Les puissants trébuchent et vacillent parfois. Cette semaine, le richissime homme d’affaires malgache Maminiaina «Mamy» Ravatomanga, 56 ans, a été arrêté à Maurice dans le cadre d’une enquête de la Financial Crimes Commission (FCC) pour blanchiment d’argent présumé.
L’homme s’était peut-être cru sauvé quand, dans la nuit du 11 au 12 octobre dernier, il avait embarqué avec sa famille et le Premier ministre déchu Christian Ntsay, à bord d’un jet privé qui avait littéralement imposé son atterrissage à Maurice.
Symbole du pouvoir honni du président Andry Rajoelina, lui aussi en fuite suite aux manifestations orchestrées par la GenZ, Mamy Ravatomanga avait dû se croire protégé par les biens qu’il possédait à Maurice, et le statut qu’ils lui conféraient. Erreur.Suite à une plainte déposée à la FCC par une membre du Gen Z Madagascar, Mamy Ravatomanga a été provisoirement inculpé sous une accusation de possession, par le biais de plusieurs entités mauriciennes, de fonds soupçonnés de provenir d’activités criminelles, pour une valeur estimée à plus de Rs 7,3 milliards répartis sur plusieurs comptes bancaires. Une semaine plus tard, la FCC a procédé à l’arrestation de David Jean Christian Thomas, 38 ans, employé à Maurice de Mamy Ravatomanga. Lui est accusé d’avoir tenté, avec d’autres personnes, de dissimuler à travers le système informatique d’une banque des biens représentant le produit présumé d’activités criminelles. En cause : un montant d’environ 10 milliards de dollars américains, soit Rs 455 milliards.
Rs 445 milliards…
À titre de comparaison, les recettes publiques de Maurice sont estimées à Rs 224 milliards pour l’année financière 2025/26. Les dépenses publiques sont elles estimées à Rs 261,4 milliards, le déficit commercial à Rs 203,7 milliards. Notre budget de la santé s’élève à Rs 18,5 milliards. Rodrigues reçoit un budget de Rs 5,7 milliards. Un homme qui a des affaires ici, entre autres lieux, brasserait donc à lui tout seul bien plus que le budget annuel de notre pays tout entier…
Malgré toutes ses possessions, Mamy Ravatomanga n’a pas pu quitter Maurice comme il le prévoyait. En ce moment, se disant souffrant, il est hospitalisé dans une clinique, sous haute surveillance policière. Affirmant pour sa défense que toute cette affaire est liée au «coup d’État militaire » du 11 octobre à Madagascar.
À Madagascar, la nouvelle de son arrestation à Maurice a été accueillie avec jubilation par la GenZ, tant l’homme symbolise le pouvoir et les abus économiques et financiers sous l’ère Rajoelina. Et si les sceptiques disent que son argent, et le pouvoir qui en découle, lui permettront de toute façon de s’en tirer, il n’en reste pas moins que le signal donné par son arrestation apporte une lueur d’espoir à celles et ceux qui voudraient voir s’appliquer plus de justice dans les affaires du monde.
Une lueur d’espoir, c’est aussi ce qu’amène Et parfois on gagne, série de podcasts diffusée par Arte Radio. « On a beau pester, poster, protester, voter, manifester, pétitionner… souvent on a l’impression que tout ça ne sert à rien. La vague est trop haute, la catastrophe trop certaine, les méchants trop méchants. Alors à quoi bon ? Et puis… Parfois, on gagne. Des peuples entiers conquièrent des droits nouveaux. Des collectifs font plier des États ou des multinationales. « Et parfois on gagne », c’est le récit de luttes victorieuses. Pas des contes de fées ou des légendes auxquelles se raccrocher, non. Des histoires vraies pour nous apprendre à résister, des histoires d’hier et d’aujourd’hui, avec des techniques et des stratégies, de la rage et de la joie, des doutes et des sursauts, des conquêtes patientes et de l’improvisation. Le point commun de toutes ces histoires ? Leur dimension collective. Parce que si parfois on gagne, on gagne jamais tout seul ». Ainsi se présente l’argumentaire de cette réjouissante création signée Victoire Tuaillon, autrice et journaliste indépendante qui s’est intéressée à déconstruire les masculinités, a travaillé sur les relations affectives et l’amour, avant de s’intéresser à la justice, aux luttes sociales, écologistes et politiques.
Le 22 septembre 2025, Et parfois on gagne lançait son premier sujet intitulé « Comment soigner son ghetto par le feu ». Victoire Tuaillon nous y amène à New York, en 1969, dans le quartier de Spanish Harlem, où des étudiants portoricains révolutionnent le ghetto en répondant aux besoins des habitants, notamment autour de la question apparemment banale mais politiquement chargée des poubelles. Une aventure de cinq ans qui fera plier les autorités pour faire reculer les discriminations.
Le deuxième épisode, lui, s’intitule « Comment dégager un mini-Trump » et raconte comment, en 2020, en pleine pandémie de Covid-19 et confinement, des citoyens slovènes ont réussi à bouter hors du pouvoir le premier ministre d’extrême droite Janez Janša. Avec une société civile qui se mobilise notamment autour d’une loi sur le viol et contre un projet anti-environnement, et une contestation qui démarre d’abord aux fenêtres, puis à vélo, pancartes accrochées au guidon, avant de s’ouvrir sur des rassemblements hebdomadaires dans tout le pays. Ce qui débouchera le 24 avril 2022 sur la défaite du parti au pouvoir, remplacé par une coalition de centre gauche.
Ce nouveau podcast propose ainsi des récits galvanisants en mettant en lumière des victoires politiques arrachées par des mouvements progressistes.
Histoire d’apprendre à résister, voire de donner envie de s’engager.
Les podcasts, de plus en plus, semblent prendre une place particulière dans le paysage des luttes internationales. Diffusés à la radio ou sur les réseaux, ils offrent un espace de réflexion et d’expression de plus en plus ouvert et stimulant.
Chez nous à Maurice, on a ainsi pu voir le lancement, en ce mois d’octobre, de la deuxième saison de Cannes à sucre et Préjugés, émission-podcast qui questionne les rapports de force qui pèsent sur la société mauricienne, s’intéressant « aux vestiges de notre histoire coloniale et des systèmes d’exploitation de la société de plantation, aux conséquences encore palpables de l’esclavage, à l’épineuse question de l’accès aux terres, à notre multi-culturalisme complexé, aux luttes complexes autour des langues et leur lourd bagage identitaire, à nos identités culturelles rigides, à nos tabous ». Dans la première saison produite par Shakti Callikan et Lepok Studio, la réalisatrice Cristèle de Spéville œuvrait, en compagnie de ses invités, à tenter de démêler les nœuds et les non-dits qui conditionnent voire freinent notre vivre-ensemble. Ce dans le but affirmé de proposer des éléments d’analyse pertinents afin d’apporter un éclairage utile sur la société dans laquelle nous vivons. Pour la deuxième saison, c’est la jeune Aliya Chojoo qui prend la relève avec un premier épisode intitulé « Ki zot problem ar nou ? Révoltes en musique ». S’appuyant sur la chanson-titre du tube de Billygane, elle nous emmène dans un intéressant voyage au cœur de la musique populaire actuelle de Maurice. Nous conviant à une plongée « dans la vie des jeunes hommes et femmes qui choisissent la musique pour dire leur refus de vivre dans les marges d’une société à deux vitesses ». Des artistes qui, avec leurs millions d’écoutes en ligne « s’invitent dans le débat public et nous ouvrent les yeux et les oreilles sur les fractures sociales de notre île ».
Autre passionnant voyage radiophonique : celui proposé par la journaliste indépendante Martine Luchmun, qui inaugure en ce mois d’octobre sur la nouvelle RM1 de la MBC une réjouissante émission intitulée « Portraits sonores ». Un grand format radiophonique esprit podcast, construit avec exigence et créativité, autour de rencontres avec des Mauricien-nes engagé-es à divers niveaux dans des formes de construction solidaires.
Oui, une hirondelle, parfois, pourrait faire un printemps… Cette semaine, nous avons aussi hélas perdu une figure marquante en la personne de Mimi Chen.
Mimi, comme tout le monde l’appelait affectueusement, c’est cette femme qui arpentait à pas posés sa librairie de Rose Hill, Le Cygne, où elle a longtemps accueilli, avec générosité et bonne humeur, toutes celles et ceux qui s’intéressent aux livres. Sous ses dehors tranquilles, Mimi était un caractère bien trempé : au plus fort de l’interdiction du roman The rape of Sita de Lindsey Collen décidé par un gouvernement autoritaire, Mimi offrait, avec une assurance tranquille, d’en acheter sous le comptoir. Disant à sa façon non à la censure, et nous permettant d’y résister.
De ces personnes-là, et de leur engagement, nous vient le salutaire message que oui, parfois, on peut peut-être gagner…
SHENAZ PATEL
