Well, well, well…

Certaines traditions ne changent pas. Si début d’année rime avec célébrations et vœux, voire avec pétards et feux d’artifice, elle rime aussi, très souvent, avec une volonté de se changer en mieux. Dans son édition du 2 janvier, le journal britannique The Guardian publie à ce titre une intéressante chronique de Margaret McCartney, qui exerce comme médecin généraliste à Glasgow, et qui écrit au sujet de « evidence-based medicine ». Sous le titre « The wellness industry is selling you the myth that a healthy life is expensive », Margaret McCartney déclare : « Ignore the wild claims for seaweed wraps and spin classes. Real wellbeing is about fun, fairness and relationships. »
Elle interroge ainsi le « wellbeing » qui, dans son acception « moderne », se définit en grande partie par la nécessité d’acheter quelque chose pour l’atteindre. Des hôtels « holistically upgraded » offrent des « wellbeing weekends ». Des employeurs peuvent acheter des corporate packages pour « workplace wellness », supposés augmenter la productivité et réduire le taux de congés maladie. Dans certains gymnases, on vous offre des « wellness vitamin shots ». Au total, un business à milliards basé sur régimes, compléments alimentaires et industrie du fitness. Certaines salles de gym, souligne Margaret McCartney, poussent la chose jusqu’au surréel, offrant de la cryothérapie (qui implique de se tenir dans un espace refroidi jusqu’à des températures extrêmement basses, pour supposément prévenir les signes de vieillissement), ou encore des tapis de course équipés de vaporisateurs d’oxygène supposés augmenter les performances.
Pour elle, les règles élémentaires du wellbeing sont simples : ne pas fumer, ne pas abuser de l’alcool, faire l’exercice qui vous plaît, avoir une alimentation variée qui privilégie les légumes et évite les produits transformés, voir des gens et avoir des activités. Face à cela, l’industrie du wellbeing a créé sa propre mythologie. Le wellbeing est ainsi présenté comme « quelque chose de compliqué, complexe, difficile à atteindre et meilleur s’il est acheté », le tout requérant des « gourous » pour y avoir accès. Tout cela transforme quelque chose qui est clair et direct, c’est-à-dire un mode de vie sain, en un « complicated consumerist mess », selon les termes de Margaret McCartney.
Certes, dit-elle, régimes et exercice sont importants. Une étude publiée dans la revue scientifique médicale britannique The Lancet en 2017 montre que plus d’activité physique était associé à une vie plus longue et à moins de crises cardiaques et d’attaques cérébrales. Mais l’activité physique ici inclut la marche et l’accomplissement des tâches ménagères, pas seulement l’exercice dans une salle de sport. En d’autres mots, vous n’avez pas besoin de vous attacher à un tapis de course pour être en forme, insiste Margaret McCartney. Qui cite aussi à l’appui une étude publiée récemment dans le British Journal of Sports Medicine, qui affirme que courir, même une seule fois par semaine, est mieux que de ne pas courir du tout, mais que des rythmes plus soutenus ne sont pas nécessairement associés à des gains supérieurs par rapport à la mortalité. En d’autres mots, insiste-t-elle, il n’est pas nécessaire d’être obsessionnel : un peu d’espace, une paire de chaussures de sport et un peu de temps sont peut-être tout ce dont nous avons besoin. Sans pour cela dépenser des sommes folles, que pour gagner nous devons travailler davantage, négliger nos familles et relations sociales, et notre réel… wellbeing.
Même chose pour l’industrie des régimes alimentaires. Certes, dit Margaret McCartney, la perte de poids est centrale dans le traitement de certaines affections. Et des études montrent que la consommation de céréales complètes, de fruits et légumes et d’huile d’olive sont associés à une meilleure santé. Mais gare, dit-elle, à ce que la notion du plaisir de manger n’en devienne quasiment immorale…
Pour elle, le pire avec les incarnations modernes du wellbeing est qu’elles placent la responsabilité de la santé sur l’individu, à travers un marché commercial. Or, il faudrait aussi que l’environnement dans lequel nous vivons soit conçu pour optimiser notre santé, ce qui n’est souvent pas le cas. Ainsi, jouer dans la rue, ce qui permettait de faire de l’exercice en s’amusant, est devenu une quasi-impossibilité, les droits des voitures à occuper l’espace public ayant surclassé celui des enfants. Pistes de marche, pistes cyclables, accès à une alimentation saine sans que le « bio » ne revienne qu’aux plus fortunés, possibilité de travailler dans des conditions plus respectueuses de l’humain et de ses rythmes : tout cela procède du wellbeing. De fait, nous devons, dit-elle, retourner notre compréhension du wellbeing, pas comme une chose qui concerne l’individu, mais qui concerne des populations. Car, pour Margaret McCartney, « real, societal wellness is about fairness, public responsibility, science and evidence. »
À méditer, à l’heure où les autorités locales font passer par la force un métro express supposé nous apporter du wellbeing, qui, faute d’études, de concertation et parfois même de bon sens, bouleverse ce même wellbeing dans des proportions qu’aucun tapis de course à oxygène ne permettra jamais de compenser…

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SHENAZ PATEL

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