, de deux façons, la première étant la manipulation des masses. Ainsi, dans L’Obsolescence de l’homme, paru en 1956, le philosophe allemand Günther Anders écrivait-il : « Pour étouffer par avance toute révolte, il ne faut pas s’y prendre de manière violente (…) Il suffit de créer un conditionnement collectif si puissant que l’idée même de révolte ne viendra même plus à l’esprit des hommes. » L’auteur y amène ainsi l’idée du formatage des individus, afin de les rendre, de différentes manières, plus dociles. Pour cela, « on fera en sorte de bannir le sérieux de l’existence, de tourner en dérision tout ce qui a une valeur élevée, d’entretenir une constante apologie de la légèreté; de sorte que l’euphorie de la publicité devienne le standard du bonheur humain et le modèle de la liberté ».
Mais cette obsolescence du système a aussi une autre interprétation, bien plus cruciale encore, car liée aux dangers qui nous menacent, et inhérents à notre propension à consommer. Car en pillant de manière exponentielle nos ressources depuis l’aube de l’ère industrielle, en dépouillant la Terre de biens qu’elle ne pourra renouveler en un court laps de temps géologique – voire jamais –, notre espèce, mais aussi des millions d’autres occupant le même espace de vie, semble bien partie pour précipiter sa propre extinction. C’est un fait : ce dangereux virage de notre développement que constitue le passage à l’ère industrielle aura été très mal négocié. À moins qu’il ne soit finalement que programmé dans l’ADN même de notre propre évolution. Auquel cas l’on pourrait alors penser que, tout comme notre existence individuelle, le pronostic vital d’une espèce « intelligente » – y compris peut-être extraterrestre – s’avérerait d’ores et déjà engagé dès lors que celle-ci accède à un certain niveau de développement, de compétences et d’exploitation de son environnement.
Pour autant, il reste peut-être une issue, laquelle doit impérativement d’abord passer par l’acceptation. Comme d’accepter que de revenir à une croissance soutenue lorsque nous serons débarrassés du virus (si nous y arrivons) constitue une aberration. Ou que notre bonheur passe irrémédiablement par ce que nous vendent nos marchands de dioxyde de carbone. Bref, accepter que le système, tel qu’il se présente encore aujourd’hui, n’est tout simplement plus soutenable en l’état. Alors peut-être mettrons-nous un terme définitif à cette mortelle obsolescence !

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