La phrase a fait cette semaine le tour d’une partie du monde en plusieurs langues : « S’il y a les sales connes, on va les foutre dehors ». Des mots filmés de la bouche de Brigitte Macron, épouse du président de la République française Emmanuel Macron, dans les coulisses de la salle parisienne des Folies Bergères. La « première dame » s’y était rendue alors que le comédien et humoriste Ary Abittan s’apprêtait à monter sur scène ce dimanche 7 décembre. Une visite de clair soutien, alors que la veille, quatre militantes féministes appartenant au collectif #NousToutes avaient interrompu le show de l’humoriste en scandant « Abittan violeur ». Initialement publiée par Public, cette vidéo est vite devenue virale.
Les accusations qui pèsent sur Ary Abittan datent d’octobre 2021. À 3h du matin, une jeune femme âgée de 23 ans débarque aux urgences médicales dans un visible état de choc, accusant l’humoriste qu’elle voyait depuis quelques semaines de lui avoir imposé une sodomie dans son appartement parisien du VIIIe arrondissement. Placé en garde à vue pendant 48 heures, Ary Abittan est ensuite mis en examen pour viol. Mais nie toute violence.
Des expertises médico-légales établissent la présence d’hématomes et de plaies vives dans le vagin et l’anus de la plaignante, ainsi qu’un trauma au coccyx. Et la présence du sang de la jeune femme sur une serviette de bain saisie au domicile d’Ary Abittan semble bien aller dans le sens d’un rapport sexuel violent. Mais en juillet 2023, de nouveaux éléments sont apportés au dossier, éléments qui, selon les juges, sont « de nature à affaiblir la valeur probatoire des indices initialement retenus ». Parmi ces éléments, des témoignages d’ex « petites amies » d’Ary Abittan le décrivant comme un « partenaire respectueux », et des expertises psychiatriques et psychologiques qui « ne relèvent pas d’éléments de personnalité en faveur d’une sexualité déviante ou de pulsions sexuelles agressives ». Les juges avaient en conséquence estimé qu’il ne « ressortait pas de l’information judiciaire d’indices graves ou concordants en faveur d’acte de pénétration sexuelle imposée par violence, contrainte, menace ou surprise ».
Ary Abittan est dès lors placé sous le statut de témoin assisté. Un non-lieu est finalement prononcé le 3 avril 2024. La plaignante fait appel de cette décision de justice, mais le 30 janvier 2025, la justice a confirmé le non-lieu.
En termes légaux, le non-lieu ne signifie pas que la justice estime que les actes dénoncés n’ont pas existé ou que la plaignante a menti, mais qu’aux yeux du juge d’instruction, il n’y a pas suffisamment d’éléments pour renvoyer ce dossier devant une cour criminelle. Selon les chiffres du ministère français de la Justice, en 2024, sur les 4 863 mis en cause dans une affaire de viol ou d’agression sexuelle, un quart (24%) a fait l’objet d’un non-lieu. Une situation dénoncée par le collectif « Nous Toutes », qui juge notamment que les charges de preuves imposées aux plaignantes dans ces « infractions de l’intime » qui se déroulent en général en huis clos leur sont trop souvent défavorables. D’où la manif au spectacle d’Ari Abittan. Et l’intervention de Brigitte Macron les traitant de « sales connes ».
Dans une stratégie dite de retournement du stigmate, la phrase a vite été saisie par des féministes un peu partout. On prend l’insulte, on se l’approprie et on la renvoie comme revendication. Comme lorsque, en 1968 déjà, l’activiste américaine Jo Freeman lance son « Bitch Manifesto » en réponse à ceux qui traitent les féministes de bitch. Ou, cette année, lorsque des jeunes femmes traitées de « tana », nouvelle expression pour dire « un peu putes », réagissent en créant sur les réseaux un pays virtuel qu’elles baptisent fièrement Tanaland…
Des décennies de lutte féministe ont amené des avancées, somme toute très récentes : droit de vote, droit d’ouvrir un compte en banque, droit de décider de sa procréation. Mais il reste encore tant à faire. Partout dans le monde, y compris dans les pays dits « développés », une chose en apparence aussi « évidente » que le principe de travail égal salaire égal ne s’applique toujours pas. À travers le monde, les femmes sont encore considérées et traitées comme des proies, violentées, tuées par milliers chaque jour parce qu’elles sont des femmes. Le festival du film au féminin qui s’est tenu à Maurice cette semaine après La Réunion donne à voir, dans le film Muganga, toute l’horreur de l’utilisation du viol des femmes comme arme de guerre, notamment en République Démocratique du Congo, où le Dr Mukwege, le médecin qui a « réparé » plus de 90 000 femmes suppliciées, se désole de ne pas arriver à faire reculer cette terrible pratique malgré le coup de projecteur porté par le Prix Nobel de la Paix obtenu en 2018.
Aujourd’hui, l’expansion des réseaux sociaux notamment amène un développement encore plus large de la parole et de l’action féministe. Et cette parole s’exprime avec une rage de plus en plus revendiquée, face à des choses qui n’avancent pas, voire qui reculent. « Nous avons quand même été très patientes », soulignait au cours de ce même festival du film Andréa Bescond, réalisatrice du film Les chatouilles, où elle raconte les viols subis enfant du fait d’un ami de ses parents.
Face à cette détermination qui se dit et se vit de façon de plus en plus large et affirmée, certains développent un masculinisme de plus en plus agressif. « J’ai peur », a gloussé Ari Abittan face à Brigitte Macron en référence aux manifestations de féministes contre la tenue de ses spectacles. « Les hommes ont peur que les femmes se moquent d’eux. Les femmes ont peur que les hommes les tuent », dit l’auteure Margaret Atwood. Ce qui résume bien l’asymétrie totale qui existe entre les deux axes, alors que certains tentent de faire valoir que si les femmes ont droit au féminisme, alors il ne devrait pas y avoir de problème à ce que les hommes aient le masculinisme. Sauf que là où le féminisme prône l’égalité des droits, le masculinisme prône le rétablissement d’une hiérarchie viriliste dont l’objectif revendiqué est de réaffirmer le pouvoir des hommes remis en cause par le féminisme, à commencer par le pouvoir sur le corps des femmes. « Your body, My choice », proclame sans vergogne un masculiniste sur les réseaux sociaux…
Partout, les femmes continuent d’avancer malgré les obstacles. Cette année, les données montrent que l’entrepreneuriat féminin sur le continent africain atteint des sommets inégalés à l’échelle mondiale : près de 60% des petites et moyennes entreprises (PME) à travers l’Afrique aujourd’hui sont dirigées par des femmes. Preuve de la résilience de femmes qui, loin de se contenter de participer à l’économie, la propulsent et contribuent significativement au produit intérieur brut (PIB) du continent.
À Maurice, Natacha Boodhoo, qui se présente volontiers comme « la fée du recyclage », a monté récemment le projet Resilience. Au-delà des déchets et meubles qu’elle recyclait et relookait dans son atelier The Womb Creations, cette artiste dit avoir voulu recycler les traumas et les émotions. Et présenter, dans une chanson et un clip, l’histoire vraie de 7 femmes résilientes face à la violence. « Pou ki ansam nou servi enn zouti ki bien souvan nou per pou nou servi : nou lavwa ». Pour cela, elles ont été épaulées par 4 hommes réunis au sein de Nula Groove. L’un de ces hommes, l’auteur-compositeur-interprète et sculpteur Harry Bouf, raconte qu’après avoir écouté ces femmes, il est allé lui-même parler à sa femme, à ses filles, à sa mère. Et découvert qu’il y avait tant de choses qu’il ignorait. Ce à quoi fait écho un autre de ces hommes, l’artiste Bleck Lindor, lorsqu’il dit : « Le combat continue, li pa depann lor enn dimounn, li depann lor tou dimounn ki pe respire lor later ».
En 2014, l’auteure américaine Roxane Gay, dans son ouvrage Bad feminist, faisait ressortir la nécessité d’embrasser toutes les nuances du féminisme, et de faire, chacun-e à son niveau, les petits et grands choix susceptibles d’amener un vrai changement. C’est aussi ce que disent les « sales connes » de partout : il ne peut être envisagé de retour en arrière sur les droits humains fondamentaux des femmes. À commencer par ceux ayant trait au respect de leur intégrité physique, mentale et morale. Who’s bad there ?
La phrase a fait cette semaine le tour d’une partie du monde en plusieurs langues : « S’il y a les sales connes, on va les foutre dehors ». Des mots filmés de la bouche de Brigitte Macron, contre les militantes féministes ayant manifesté contre le comédien et humoriste Ary Abittan, récemment accusé de viol avant d’obtenir un non-lieu. Les « sales connes » de partout disent pourtant une chose claire : il ne peut être envisagé de retour en arrière sur les droits humains fondamentaux des femmes. À commencer par ceux ayant trait au respect de leur intégrité physique, mentale et morale… Dans un monde où le viol continue à être utilisé comme atroce arme de guerre, comme le montre la projection cette semaine du film Muganga. Who’s bad ?

