Pour un saut qualitatif

Non, cela n’a que trop duré. Comme après chaque scrutin, c’est en ce moment la valse des nominations de conseillers en tous genres, de petits copains, de candidats battus, d’illustres inconnus récompensés pour services électoraux rendus. Comme pour le calendrier parlementaire, organisé et haché de manière qu’il n’y ait pas de séance le mardi et donc pas de Question Time, on va certainement dire qu’il y a eu pire avant et qu’il fut un temps, pas très lointain, où l’Assemblée nationale ne siégeait pas du tout pendant de longs mois. Ce type d’arguments ne peut plus tenir la route. C’est comme si, en 1982, le gouvernement aurait justifié l’abolition des élections générales au motif qu’un gouvernement précédent PTr-PMSD avait, lui, supprimé les municipales et les partielles. On ne peut pas constamment invoquer une ombre du passé pour justifier un oukase du présent.
On est en 2020. Cela ne se passe plus comme ça. On ne peut pas abuser des nominations politiciennes parce que, sous Ramgoolam, c’était la même chose. Et ce n’est pas la même chose, en plus, c’est pire. Si nous voulons d’un saut qualitatif, il va falloir faire des efforts pour qu’il y ait des professionnels à la tête des organismes publics et parapublics. Quelle que soit leur préférence politique. Ce qui nous est donné de voir ces jours-ci est tout sauf rassurant. La Banque centrale, qui est une institution indépendante et respectée dans les démocraties modernes, est devenue ici un outil politique au service du gouvernement. Renganaden Padayachy était le seul nominé vraiment politique extérieur en tant que Deputy Governor de la Banque de Maurice, le gouverneur lui-même, Yandraduth Googoolye, et Vikram Panchoo, le second gouverneur adjoint, étant, eux, issus de la maison, quand bien même leur désignation à ces postes a été teintée de patronage politique.
Maintenant que Renganaden Padayachy est devenu ministre des Finances, il semble que ses deux ex-collègues soient devenus subitement indésirables. Pourquoi ? En tant que cadres de carrière de la BOM, avaient-ils émis des réserves sur le transfert illégal des réserves de la Banque centrale au gouvernement pour qu’il diminue le service de la dette ? Ce sont des questions qui se posent et qui méritent clarifications. La BOM, ce n’est quand même pas un petit Trust Fund où on peut nommer le dernier tea boy du Sun Trust !
Autre régulateur capital qui a vu un agent politique être propulsé à sa tête comme président, en la personne de Bhooneswar Rajkumarsingh, c’est l’Independent Broadcasting Authority. Tout ce que l’on sait de ce monsieur, c’est qu’il a déjà été un président du conseil de district de Flacq. Ce qui le qualifie d’office, c’est qu’il a quitté le PTr pour le MSM. Voilà la nouvelle version de la méritocratie. Air Mauritius, c’est pareil. L’ICAC, c’est un organisme coûteux et peu performant qui prend des années pour conclure des investigations sur des proches de ceux qui ont nommé ses commissaires. Mais l’organisme qui bat tous les records de l’ingérence politicienne est bien la MBC. Quel cirque ! Digne de figurer dans le Guinness Book of Records tellement son histoire récente est burlesque. Et que répondront, cette fois, ceux qui ont organisé cette anarchie sans précédent dans l’histoire, c’est vrai, mouvementée du service public de l’audiovisuel ? Que des gouvernements précédents avaient, eux aussi, nommé quatre directeurs en quatre ans, qu’ils avaient inauguré un jeu très particulier de chaises musicales qui consiste à faire les présidents du conseil d’administration devenir directeurs généraux et des ex-chefs de département se transformer, en temps record, en directeur par intérim puis en consultant puis directeur général adjoint ?
Même la Public Service Commission et le Legal Government Service n’échappent pas à cette vampirisation politicienne, avec des présidents et des membres désignés sur une base qui est loin d’être neutre et apolitique. Il n’y a qu’à voir tous ces voyous recrutés comme policiers ces dernières années qui, aujourd’hui, sont nombreux à faire la une de la presse pour vol, drogue et même attentat à la pudeur sur mineure. Pendant la campagne électorale, il avait aussi été question de la création d’une Parastatal Bodies Service Commission. Bonne idée dans l’optique de recruter sur la base du mérite ceux qui veulent se joindre aux organismes parapublics, mais si c’est pour laisser le choix des recrues à des agents politiques qui ne peuvent tenir la pression des puissants du moment, cela ne servirait à rien, si ce n’est perpétuer un système pourri.
Un des moyens pour mettre un terme à cette politisation à outrance des organismes publics financés par l’argent des contribuables est la création de commissions parlementaires multipartites, à majorité gouvernementale, dont un Selection Committee qui aurait pour attribution de nommer leurs responsables lorsqu’ils ne sont pas recrutés sur appel de candidatures. Ce qui serait l’idéal. Comme nous l’avons déjà écrit ici même, ces personnes proposées à des postes sensibles dans le public pourraient être entendues par les membres du Selection Committee qui les interrogeraient sur leur projet et leur mission en vue de faire fonctionner les organismes qu’elles aspirent à diriger. Il serait aussi souhaitable que la proposition de Reza Uteem pour que la juridiction de l’Equal Opportunities Commission soit aussi étendue au service public soit entendue et retenue. Pour que les discriminations à l’embauche et les passe-droits lors des exercices de promotion puissent être réglés dans le strict respect de l’égalité des chances.
Moderniser, ce n’est pas que les projets à coups de milliards, c’est surtout insuffler plus d’efficacité, de rigueur et d’indépendance à nos institutions.

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