Croire encore en la politique ?

Peut-on encore croire en la politique ?
La question, un peu partout, se pose en ce moment avec une acuité accrue.
Partout, comme en France, où une certaine forme de parlementarisme montre ses limites et semble asphyxier le fonctionnement démocratique.
Partout, comme aux États Unis, où des dirigeants donnent aujourd’hui l’impression que l’on peut tout dire, tout faire, sans aucun contrôle, sans aucune limite.
Partout, comme à Gaza ou au Soudan, où nous sommes confrontés à des massacres qui n’en finissent pas de faire couler le sang et les larmes, sous les yeux d’un monde qui semble impuissant.
Partout, comme à Maurice, où un an à peine après un élan électoral sans appel pour virer un pouvoir abusif, nous nous retrouvons confrontés à la perspective de cassure d’une alliance gouvernementale qui avait pourtant porté tant d’espoir.
Partout, la désillusion et le sentiment d’épuisement portent le risque d’un désengagement.
D’un repli. De se dire que l’on ne veut plus entendre parler de tout cela. Que cela ne sert à rien, que c’est perdu d’avance.
“But how can one escape politics in our deeply divided and thus inherently political world ?”, interroge Riann Phillip dans une tribune intitulée “A Disillusioned Gen-Z Asks: Is Hope Back?” publiée ce 6 novembre 2025 dans British Vogue. “I fear avoidance is not the answer. Sorry to be cringe, but it seems the answer, actually, is hope”, poursuit-il.
Lespwar finn tom dan dilo, li pe flote lao lao, dit une célèbre chanson engagée interprétée dans les années 70 par Micheline Virahsawmy…
L’espoir, Riann Phillip dit pourtant le voir dans la mobilisation de la Gen Z à travers le monde, du Népal au Maroc, en passant par Madagascar. « J’étais portée par l’amour de mon pays et j’étais prête à me mettre en danger », raconte ainsi Sariaka Senecal, étudiante en Lettres et une des représentantes de Gen Z Madagascar, dans un entretien avec Jean-Marc Adolphe et le poète Elie Ramanankavana. « Plusieurs fois pendant la lutte, je me suis mise en danger. J’ai 22 ans. Je suis étudiante. J’ai ma petite vie. Enfin, j’avais ma petite vie. Pourquoi mettre tout ça en danger ? Pour être militant ? Être militant est le plus grand acte de don de soi. Parce que cela signifie que notre amour propre est en dessous d’une cause que l’on pense être supérieure à soi-même. Et je pense que c’est ce qui s’est passé à ce moment-là. À un moment, j’ai dit, allez, j’y vais ».
Le quotidien indonésien Kompas propose, lui, une analyse intéressante qui va dans le sens de la fluidité de l’identité et de l’action de cette Gen Z qui se mobilise à travers le monde. « Née dans les années 2000 en plein boom numérique, la génération Z s’affirme aujourd’hui comme une force de mobilisation politique qui transcende les frontières, avec son propre langage et ses propres codes. C’est un phénomène inédit dans l’histoire politique contemporaine. La vague de soulèvements portée par la Gen Z dans de nombreux pays n’est pas une succession fortuite d’événements, mais révèle un schéma interconnecté. Avec une résonance transnationale, affranchie des frontières, du nationalisme et des clivages culturels. Les modes de protestation de ces jeunes rappellent le style “be water” [“Soyez comme l’eau”, expression désignant une stratégie de mobilisation fluide et imprévisible], popularisé lors des mobilisations de Hong Kong en 2019. À travers un usage habile des réseaux sociaux, la Gen Z s’est approprié la philosophie taoïste et les tactiques de guerre du stratège chinois Sun Tzu : une stratégie flexible dans sa forme, adaptable aux circonstances et sans commandement centralisé », fait ressortir Kompas.
C’est cette fluidité de l’identité que souligne aussi Riann Phillip lorsqu’il affirme voir également l’espoir en deux politiciens qui viennent d’exploser sur la scène internationale : Zack Polanski, « the gay, Jewish, northern leader of the Green Party » en Grande Bretagne, et Zohran Mamdani aux États Unis.
L’élection de Zohran Mamdani comme maire de la capitale ville de New York le 4 novembre constitue, en effet, un événement qui mérite que l’on s’y arrête. Il y a, d’une part, la nature du manifeste qui lui a valu d’être élu avec un score inattendu et très confortable. Un manifeste qui se concentre sur quatre points très concrets : gel du prix des loyers ; taxation des plus riches ; gratuité des transports en commun ; gratuité des crèches et du préscolaire pour tous les enfants de moins de 5 ans.
Il y a aussi ce qu’incarne et revendique cet homme de 34 ans. Soit une identité multiple, complexe, riche, entre ses origines indiennes, sa première partie de vie en Ouganda, sa foi islamique, son soutien déclaré aux Palestiniens, ses amitiés juives à New York, ses diverses langues parlées, son utilisation astucieuse des réseaux sociaux en parallèle d’une connection tous azimuts sur le terrain, tous les terrains, avec les gens. « He went on podcasts, made memes, turned up at club nights, and generally met people where they were, instead of expecting them to come to him. He made the act of politics – and voting – feel exciting, accessible, unmissable”, estime Riann Phillip. “To me, the 34-year-old’s win feels like a fresh chapter : proof that there is an alternative to a status quo that increasingly only works for the few. It can be challenged – more than that, it can be toppled (…) Something has definitely shifted. I feel less like a helpless witness, and more like a participant”.
Reste maintenant, bien sûr, à savoir ce qui suivra. Si Zohran Mamdani appliquera son programme, s’il aura les moyens de financer ses promesses électorales, s’il est bien ce qu’il dit. Mais d’ores et déjà, une victoire incontournable a été remportée : celle qui fait que cet homme, au moment du vote, n’a pas été desservi par la multiplicité et la complexité des identités qu’il vit et affiche. Bien au contraire.
“I think many people are missing the point about Zohran Mamdani. They see the charisma, the freshness, the “newness.” But what he is actually doing is bringing something many of us have lived our entire lives : The political power of multiplicity”, écrit notre compatriote Djemillah Mourade Peerbux dans un remarquable texte posté sur sa page Facebook, cette semaine. Engagée à divers niveaux, celle qui a créé The Ripple Project a récemment quitté Maurice pour aller s’installer avec sa famille en Grande Bretagne, où elle va encore plus loin avec la création de Wavemakers Africa. Et elle revient sur cette question d’identité qui a toujours marqué sa vie mauricienne.
« For decades, politics has demanded this : Choose a box. Choose a community. Choose an identity. Be one thing and represent that thing. And if you grew up between worlds like many of us did, you were told to choose a side or risk belonging to none. In Mauritius, I know this well (…) Depending on your name, your family, your history, your husband or wife, your religion… Identity became something to prove, to defend, to sharpen, not something to live. Those of us who grew up in the in-between learned to shapeshift. Not because we were rootless, but because we were rooted in more than one place. We speak multiple languages. We hear multiple cultural codes at once. We can walk into a temple, a mosque, or a church, and know exactly how to carry ourselves with recognition, not imitation. This is a competence. A Political competence. A Social competence. The ability to speak to different worlds without betraying any of them… To understand nuance instinctively and to hold complexity as normal. To translate many worlds… For years, this ability was treated as suspect… As if being many things made us insincere, or untrustworthy, or “not enough” of any one group. But what Mamdani is doing quietly is flipping the script… He is showing that the cultural chameleon is not hiding”, écrit Djemillah Mourade Peerbux.
“The chameleon belongs… The chameleon brings brilliance… Because chameleons understand different communities. Because chameleons speak from lived experience, not performance. Because chameleons build coalitions that single-identity politics cannot. Zohran is not a “new shiny object.” He is a mirror. A mirror for us chameleons. And those of us who have lived in the third space… Who grew up tasting all foods, speaking all languages, feeling at home in multiple homes… We recognised ourselves immediately in Zohran. We were the next step… We are the future of politics (…) Watch more of us fill spaces that screamed «you are not one of us»… Our reply will be… We are many… and we hold many worlds in one voice…”.
Et si le vrai “changement” était là ? Dans la nécessité, dorénavant, de se défaire des conceptions anciennes et étriquées de ce que sont nos identités culturelles, sociales, et politiques ? Et dans une nouvelle génération qui, de plus en plus, insistera sur une nouvelle façon de faire de la politique, plus flexible, moins centralisée, plus « connectée » aux gens et aux exigences du moment ?
SHENAZ PATELPeut-on encore croire en la politique ?
La question, un peu partout et à Maurice, se pose en ce moment avec une acuité accrue. Partout, la désillusion et le sentiment d’épuisement portent le risque d’un désengagement. Mais pour certains, il y a un espoir, qui résiderait dans la capacité à se défaire des conceptions anciennes et étriquées de ce que sont nos identités culturelles, sociales, et politiques. Ce qu’incarneraient notamment Zohran Mamdani ou la Gen-Z. Et si le vrai « changement » se trouvait là ?

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