Des lézardes dans le rempart ?

En attendant l’hypothétique création d’une commission pour superviser les nominations au sein des instances gouvernementales (dont parle Reza Uteem, plus loin), la machine à nommer fonctionne à plein régime, suscitant son lot de protestations et de mécontentements. Aucun secteur n’échappe à la critique, même pas celui du judiciaire où la liste des nouveaux Senior Counsels et des nouveaux Seniors Attorneys a provoqué pas mal de commentaires – soyons polis ! – des Learned Friends. Curieusement, c’est le nom d’un non-nommé sur la liste des nouveaux Seniors Counsels qui a provoqué le plus de commentaires, dont ceux affirmant qu’il y avait eu plusieurs listes et au moins un nom biffé de la finale.
D’après les recoupements, il paraît que, comme le veut la tradition, la liste ait été établie par le Chef Juge après consultations avec certaines sommités du barreau, dont un ministre qui a été très insistant sur certains noms. Pour ne pas se retrouver en situation de conflit d’intérêt, le nom de son mari se retrouvant sur la liste, la Chef Juge aurait demandé à une de ses collègues de dresser la liste finale avant qu’elle soit envoyée à la Présidence pour ratification. C’est au Réduit que le nom du mari de la Chef Juge aurait été biffé, la Présidence jugeant qu’on ne pouvait pas signer un document demandant l’ouverture d’une enquête dans laquelle serait impliquée un membre du barreau, et en signer un autre faisant de lui un Senior Counsel.
Et puis, il y a eu les critiques sur la liste entière des nouveaux Senior Counsels, le fait que des vieux de la vieille n’y figurent pas, alors que les noms de relativement jeunes membres du barreau, dont on ne se souvient pas trop des hauts faits, y soient inscrits. Comme dans chaque nomination, on a parlé de lobbies, de communalisme à peine déguisé, de protection, de fraternité, de campagne de rejet, certains allant même jusqu’a parler de complot.
Et puis, est arrivée l’autre affaire qui embarrasse davantage le judiciaire et qui fait penser que, comme le précédent gouvernement, l’actuel peut prendre des décisions sans respecter les procédures et la séparation de pouvoirs. Désireux de régler le plus vite possible l’affaire Afrinic qui l’embarrasse au niveau africain – surtout après le récent sommet de la SADC –, le gouvernement a fait le Président de la République nommer le juge OhSan-Bellepeau, en le détachant de ses fonctions, pour mener une enquête sur l’affaire Afrinic.
Cette manœuvre aurait été menée par un ministre, ancien avocat très actif dans ce genre d’opération. Or il paraît que la Chef Juge n’a pas été consultée et que, donc, toute l’opération aurait été menée à l’insu de son propre gré, ce qui semble devenir un mode, ces jours-ci ! Le problème est qu’une société membre d’Afrinic a logé une action devant un juge – pas en congé, lui – pour dénoncer un conflit d’intérêt dans cette affaire. En effet, dans l’affaire Afrinic, le juge enquêteur avait déjà étudié le dossier et rendu des jugements ! Son learned collegue n’a eu d’autre alternative que d’accorder au demandeur l’injonction demandé contre le juge enquêteur.
On s’attendait à une forte réplique lors de l’audience de mercredi dernier, le juge enquêteur ayant mobilisé une grosse équipe légale pour le défendre (dont plusieurs Senior Counsels) mais à la place, on eut droit à un coup de théâtre, digne d’une série télévisée ! Le juge Ohsan-Bellepeau a choisi de se désister de la fonction qu’il avait acceptée quelques jours auparavant. L’avocat de la partie qui avait obtenu l’injonction avait utilisé comme argument le fait que la Chef Juge n’avait pas été consultée pour la nomination du juge enquêteur.
Ce qui serait un grave empiètement de l’exécutif dans le judiciaire en passant outre au principe de la séparation des pouvoirs. Dernier détail qui a toute son importance dans cette affaire : l’avocat en question est celui dont le nom avait été biffé sur la liste des Seniors Counsels et qui est, donc, l’époux de la Chef juge…
Sous le mandat du gouvernement précédent, on avait l’habitude de dire que le judiciaire était le dernier rempart de la démocratie. Avec ce qui vient de se passer, on peut se demander, avec inquiétude, si des lézardes ne sont pas en train d’attaquer les murs du rempart.

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Jean-Claude Antoine

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