Peut-on vivre sans pays ?

Il y a cette guerre qui embrase Israël et la Palestine et qui menace de se répandre, entraînant l’ensemble du « monde arabe » et les grandes puissances occidentales. Il y a l’atrocité des photos et des vidéos qui circulent jusqu’à la nausée, de civils, d’enfants surtout, broyés, déchiquetés, tués.
L’opération « Déluge d’Al-Aqsa » lancée par le Hamas contre Israël le 7 octobre dernier a été un choc. En premier lieu pour Israël, dont les services secrets pourtant réputés comme les plus performants au monde n’ont rien vu venir alors que l’attaque a de toute évidence été minutieusement préparée. Choc pour le reste du monde qui découvre des images de milliers de victimes, dont nombre d’enfants. La réaction de condamnation ne se fait pas attendre à l’encontre du mouvement de libération palestinien.
Une attaque subséquente meurtrière contre l’hôpital Al-Ahli Arabi de Gaza le 17 octobre suscite l’ire du reste du monde arabe. Rabat, Tunis, Tripoli, Istanbul, Ankara, Ramallah, Le Caire, Amman, Bagdad, Téhéran : d’importantes manifestations anti-Israël ont lieu dans plusieurs pays du Proche-Orient et du Maghreb, ainsi qu’en Turquie. Remisant leurs divergences, les dirigeants arabes ont attribué d’une même voix la destruction de l’hôpital à Israël, alors que les versions à ce sujet divergent. Et les manifestants ne s’en prennent pas qu’à l’Etat hébreu : leurs slogans visent aussi «les alliés des sionistes», à savoir les Etats-Unis, voire la France.
Chacun est sommé de prendre position, la concurrence des responsabilités et des souffrances prend toute la place.
Mais à la base il y a cette question qui revient, lancinante : comment peut-on espérer qu’une population soit privée de son pays, qu’elle soit sans arrêt soumise par la domination et l’exercice d’une force démesurée, et qu’il puisse sortir de là une situation de paix ? Parce que c’est bien le nœud d’un problème qui n’en finit pas de faire des victimes innocentes et de semer la désolation.
Les mots disent tout : la bande de Gaza.
Oui, voilà une population, les Palestiniens, qui depuis des années se retrouvent parqués dans un pays qui n’a cessé d’être rétréci pour devenir une « bande » oblongue et de plus en plus étroite. Les chiffres aussi disent beaucoup : la bande de Gaza aujourd’hui, ce n’est plus qu’un territoire de 365 km2 dans lequel sont entassées 2,3 millions de personnes. A titre de comparaison, Maurice, c’est 2 000 km2 pour 1,2 million d’habitants…
Tout est déjà dans la genèse de l’Etat d’Israël, telle que la retrace par exemple Alain Dieckhoff, chercheur au CNRS, docteur en sociologie politique et spécialiste du conflit israélo-palestinien, dans « Au cœur de l’histoire » un podcast produit par Europe 1 Studio.
Il remonte ainsi à la seconde moitié du XIXe siècle, période où est formalisé le projet “sioniste” de l’installation d’un Etat juif en Palestine. Le sionisme étant un mouvement politique dont le leader le plus connu est Théodor Herzl, un Juif viennois, premier qui a systématisé l’idée sioniste au travers d’un manifeste ‘L’Etat des Juifs’. A cette époque, dans l’empire tsariste, les Juifs sont victimes de persécutions violentes et massives. Les premiers Juifs arrivent ainsi en Palestine à partir des années 1880. A cette époque, la Palestine est encore une province de l’Empire Ottoman, peuplée à 90% d’Arabes, majoritairement musulmans. La Première Guerre mondiale rebat les cartes dans la région. Allié des Empires Centraux Allemands et Austro-Hongrois, l’Empire Ottoman est parmi les perdants. Les anciennes provinces arabes sont réparties sous tutelles françaises et britanniques par la Société des Nations, l’ancêtre de l’organisation des Nations-unies. Le Royaume-Uni hérite ainsi de la Palestine mandataire. “Dans ce mandat, il y a une clause particulière pour la Palestine liée à une déclaration qu’a faite Lord Balfour, un officiel britannique, en 1917. Le gouvernement britannique s’engage à faciliter la constitution d’un foyer national juif en Palestine”, explique Alain Dieckhoff.
La Seconde Guerre mondiale et la Shoah représentent un tournant décisif. Les Britanniques s’en remettent à l’Organisation des Nations Unies. Qui propose le plan de partage du 29 novembre 1947, selon lequel la Palestine serait divisée en un État juif et un État arabe, et Jérusalem doté d’un statut international. Un «partage » auquel le monde arabe s’oppose, arguant que la population locale arabe n’a jamais été consultée à ce sujet.
Ce plan de partage n’en sera pas moins voté à une majorité des deux tiers à l’ONU. Proclamé en mai 1948, l’Etat d’Israël couvre environ 55% de la Palestine. Les Palestiniens se retrouvent avec les 45% restants, divisés en deux morceaux : la bande de Gaza, sous administration égyptienne, et la Cisjordanie, intégrée au royaume de Jordanie.

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L’écrivain britannique Arthur Koestler résume ainsi la situation : “Une nation a solennellement promis à une seconde le territoire d’une troisième”. Depuis, la guerre n’a jamais cessé.
Le 30 mai 1964, la ligue arabe crée l’Organisation pour la libération de la Palestine (OLP). En 1967, lors de la guerre des Six Jours, Israël s’empare de Jérusalem-Est, de la Cisjordanie et de la bande de Gaza. La quasi-totalité de la Palestine est ainsi désormais occupée par l’État juif.
En 1987 se déclenche l’Intifada (“soulèvement” en arabe), mouvement populaire insurrectionnel massif. C’est aussi l’année de naissance du Hamas, l’organisation islamique de Palestine, plus radical, et taxé de « terroriste » par certains pays occidentaux. Le 15 novembre 1988, le Conseil national palestinien d’Alger proclame l’État indépendant de Palestine. En 2011, l’UNESCO reconnaît la Palestine comme une organisation. L’année suivante, l’ONU en fait un État observateur non-membre de l’ONU. En 2017, le pays est reconnu par 136 Etats dans le monde soit 70,5% des 193 Etats membres de l’ONU.
Le 13 septembre 1993, l’OLP et Israël signent les accords de paix d’Oslo par lesquels  l’organisation palestinienne renonce à la “violence et au terrorisme” et reconnaît à Israël le “droit d’exister dans la paix et la sécurité”, ce à quoi le Hamas n’adhère pas, Jérusalem-Est, considérée comme la capitale historique par les Palestiniens, n’étant pas incluse dans cet accord. Mais ces accords d’Oslo ne seront jamais appliqués : le 4 novembre 1995, le Premier ministre israélien, Yitzhak Rabin est assassiné par un Juif extrémiste. Tout le processus de paix s’en retrouve bloqué.
Et depuis, les affrontements n’ont plus cessé, Israël asseyant sa domination, contrôlant les espaces aérien, terrien, et maritime, réduisant de plus en plus la bande de Gaza, en faisant une sorte de prison à ciel ouvert dont les Palestiniens ne peuvent sortir, où ils sont réduits à des existences de plus en plus miséreuses.
Comment, dans ces conditions, pouvoir espérer la paix ?
Faudra-t-il que tout s’embrase pour que le reste du monde soit rappelé à sa responsabilité, depuis réaffirmée par l’ONU, de la création d’un Etat palestinien où cette population pourra vivre à part entière, et non comme des « human animals », selon les termes du ministre des Affaires étrangères israélien ?
A l’heure où notre planète toute entière est menacée d’embrasement par le réchauffement climatique, que faudra-t-il encore pour que l’orgueil des hommes trouve raison et justesse ?

SHENAZ PATEL

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