On l’avait surnommé Rambo

Qu’on le veuille ou non, qu’on le regrette ou pas, Sir Anerood Jugnauth a fait partie de nos vies pendant au moins un demi siècle. Pour une génération, il est le premier Premier ministre du pays qu’elle a connu. Apprécié ou dénigré, déifié – un courtisan zélé avait trouvé qu’il était « enn pli tigit ki bondié ! » – ou voué aux gémonies, il n’a jamais laissé indifférent. Sinon, aurait-il pu occuper le devant de la scène politique pendant aussi longtemps avec des périodes à son sommet et d’autres dans le carreau de cannes de la défaite ? Toujours avec cette énergie et ce flair politique qui consiste à savoir contracter les bonnes alliances stratégiques, même et surtout avec ses adversaires, au moment propice. Un flair politique qui lui a permis de remonter plus d’une fois au sommet, alors que ses adversaires pensaient avec soulagement l’avoir définitivement relégué dans la poubelle de l’histoire. On lui donna, au cours de sa longue carrière, pas mal de surnoms. Il aura été tout d’abord le Premier ministre du changement du MMM/PSM avant de devenir celui du MSM et, à partir de 1983 et du décollage économique du pays, le père du miracle économique mauricien. Il imposa un style de gouvernement efficace et rapide dans la prise de décision, tranchant avec le laisser-aller et le laisser faire du gouvernement précédent. Le tout avec des petites phrases qui sont entrées dans la légende politique comme « ar moi péna catacata », « ar moi zot dhal napa pou cuit », « ça ne peut plus se continuer » mais aussi « mo pou saute zot lédoigt ! » et enfin le « pas moi ça, li ça. » Sa franchise brutale et directe et ses succès économiques lui valurent un autre surnom ironique : Rambo. Certes, il n’a pas toujours pris les bonnes décisions. Il s’est parfois fourvoyé dans des alliances improbables dont il a payé le prix. Par amitié, par fidélité, il a protégé et défendu des proches qui ne le méritaient pas et usaient et abusaient des avantages du pouvoir. Il avait du caractère, qui devenait mauvais quand il était en colère, et trouvait des formules qui pouvaient être percutantes, blessantes même. Ses proches collaborateurs, et surtout ceux qui avaient déserté son camp, en firent souvent les frais. Il a eu parfois des mots très durs, insultants même pour ses adversaires, dont son frère. Mais dans le combat entre l’oncle et le neveu, avait-il le choix ? Sous sa carapace de Rambo, il avait, comme le commun des mortels, des sentiments et il lui arrivait d’être profondément blessé. Ce fut le cas quand après lui avoir fait quitter le Réduit, Paul Bérenger cassa l’alliance MSM/MMM pour s’allier avec Navin Ramgoolam. « Li souhaite moi bon anniversaire, Louloune met gato dans so la bouche et zis apres, li all vann moi ! », ne cessait-il de raconter.
SAJ avait beaucoup de défauts mais aussi certaines qualités, dont la capacité de reconnaître aussi bien sa défaite que certaines de ses erreurs. Il le démontra en décembre 1995 quand il se rendit à la télévision pour reconnaître sa défaite électorale et souhaiter bonne chance à son successeur. S’il réussit sa sortie comme un grand homme d’État, Navin Ramgoolam, qui refusa d’aller à la télévision le même soir que lui, rata son entrée. Cinq ans plus tard, j’ai été témoin d’une anecdote illustrant la capacité de SAJ de reconnaître ses erreurs. En mars 2000, mourait le militant Zeel Peerun, qui avait été ambassadeur de Maurice en Australie en 1982 et qui avait dû rentrer après la cassure de 1983. Avec la politique revancharde menée par le MSM à l’époque, Zeel Peerun ne put retrouver son poste au MSIRI et fut obligé de cultiver des légumes, dont du cresson, pour nourrir sa famille. Lors d’une rencontre avec SAJ, il demanda à re-intégrer son poste au MSIRI et celui qui était Premier ministre lui répliqua « vaut mieux to continié plante cresson. »
Et puis à la mort de Zeel Peerun, SAJ fait une déclaration pour déplorer la disparition de son « frère militant ». Pour dénoncer le double langage qu’avait eu SAJ dans ce cas précis, j’ai écrit un billet d’humeur en racontant l’épisode
« plante cresson ». Le hasard fit que quelques semaines plus tard, j’ai dû me rendre à la Caverne pour interviewer SAJ. Lady Sarojni vint m’ouvrir la porte en me demandant comment j’avais le toupet de venir à la porte de celui que j’avais insulté en inventant une histoire de cresson. J’étais sur le point de rebrousser chemin quand la voix de SAJ se fit entendre.
« Reste tranquille Louloune. Li napa finn invente sa kozé là. Mo ti dire Zeel Peerun vaut mieux li continié plante cresson ! » Je ne connais pas beaucoup de politiciens capables de faire ce que fit ce jour-là SAJ : reconnaître qu’il avait fauté.

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