Cette semaine, à Maurice, un homme a été condamné à trois mois de prison pour avoir volé, dans un supermarché, du chocolat d’une valeur totale de Rs 540.
Les choses sont allées très vite : mercredi matin, cet homme de 36 ans habitant La Tour Kœnig est appréhendé par le personnel de sécurité d’un supermarché de la localité avec en sa possession 12 paquets de chocolat valant Rs 540 qui n’ont pas été payés. Remis à la police, il est traduit devant le tribunal de Port-Louis où l’accusation de vol est retenue contre lui le même jour. Avec à la clé cette condamnation à trois mois de prison.
Cette semaine à Maurice, une nuée d’hommes soupçonnés d’avoir volé des centaines de millions de roupies au détriment des contribuables mauricien-nes ont continué à aller et venir librement, dans des costumes de marque et des berlines outrageusement luxueuses.
Cette semaine à Maurice un homme a été interpellé de manière expéditive. Journaliste à l’express pendant des années, connu pour l’exigence et la qualité de ses enquêtes sur des scandales liés au précédent gouvernement, notre confrère Narain Jasodanand s’est signalé ces dernières semaines par une série d’articles publiés sur sa page Facebook Scoop.mu, où il questionne ce qui est décrit comme les ingérences de Tevin Sithanen à la Banque de Maurice dirigée par son père Rama Sithanen.
Vendredi dernier, à la mi-journée, les policiers de la Cybercrime Unit ont débarqué chez lui à Floréal. Trois bagnoles de flics qui l’ont malmené, dit-il, qui ont pris son téléphone et son ordinateur, emmené aux Casernes centrales pour interrogatoire, avant de l’autoriser à repartir sous la condition de revenir lundi matin pour le reprise de son interrogatoire. Les réactions n’ont pas manqué face à ce qui rappelle si (trop) fortement les procédés du précédent gouvernement, ousté par la population en novembre dernier. Népotisme, corruption, instrumentalisation des institutions, arrestations arbitraires, intimidation de toute voix critique, c’est bien contre tout cela que la population mauricienne a voté avec détermination. Est-ce pour que l’Alliance du Changement portée au pouvoir nous impose au final le même ? Arrêter brutalement un journaliste sans qu’il y ait d’enquête préliminaire, sur la seule base d’une plainte d’un fils de puissant, est-ce cela la nouvelle île Maurice ? Comment expliquer, dans ce cas précis, cette rapidité et ampleur d’action, alors que plusieurs personnes qui ont porté plainte à l’ICTA (Information and Communication Technologies Authority) pour diffamation en ligne attendent toujours, depuis des mois, que la Cyber Crime Unit daigne agir sur leur cas ?
Cette semaine aussi, la jeunesse d’un pays a renversé son gouvernement. Après l’Indonésie la semaine précédente, c’est cette fois la population du Népal qui est descendue dans la rue. À la base, elle protestait, depuis un moment déjà, contre la corruption du pouvoir, son autoritarisme, et contre l’imposition de mesures économiques qui fermaient toujours plus les horizons des travailleurs, et plus particulièrement des jeunes, face à l’enrichissement scandaleux de quelques uns.
Incapable de faire face à la contestation grandissante, le gouvernement dirigé par KP Sharma Oli, en poste depuis 2015, a fermé le 4 septembre l’accès aux réseaux sociaux. En octobre 2024, ce même type de mesure a précipité, à Maurice, la chute du gouvernement de Pravind Jugnauth. La population du Népal, elle, n’a pas attendu les urnes et la prochaine élection. Elle est descendue en plus grand nombre dans la rue, notamment à Katmandou, a fait face à la réaction violente des forces de police. Résultat : 51 morts, des centaines de blessés, le siège du Parlement et divers lieux de pouvoir incendiés, un Premier ministre en fuite, des ministres pourchassés.
Ce vendredi 12 septembre, après d’intenses tractations organisées autour du chef d’état-major de l’armée, le général Ashok Raj Sigdel, c’est finalement Sushila Karki, 73 ans, ex-cheffe de la Cour suprême réputée pour son indépendance, qui a été nommée Première ministre de transition du Népal. Première femme à diriger le pays, cette figure de la révolution de 1990 – qui avait aboli la monarchie à l’époque – aura la lourde tâche de mener le pays aux élections législatives fixées au 5 mars 2026.
Si les feux de l’actualité sont largement braqués sur l’assassinat aux États Unis de l’influenceur conservateur Charlie Kirk, 32 ans ; si la France a vu la nomination d’un Premier ministre de 39 ans à la veille d’une manifestation de mécontentement populaire contre laquelle le gouvernement a mobilisé rien moins que 60,000 policiers ; cette même actualité offre aussi, moins médiatisée mais non moins importante, la présence d’un jeune Népalais dont le mouvement a, cette semaine, avalisé la nomination de Sushila Karki après avoir mené la fronde ayant abouti à la chute du gouvernement.
Ce Népalais, c’est Sudan Gurung, 38 ans, au parcours singulier. D’abord connu dans le monde de la fête et du clubbing en tant qu’event manager, il se tourne vers l’activisme après avoir vécu une tragédie personnelle en 2015. Quand, dans la série de tremblements de terre meurtriers qui frappent le Népal au mois d’avril, il perd son enfant. « A child died in my arms. I’ll never forget that moment », dit-il alors. Réalisant que le pays n’a pas une équipe d’intervention d’urgence efficace, il crée par la suite Hami Nepal, une ONG qui regroupe rapidement plus de 1,600 membres, en majorité jeunes, et qui mobilise des ressources pour œuvrer à la réhabilitation post-séisme et à des programmes d’intervention d’urgence dans son pays affecté par secousses sismiques, inondations et glissements de terrain.
Au cours de ces dernières semaines, Hami Nepal a beaucoup utilisé ses réseaux et les réseaux internet comme Instagram et Discord pour coordonner les protestations contre le gouvernement de KP Sharma Oli. Ce sont ces mêmes moyens qui ont été utilisés pour consulter les jeunes pour savoir qui ils voulaient voir à la tête du gouvernement de transition. Et si Mme Karki n’a pas remporté l’unanimité dans les rangs des jeunes contestataires, Sudan Gurung était bien présent à sa prestation de serment pour la féliciter et se réjouir en proclamant : « On a réussi ». Réussite de celles et ceux qui s’étaient réunis dans la rue sous la bannière Generation Z, en référence à cette catégorie qui regroupe les personnes nées entre1995 et le début des années 2010. Soit ceux qui ont moins de 30 ans. « Nous voulons la transparence du gouvernement, une éducation de qualité, des opportunités d’emploi et une vie digne », a, de son côté, déclaré un autre représentant de ce mouvement, James Karki, 24 ans.
Partout, le poids des inégalités devient trop flagrant, trop lourd, trop insupportable.
Partout, des voix et des corps s’élèvent contre l’exercice d’une justice à deux vitesses, d’un pouvoir inique.
Partout, les signaux d’alarme de la rupture entre société civile et pouvoir politique s’affolent…
SHENAZ PATEL
