« To pa pou perdi ek sa biznesman là! » Cette phrase prononcée par un des protagonistes inquiétés par la Financial Crimes Commission (FCC) résume parfaitement l’affaire Mamy Ravatomanga. L’expression familière « money talks » n’a jamais été aussi parlante et appropriée que dans le cas de cet homme d’affaires malgache venu se réfugier sous nos cieux au plus fort de la révolte dans son pays. Et certains osent s’offusquer que l’on évoque une fuite.
Que ce soit avant son arrivée, que ce soit les circonstances dans lesquelles son jet privé a été autorisé à atterrir, que ce soit les événements qui ont précédé et qui ont suivi son interpellation par la FCC, tout dans ce narratif, digne d’un polar de Netflix, révèle avec une rare acuité comment l’odeur des milliards peut s’avérer irrésistible.
Et pendant que les Mauriciens attendaient des développements majeurs dans l’affaire du jet comme dans tant d’autres dossiers qui se sont accumulés à la Financial Crimes Commission sans que des poursuites formelles n’aient été engagées à ce jour, c’est la commission elle-même qui, cette semaine, s’est retrouvée dans la tourmente.
Un des commissaires, Junaid Fakim, en poste depuis quelques mois seulement, a été arrêté après que des éléments aient surgi indiquant qu’il avait été en contact avec le milliardaire malgache. C’était le 14 octobre, le jour même où le Premier ministre par intérim Paul Bérenger exposait les dessous de l’atterrissage du jet privé et l’annonce de plusieurs enquêtes.
Les explications qui ont suivi sur le déroulé de cette réunion avec trois des protagonistes impliqués dans les investigations de la FCC, le Malgache lui-même, son bras droit David Thomas et Nasser Beekhy peuvent, au mieux, rendre perplexe et, au pire, faire rire.
Les avocats qui sont convoqués à des réunions nocturnes par de potentiels clients, c’est rare, parce que c’est le contraire qui est toujours vrai, les justiciables se rendant plutôt à l’étude du conseiller juridique de leur choix pour exposer leur cas.
Mais ce n’est pas le seul dirigeant de la FCC qui a été éclaboussé par ce qui semble désormais être une affaire dans l’affaire : il y a aussi le cas de son directeur par intérim lui-même, Sanjay Dawoodharry, au sujet duquel des questions sont, depuis une année et aujourd’hui aussi, légitimement posées par ceux qui se sont fiés au credo du changement et de la rupture annoncés.
Ce monsieur, directeur des investigations à l’ICAC, à l’époque des retentissantes affaires Medpoint, Angus Road, Stag Party et autres dossiers qui ont traîné à n’en plus finir, a pris le relais à titre temporaire de Navin Beekarry après la démission de ce dernier à la fin de l’année dernière.
À l’expiration de son mandat, Sanjay Dawoodarry y a été, non pas reconduit, mais re-nommé pour satisfaire les exigences de la FCC Act de 2023. Encore qu’il s’agit là d’une des interprétations données à la lecture du texte constitutif de la commission.
C’est sur ce point que l’armada légale de Mamy Ravatomanga s’appuie pour espérer sortir leur client de cette sombre affaire. L’exercice de vendredi a tout de l’inhabituel. C’est rare que des avocats viennent étaler leur stratégie de défense en public, au lieu de les porter devant les tribunaux pour arbitrage. La démarche n’est pas anodine : elle vise à instiller le doute sur le fonctionnement de la FCC et ainsi la décrédibiliser.
Depuis l’épisode de ceux qui s’étaient fait appeler les Avengers, on n’avait pas vu des membres de la profession légale, avec des personnalités notoirement connues pour leur penchant politique, venir s’exhiber ainsi en public. Pour tenter, par tous les moyens, de sortir leur client d’affaire parce qu’à la clé, il y a un butin considérable.
La présence de Kushal Lobine au sein du panel représentant le milliardaire malgache a pu surprendre quelques non-initiés. Mais c’est probablement son propre cas qui l’a fait atterrir dans le cortège de juristes qui, visiblement, se bousculent pour défendre l’homme d’affaires.
Kushal Lobine est un ancien travailliste, actionnaire de compagnies où l’on retrouvait jadis Nandanee Soornack ou Harish Chundunsing. Il est celui qui, en tant que président de la SICOM, avait approuvé l’achat en VEFA (vente en l’état futur d’achèvement) de l’immeuble de Rakesh Gooljaury à Ébène. Il avait intégré le PMSD après les élections de 2014, avant de prendre ses distances des bleus en avril 2024 pour créer les Nouveaux Démocrates avec Richard Duval et Véronique Leu-Govind.
Depuis août 2023, il est sous le coup d’un ordre de gel de ses avoirs prononcé par la Chef-Juge Rehana Gulbul-Mungly. Il avait été désigné comme un des bénéficiaires des « proceeds of crime » dans l’affaire Stanford Asset. Son explication alors était que les Rs 2 millions qu’il avait perçues représentaient ses honoraires d’avocat.
Lorsqu’un avocat, parlementaire de surcroît, s’est retrouvé dans le même cas, même si l’affaire n’est pas comparable, Rs 2 millions contre les Rs 7 milliards gelées de Mamy Ravatomanga, il a forcément une certaine expérience qui joue pour lui.
Mais trève d’ironie, l’exercice inédit de vendredi qui a réuni près d’une dizaine d’avocats, dont l’ancien juge Eddy Balancy, dit aussi la fébrilité du camp Ravatomanga et de la multiplication des démarches pour extirper du pétrin l’homme qui vaut des milliards.
La suite de la jet saga s’annonce de toute façon palpitante. Si une FCC enfin remaniée – avec des titulaires confirmés à leur poste après l’approbation du président, du PM et du leader de l’opposition – réussit à mettre la main sur les Rs 7 milliards de Mamy Ravatomanga, que son jet est mis en vente et qu’il passe sous propriété mauricienne, ce sera une vraie victoire pour les institutions mauriciennes, et la réputation du pays sera sauve.
Si ces millards lui sont restitués et qu’il s’en tire à bon compte, ce sont ses avocats et ses soutiens mauriciens, y compris ceux tapis dans l’ombre, qui toucheront le jackpot. Ce jour-là sera, sans doute, celui de la fin des illusions pour beaucoup.
Fait et effets : L’odeur des milliards
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