Au large de Pointe d’Esny – Au 21e jour : MV Wakashio : phase cruciale et délicate !

L’assurance erronée de la Salvage Team à l’effet que « there will be no oil spill » fait qu’au moins 13 villages côtiers se retrouvent en situation de détresse écologique et économique
En fin de semaine, une superficie de 27 kilomètres carrés de mer allant du Blue Bay Marine Park à l’île-aux-Cerfs sous la menace des Oil Slicks émanant du Bulk Carrier naufragé

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Déjà trois semaines que le MV Wakashio, vraquier nippon battant pavillon panaméen, avec un dead weight de 203 103 tonnes et mesurant 300 mètres de long et 50 mètres de large, est immobilisé sur les récifs à quelques encablures du rivage de Pointe d’Esny. Mais avant même le naufrage d’hier après-midi, le désastre écologique, avec un peu plus d’un millier de tonnes de fioul de la soute du bateau déversé dans la mer, se vit comme un cauchemar au quotidien le long de la route côtière allant de Mahébourg à Poste La Fayette. Certes, les premières analyses des experts, notamment ceux faisant partie de la Socio-Economic and Environmental Impact Evaluation Team, menée par la Resident Coordinator des Nations unies, Christine Umutoni, soulignent la gravité des conséquences de la marée noire pour les communautés vivant sur la côte. Mais toute l’équation du MV Wakashio fait remonter à la surface la stratégie d’attente adoptée par les autorités dès le lendemain de l’incident de la soirée du 25 juillet. Jusqu’au 13e jour, l’hôtel du gouvernement s’est contenté de dormir sur ses deux oreilles après avoir écouté les spécialistes de la Salvage Team répétant ad nauseam quotidiennement et comme un mantra « there will be no oil spill ».

L’assurance erronée attribuée à la société Salvage Smit des Pays-Bas fait que la potentielle bombe à retardement, représentée par la présence à bord de 3 894 tonnes de fuel oil, 207 tonnes de mazout et 90 tonnes de lubrifiant s’est manifestée de manière insidieuse et irrémédiable dès le jeudi 6 août. La conséquence est qu’entre 800 tonnes et un millier de tonnes de fioul sont venues polluer le lagon du sud-est, causant la plus importante catastrophe écologique en générant dans le sillage de graves problèmes sur le plan socio-économique pour les habitants de ces différentes agglomérations vivant principalement des produits de la mer.

D’ailleurs, le Pr Christian Bueger, directeur de SAFE SEAS et Pr de Droit international à l’université de Copenhague, se permet de se demander dans une chronologie des faits que « the devastating oil spill that wreaked havoc on Mauritius’ coastline raises the question of whether the response by the government was appropriate. Was the country unprepared for a disaster of this scale ? Were officials over-confident or misjudged the risk ? » Aux enquêtes envisagées d’apporter l’éclairage voulu à ces zones d’ombre.
Depuis jeudi dernier, Lakwizinn du Prime Minister’s Office se gargarise du fait que « le pompage de fioul a été complété ». Mais toujours est-il que sur le terrain, pour ne pas dire sur la mer, la hantise de la marée noire est intenable. Pas plus tard qu’hier matin, les membres du National Oil Spill Coordinating Committee, instance qui s’est réunie d’urgence, tentaient de résoudre un casse-tête : que se passera-t-il en termes d’oil slicks, avec ce qui restait à bord, notamment dans les salles des machines, au cas où le MV Wakashio se brisait en mer ? Dans une tentative de limiter les risques d’une deuxième vague de marée noire, les autorités avaient soupesé l’option d’un remorquage à risques du vraquier encore plus au large (voir détails plus loin).

Avec les premières analyses de la situation, à partir des données enregistrées par satellite, la zone sinistrée délimitée couvrait jusqu’en fin de semaine une superficie de 27 kilomètres carrés de l’océan avec la côte partant au sud du Blue Bay Marine Park à Poste La Fayette au nord, considérée comme étant sous « potential threat » (voir carte plus loin). Les appréhensions gagnent en intensité non seulement à Maurice, mais aussi à l’étranger. Ainsi, la France, qui a dépêché des experts de même que des équipements d’urgence à Maurice depuis le week-end dernier, délègue aujourd’hui son ministre de l’Outre-Mer, Sébastien Lecornu, pour un constat des lieux et des discussions avec le Premier ministre, Pravind Jugnauth.

Toujours ce week-end, le Japon, par le truchement de son ministre de l’Environnement, Shinjiro Koizumi, a signifié son intention d’envoyer à Maurice dans les meilleurs délais « a team of environment ministry officials and specialists to respond to the oil spill. » Maurice tient les armateurs nippons, soit la Nagashiki Shipping Co. Ltd. et Mitsui OSL Lines, pour responsables de cet « ecological disaster with the consequences still unfolding. »
Pour sa part, le secrétaire général des Nations unies, Antonio Gutteres, n’a pas manqué de faire allusion au naufrage du MV Wakashio en fin de semaine. Dans une note aux correspondants accrédités au QG de l’ONU à New York, il fait ressortir que « an oil spill would have catastrophic environmental and humanitarian consequences, including destroying livelihoods and shutting down Hodeidah port, a vital lifeline for millions of Yemenis who depend on commercial imports and humanitarian aid », tout en ajoutant que « the tragic Beirut explosion on August 4 and the recent alarming oil spill in Mauritius from a Japanese bulk carrier demand the world’s vigilance and urgent action to avert preventable loss of life and livelihoods where possible ».

Avec l’environmental emergency décrétée par le gouvernement, l’International Organization for Migration (IOM), faisant partie de la Socio-Economic and Environmental Impact Evaluation Team des Nations unies, se mobilise « to deliver technical support and expertise to help the government mitigate the risks and impacts of the evolving ecological crisis on the people’s livelihoods and address displacement challenges. »
Céline Lemmel, Head of Office de l’IOM à Maurice et aux Seychelles, balise les enjeux dans la conjoncture, en affirmant que « though we must focus our efforts on the immediate response, long-term impacts on these vulnerable communities and livelihoods should also be critically assessed ».

En parallèle, la Commission Africaine des Droits Humains, s’appuyant sur les articles 21 et 34 de l’African Charter, est montée en première ligne pour rappeler à l’État ses obligations dans cette situation de catastrophe environnementale. « The Commission calls on the Government of the Republic of Mauritius to provide prompt and full information to the affected communities, including about the implications of the oil spill for their health and safety, and to provide them with appropriate and adequate support in coping with the effects of the oil spill including on their health, food and sources of livelihood, including the provision of full, prompt and effective compensation for the consequences of the environmental damage », réaffirme un communiqué émis en fin de semaine de Banjul, Gambie.

Premières démarches enchenclées

Du côté de l’hôtel du gouvernement, en fin de semaine, les premières démarches ont été enchenclées pour constituer le dossier en vue des réclamations à être logées contre les armateurs nippons, soit la mise en place d’une plateforme en ligne. Cette formule vise à faciliter la soumission de réclamations de ceux ayant subi des pertes ou dommages extérieurs au navire causé par la contamination survenant à la suite d’une fuite ou d’un écoulement des hydrocarbures de soute du navire.

Dans cette perspective, le ministère de l’Économie bleue, des Ressources marines, de la Pêche, et de la Marine confirme par voie de communiqué que « l’État mauricien tient le propriétaire du navire et l’assureur responsables des pertes et dommages extérieurs au navire causés par la contamination résultant d’une fuite ou d’un écoulement des hydrocarbures de soute du navire, le coût relatif aux mesures préventives entreprises, et a l’intention de demander une indemnisation pour ces pertes et dommages au propriétaire du navire et à l’assureur. »

Toutefois, toujours en ce qui concerne les réclamations, le chiffre de Rs 40 milliards (un milliard de dollars) par le quotidien nippon, le Japan Times, en fin de semaine, pourrait ne pas se matérialiser, car le naufrage ne concerne pas un pétrolier, mais un vraquier. Ce qui pousse Regina Asariotis et Anila Premti de la Conférence des Nations Unies pour le Commerce et le Développement (CNUCED) à soutenir que « unfortunately, the very comprehensive international regime on liability and compensation for oil pollution damage caused by persistent oil spills from tankers (IOPC-FUND regime) does not apply in this case. »

Ces deux spécialistes de la CNUCED arrivent à la conclusion que « regarding the oil spill in Mauritius, if the gross tonnage of the vessel is, as reported 101 932 GT, then any liability for the incident under the Bunkers Convention would be capped at an overall maximum of about 46.19 million SDR ($ 65.17 million). »

En tout cas, la question qui reste posée dans cette conjoncture délicate, avant même que les causes de cette catastrophe écologique ne soient élucidées, demeure « whether the compensation available under the Bunkers Convention would be adequate to cover the costs and losses as well as the environmental damage in Mauritius remains to be seen »…

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