Lundi dernier, 5 mai, le pays-Maurice a été à l’arrêt pendant toute une journée suite à l’émission d’un avis de pluies torrentielles. Établissements scolaires fermés ; bureaux de la fonction publique, puis du privé fermés après un énorme cafouillage ; banques fermées ; supermarchés, boutiques, restaurants, stations-service fermés. Un curieux air de période COVID. L’activité en suspens alors que… alors que dans la majeure partie de l’île, malgré un ciel couvert, pas une goutte de pluie n’est tombée…
On pourra, sans doute, argumenter sur la difficulté à prédire le temps sur une île-tête d’épingle au milieu de l’océan, difficulté qui s’accroît avec le changement climatique et tous les imprévus qu’il entraîne.
Mais quand même…
Il y a ceux qui pestent en faisant valoir qu’il y a quelques années, l’occurrence de fortes pluies n’empêchait pas d’envoyer à l’école des enfants jamais morts d’avoir été un peu trempés en chemin. Mais justement. Entretemps, il y a eu des morts.
L’île Maurice, clairement, est restée profondément traumatisée par les événements du 30 mars 2013. Un jour où Port Louis accueille l’affluence animée des samedis matins, lorsque des pluies imprévues s’abattent sur la capitale avec une soudaineté et une intensité qui créent la panique et le chaos. En à peine 90 minutes, 152 mm de pluie sont enregistrées, suscitant des inondations qui font 11 morts (6 dans le très fréquenté tunnel du Caudan et 5 autres en divers lieux de la capitale.)
Nous ne nous en sommes manifestement toujours pas remis. Et l’épisode du 15 janvier 2024 est venu en remettre une épaisse couche. Ce lundi-là, alors même que toutes les cartes satellitaires montraient que nous ne pourrions manquer d’être affectés par les importantes bandes nuageuses entourant le cyclone Belal, le gouvernement décide, malgré tout, de jeter sur nos routes des centaines de milliers d’employés. Avant d’émettre en catastrophe, à midi, une alerte rouge de niveau 3 appelant à regagner d’urgence son domicile. Mais le mal est fait : des images spectaculaires qui iront jusqu’à faire la une de certains JT en France montrant les rues de Port-Louis, aux alentours de La Poudrière et de la Chaussée, englouties par des torrents d’eau boueuse, des personnes paniquées tentant de grimper sur le toit de leurs voitures emportées par les eaux. Au-delà des deux morts enregistrées à cette occasion (deux motocyclistes), des milliers de Mauricien-nes ont vécu le traumatisme de se retrouver piégé-es sur nos routes, craignant pour leur vie.
Qu’avons-nous fait de cela par la suite ?
Le directeur de la météo a été poussé à la démission.
Un nouveau système hyper cafouilleux a été mis en place avec une formule d’alertes de « veille de forte pluie », voire d’ « avis de veille de fortes pluies », puis « d’avis de pluies torrentielles », tout un galimatias risible s’il n’était à ce point confus, inapproprié, voire dangereux.
Le traumatisme profond de cette histoire, lui, n’a pas été abordé, encore moins traité.
Et nous oscillons entre le louable principe de précaution et le ridicule d’un pays à l’arrêt sous un ciel tout juste nuageux.
Et nous continuons à ne pas remettre en question un « devlopma » qui continue à bétonner à tout va, avec une urbanisation plus anarchique que planifiée. Nous continuons à ne pas soumettre la délivrance de permis de construire à des critères sociaux et environnementaux plus stricts.Nous continuons à nous contenter d’un système de drainage des eaux de pluie clairement dépassé et inadéquat, voire à obstruer l’existant.
Et nous restons figés dans un système qui, cette semaine, a encore exposé le paradoxe d’un fonctionnement à deux vitesses, renvoyant les fonctionnaires à la maison, mais laissant au secteur privé de décider pour ses employés.
Cet épisode a aussi mis en lumière une tension au niveau du gouvernement, le ministre de la Sécurité Sociale, Ashok Subron, ex-négociateur syndical, intervenant vigoureusement pour que Business Mauritius donne le mot d’ordre pour libérer ses employé-es, là où son collègue ministre du Travail se montrait moins déterminé. Une remise en question partielle du rôle d’un « secteur privé » qui est par ailleurs en train de déployer, partout à travers notre pays, des projets de construction, de villas, d’hôtels, de terrains de golf, de complexes commerciaux, qui portent gravement atteinte à notre intégrité environnementale et, au bout du compte, à notre vie même sur notre territoire.
On ne peut plus se contenter de dire qu’avant, on n’avait pas peur de sortir à la moindre pluie. Avant, la réalité et les dangers qui en découlent n’étaient pas les mêmes qu’aujourd’hui. Avant, nous n’étions pas confrontés à la réalité d’une urgence climatique qui génère des flash floods dévastateurs, des méga-cyclones. Avant, notre territoire n’était pas à ce point bétonné, rendant difficile l’absorption et la canalisation d’eaux de pluie excessives.
L’urgence est plus que jamais là. Mais que faisons-nous pour réfléchir à une politique intégrée et mettre en œuvre les travaux et mesures urgemment nécessaires pour protéger notre territoire, nos vies ?
Le paradoxe absolu, c’est que cet épisode de lundi dernier a entraîné la brusque interruption de la deuxième journée d’une conférence internationale qui se tenait à l’hôtel Ravenala à Balaclava, sur le thème : Sustainability and Climate Change – An Urgent Call for Collaborative Action. Une conférence qui avait pour objectif de renforcer la coopération entre les secteurs public et privé autour des enjeux climatiques à Maurice. La deuxième journée de débats était très attendue par les participants car elle avait trait au financement du climate reporting. Mais elle a été interrompue par mesure de précaution, après l’émission d’un communiqué officiel sur de possibles flash floods par les autorités météorologiques. Alors qu’aucune pluie n’affectait Balaclava. Ce qui a amené le ministre des Technologies de l’information, Avinash Ramtohul, à déclarer que cette situation illustre « la vulnérabilité croissante des événements économiques et scientifiques face aux aléas climatiques ».
Mais que fait-on concrètement par rapport à cela ?
Ailleurs, la ville de Copenhague au Danemark offre un exemple intéressant de réflexion et d’action. L’évolution du climat est un grand sujet de préoccupation dans ce pays où l’on prévoit jusqu’à 70% d’augmentation des pluies et une montée des eaux de mer de 42 cm en moyenne d’ici 2100. En réponse, la ville, qui attire plus de 1,000 habitants supplémentaires chaque mois, travaille à la création de quartiers durables, adoptant une méthode souple et créative en matière d’urbanisme, et une planification concertée. Copenhague a aussi mis en place notamment le projet Cloudburst, ensemble d’infrastructures pour gérer les eaux de pluie, avec un réseau de tunnels souterrains de drainage, des bassins de rétention, des espaces verts, de l’asphalte perméable, des toitures végétalisées. Elle utilise par ailleurs, pour la rénovation de ses bâtiments, du plâtre d’argile et une isolation en blocs de chanvre, éléments qui, regroupés, stockent plus de CO2 qu’ils n’en émettent.
« La capitale danoise n’offre pas un modèle clé en main, mais une méthode de travail : un urbanisme qui s’adapte en permanence. L’idée étant de permettre des plans plus détaillés au fur et à mesure de l’avancement du projet, pour laisser la place à de nouvelles connaissances et innovations en matière d’environnement, de mobilité et de matérialité », explique le magazine Ideat qui lui consacre un dossier en ce mois de mai. Insistant sur le fait que Copenhague n’offre pas un modèle, mais une boussole. Et concluant : à chaque ville de trouver sa propre direction.
Trouverons-nous la nôtre, pour échapper à une situation qui nous vaut aujourd’hui de nous retrouver prisonniers de notre « devlopma », confinés dans nos maisons à la moindre éventualité de pluie ?
SHENAZ PATEL