École et sexualité : les autorités rougissent…

Le mois de novembre a une résonance particulière en matière d’action militante pour le respect de l’intégrité corporelle. Chez nous, à Maurice, les acteurs engagés dans le plaidoyer ont déjà lancé leurs campagnes et leurs actions de sensibilisation, mobilisant le public autour des droits, de la protection et de la dignité de chaque individu, surtout des plus vulnérables : les plus jeunes. Qui dit intégrité corporelle dit aussi santé sexuelle. Et c’est, sans aucun doute, l’un des points les plus sensibles de la prévention publique, surtout lorsque celle-ci cible les jeunes. La société mauricienne est faussement pudique. Elle rougit, mais peut aussi rugir lorsqu’il s’agit de juger, de contrôler ou de moraliser le corps et l’intimité des autres.
Fort heureusement, il y a des initiatives qui, bravant les préjugés et les « ki pou dir ?  », prennent de l’avance sur l’école pour aborder l’affectivité et la sexualité auprès d’une génération qui a grandement besoin de repères pour son parcours. Car, dans un contexte pédagogique qui, aujourd’hui en 2025, prépare réellement les jeunes à une sexualité responsable ? Certainement pas l’école ! Que l’école se charge de l’éducation à la vie affective, relationnelle et à la sexualité est une question qui divisera toujours l’opinion. Si, en France, l’introduction d’un programme de ce type a suscité de vifs débats et des remous chez les parents, ce n’est pas à Maurice qu’il ferait l’unanimité. Et pourtant, il existe une nécessité, voire une urgence, à parler de sexualité et de consentement aux enfants et aux adolescents. Mais cette urgence est totalement, systématiquement, occultée par les décideurs.
Toutes les réformes mises en œuvre sous le leitmotiv « le développement global de l’enfant » ont omis l’affectivité. Certes, on ne peut pas introduire en classe un tel programme, pour chaque niveau, de la même manière que l’on mettrait en place l’éducation à la sécurité routière. La question est : qu’attend l’éducation nationale ? Une chose est certaine : le jour où l’éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle fera son entrée dans nos écoles, l’Éducation devra – du moins dans un premier temps – faire appel à des éducateurs spécialisés, qui maîtrisent ces thématiques depuis longtemps. Leur expertise sera indispensable, non pas pour expliquer aux enfants comment on fait les bébés – la probabilité qu’ils le sachent déjà est très élevée –, mais pour leur donner des repères, des outils et un langage adaptés pour comprendre leurs émotions, leurs limites et le respect du consentement. Et pour déconstruire les idées reçues, les stéréotypes et les fausses croyances qui façonnent aujourd’hui leur rapport au corps, à l’autre et à la sexualité. Le véritable défi sera – EST – là ! En effet, tandis que toutes les autorités contournent le sujet, les jeunes, eux, apprennent la sexualité à travers l’écran de leur téléphone, sans filtre.
Pendant ce temps, le sexting, le sextorsion, le sex cam et la monétisation des contenus à caractère sexuel des ados mauriciens sont une réalité. Il est temps que le ministre de l’Éducation, Mahen Gungapersad et ses conseillers prennent conscience que l’école a un rôle essentiel à jouer en matière d’éducation affective et sexuelle, et qu’elle ne peut plus se limiter à l’enseignement de l’anatomie et du fonctionnement des règles au secondaire. Il serait réducteur de considérer que parler de sexualité en classe reviendrait à encourager les rapports sexuels.
En 2007, le ministère de l’Éducation s’était vivement opposé à la distribution de préservatifs sur le campus de l’université, dans le cadre d’une campagne de prévention des maladies sexuellement transmissibles. Dharam Gokhool, à l’époque ministre de l’Éducation, avait justifié cette interdiction – alors qu’il était urgent de freiner la propagation du VIH –, en rappelant dans la presse que « nous sommes à l’île Maurice et nous ne devons pas oublier le contexte mauricien. » En clair, il s’agissait surtout de ne pas heurter certaines susceptibilités et des mentalités prudes. Pourtant, nous sommes à Maurice une île où, comme ailleurs, des jeunes filles ont leurs règles de plus en plus tôt, alors qu’elles sont à l’école primaire et où il n’est pas rare que leur premier rapport sexuel survienne dès 12 ans. Nous sommes dans un pays où des garçons de 15 ans envoient la photo de leurs parties intimes à leur petite amie. La sexualité précoce n’est pas un phénomène nouveau.
Cependant, au-delà d’une éducation visant à responsabiliser nos jeunes face à leur sexualité, il est absolument nécessaire de les protéger des pièges du sextorsion et du voyeurisme, auxquels ils sont exposés lorsque leur intimité se retrouve sur les écrans de pédophiles potentiels. L’application Telegram est devenue une véritable plateforme d’expression sexuelle pour les mineurs, où les filles sont pleinement parties prenantes. Dénigrement, propositions, photomontages, vente et échange de contenus pornographiques… tout y est. Le comble est que des numéros de téléphone peuvent être aisément récupérés. Combien de temps faudra-t-il attendre avant que la Cybercrime Unit de la police remonte jusqu’à ces petits délinquants, faciles à repérer, qui s’amusent à monétiser des contenus pédopornographiques sur Telegram, et pour que des sanctions servent, enfin, de véritable moyen de dissuasion ?
Après le décès dramatique d’une jeune collégienne de 17 ans, qui a choisi de mettre fin à ses jours après que ses photos intimes aient circulé sur cette plateforme, les discours se sont multipliés, tantôt moralisateurs envers les parents – qui ont, eux aussi, la responsabilité de protéger leurs enfants et de les accompagner dans l’usage des réseaux sociaux –, tantôt centrés sur les intentions des autorités pour prévenir de tels drames. Mais traduire ces intentions en actions concrètes est une autre paire de manches. Quant au ministère, qui détient le portefeuille de la jeunesse, il serait intéressant de connaître sa politique de prévention face aux dangers du numérique et aux abus qui guettent les jeunes.
Sabrina Quirin

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