C’est ça, le changement ?

Et c’est reparti pour un nouvel épisode du feuilleton de la cassure d’abord brandie comme une menace, ensuite retirée après une ou des réunions de discussion où chaque protagoniste fait des concessions, conclut un accord annoncé, pour être finalement remis sur le tapis avec des menaces de démission. On nous avait assuré – et nous avons eu la faiblesse de le croire – que Paul Bérenger et Navin Ramgoolam avaient changé. Nous voulions croire que leur traversée du désert dans l’opposition avec une atmosphère de menace permanente brandie par le MSM et ses alliés aurait poussé ces deux leaders à, l’un, mettre un frein à ses revendications et, l’autre, un accélérateur dans son moteur interne pour offrir aux Mauriciens un pays apaisé après des années d’affrontements politiques. On pensait qu’ils voulaient, l’un et l’autre, entrer dans l’histoire par la grande porte en mettant de côté tout ce qui pouvait diviser pour privilégier ce qui peut et doit rassembler. On avait même espéré que l’arrivée de Résistans ek Alternativ dans l’Alliance allait obliger les deux vieux leaders à accepter les idées de cette jeunesse qui est majoritaire dans le pays. Mais le pouvoir porte en lui les germes de la division et des affrontements, et sait faire revenir au galop le naturel que l’on a essayé de camoufler. Résultat : un an après cet énorme élan qui a secoué, dans le bon sens, le pays, et l’a poussé à donner sa confiance en plébiscitant l’Alliance du Changement, nous sommes revenus au point de départ qui pourrait se transformer en point de rupture d’une alliance PTR/MMM. Comme la précédente, elle est née dans l’enthousiasme partagée pour rapidement s’enliser dans la méfiance, les coups tordus, les conseillers privilégiant l’affrontement ouvertement au dialogue et le renfermement de chacun dans ses ghettos. Rapidement, des clans se sont formés autour des leaders pour leur conseiller des stratégies allant vers la rupture pour montrer « kisenla veritab mari dans sa lalians la. »
Et nous voilà en train de revivre le remake des alliance PTr/MMM, la mauvaise partie, celle où les réunions de conciliation se suivaient et se ressemblaient, et au cours desquelles on tournait à chaque fois une nouvelle page jusqu’à finir le livre. Nous sommes en train de revivre ce climat malsain où leaders et membres de partis politiques, pourtant engagés dans une alliance, se regardent en chiens de faïence. La différence c’est qu’hier, l’alliance PTr/MMM était dans l’opposition, engagée dans la conquête du pouvoir, et qu’aujourd’hui, elle l’a obtenu, ce qui change totalement la donne. On ne se bat plus pour arriver au pouvoir, on s’affronte pour le conserver, pour disposer de la meilleure part avec, des deux côtés, des partisans qui revendiquent leur récompense et qui ne seraient pas mécontents de pouvoir augmenter, par une cassure, leur part du gâteau à partager. On pensait qu’après leurs échecs respectifs, les leaders seraient à même de contenir leurs troupes, d’imposer une certaine retenue, et allaient plus privilégier le collectif à l’individuel, la notion du pays à celui de parti. C’est le contraire qui est en train de se produire. Soumis à toutes sortes de pressions, les leaders sont en train de se laisser haper par des conseillers qui ne parlent que de rapport de force, de majorité au Parlement, et d’augmenter le contrôle sur les institutions de la République. En plaçant leurs gens, en les récompensant moins pour leurs compétences que pour services politiques rendus, à des postes de responsabilités. En faisant exactement ce qu’on a reproché pendant dix ans au MSM et à ses alliés, et qui aujourd’hui provoque un ralentissement – pour ne pas dire un boycott -– de la machine administrative.
Le Mauricien avait voté massivement pour un changement en profondeur, une rupture avec ce qui était mauvais dans le passé. Avec ce qui se passe aujourd’hui, il n’a obtenu qu’un changement d’hommes, pressés de prendre la place, les avantages et les privilèges de ceux qu’ils ont chassés du pouvoir. Le reste n’est que du mauvais cinéma destiné à provoquer des réactions, de l’émotion, de l’adhésion politique, pas de solutionner les vrais problèmes du pays. Peut-on dire que la déclaration de Paul Bérenger, sur toutes les radios – qu’il a pris la décision de casser l’Alliance et qu’il a l’intention de l’annoncer lundi à une réunion du CC de son parti –, calmera le jeu et apaisera les tensions ? Pour sa part, même s’il prend son temps, Navin Ramgoolam a déjà fait savoir qu’il n’a aucune intention de céder. Comme hier et avant-hier, chaque leader campe sur ses positions et laisse à conclure qu’en fin de compte, le MMM et le PTr sont incapables de faire durer une alliance. Alliance après alliance, on nous rejoue le même film, avec les mêmes acteurs, disant les mêmes répliques. C’est ça, le changement ?
Jean-Claude Antoine

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