Funestes vendredis

D’un vendredi à l’autre, l’actualité ici et ailleurs nous assène tour à tour ses alertes et coups de massue. Dont on mesure obscurément les menaces qu’ils portent.
Vendredi 6 juin, jour de présentation à Maurice du premier budget du gouvernement issu du raz-de-marée de 60-0 de novembre 2024. Toute la population qui avait magistralement déboulonné dix ans d’un pouvoir devenu autocratique et corrompu jusqu’à la moelle, attendait cet exercice censé marquer un tournant. Après sept mois de ce qui était largement perçu comme une trop grande lenteur à procéder au changement que promettait le nom même de l’alliance portée au pouvoir.
Et quel immense gâchis.
Il ne fait aucun doute que le précédent gouvernement a mis notre pays dans une situation financière catastrophique. À travers ses abus et ce qui équivaut ni plus ni moins à un vol éhonté de l’argent public (délits pour lesquels on tarde à voir venir des sanctions). À travers aussi des manœuvres consistant à distribuer des aides diverses et variées qui ont contribué à entretenir un sentiment que tout était dû et que tout allait bien, alors même que les choses auraient dû nous faire comprendre que l’ébranlement du Covid n’était pas qu’un feu de paille dont les retombées se seraient effacées comme par miracle au bout d’une petite année. Augmentation des pensions de retraite, pregnancy allowance, maternity allowance, CSG child allowance, school allowance etc etc : le précédent gouvernement a entretenu un faux sentiment d’aisance en faisant pleuvoir un argent que nous n’avons pas, que nous ne pouvons pas nous permettre.
Le réveil, sans conteste, allait être rude, pour autant que le nouveau gouvernement entende mener une nécessaire politique de redressement et de rigueur. Ce qu’il a manifestement choisi de faire. Mais le gâchis est à la mesure de l’enjeu. En annonçant unilatéralement et brusquement que l’âge du versement de la pension de retraite passait de 60 à 65 ans, ce gouvernement a créé un vent de désillusion et de colère qui intervient très rapidement après sa portée aux nues.
Certes, la logique et un minimum de réalisme nous mènent bien à comprendre qu’avec une situation financière catastrophique et une population vieillissante, notre actuel système de pension n’est plus tenable.
Mais pourquoi ?
Pourquoi choisir de saper aussi gravement la confiance et l’élan qui portaient ce gouvernement en annonçant une décision qui n’a a aucun moment été discutée ? Sans aucune consultation avec personne, syndicats et population ?
Pourquoi ce choix de l’imposition d’une mesure budgétaire aussi significative en faisant l’économie de la pédagogie la plus élémentaire qui devrait l’accompagner ?
Pourquoi le choix de rendre la situation intenable pour l’un des partenaires de ce gouvernement, le parti Rezistans ek Alternativ qui s’est toujours singularisé justement par son combat pour une démocratie participative et la défense des droits économiques et sociaux ?
Ivresse du pouvoir absolu ? Aveuglement face à la misère réelle d’une partie de la population ? Surdité au refus clairement exprimé en novembre 2024 de toute nouvelle pratique autocratique ?
Le feel good factor ressenti au lendemain de ces élections n’est en tout cas plus d’actualité.
La défiance face au politique est de retour with a vengeance. Sa dévalorisation comme le lieu de tous les renoncements, dévoiements et abus aussi.
Et nous avons tous tellement à y perdre…
*********
Autre vendredi. 13 celui-là. Qui s’ouvre sur la nouvelle des frappes déclenchées par Israël contre des installations militaires et nucléaires en Iran. Basculement.
Depuis des années, Israël considère l’Iran comme une menace directe à sa sécurité, l’accusant d’avoir l’intention de le détruire alors que l’Iran l’accuse de perpétrer un génocide contre le peuple palestinien. Depuis un certain temps, Israël demandait que soit mis un terme aux manœuvres iraniennes pour obtenir l’arme nucléaire, notamment à travers son programme d’enrichissement d’uranium.
Ce vendredi 13 juin, Israël a donc lancé contre l’Iran des frappes militaires qui ont détruit un certain nombre d’infrastructures et entraîné le décès du général Hossein Salami, désigné comme le chef des gardiens de la révolution, ainsi que celui du général Gholam Ali Rashid et du chef d’état-major iranien Mohammad Bagheri.
Dans un message vidéo, le Premier ministre israélien, Benyamin Netanyahou, a affirmé que cette attaque militaire durera « autant de jours que nécessaire » pour éliminer cette menace nucléaire iranienne.
De son côté, Ali Khameini, le « guide suprême » iranien, a aussitôt menacé Israël de lui infliger en retour un sort « amer et douloureux ».
À l’autre bout de la planète, le président américain Donald Trump est intervenu sur CNN vendredi matin pour dire que les Etats Unis soutiennent bien sûr Israël qui a mené « a very successful attack », et que l’Iran devrait accepter de faire un deal « before there is nothing left ».
« Iran should have listened to me when I said — you know, I gave them, I don’t know if you know but I gave them a 60-day warning and today is day 61. They should now come to the table to make a deal before it’s too late. It will be too late for them. You know, the people I was dealing with are dead, the hardliners » a-t-il poursuivi dans l’approximation, voire le cafouillage qui semblent de plus en plus caractériser chacune de ses prises de parole. Ajoutant, dans un post sur les réseaux sociaux, que les attaques israéliennes à venir seront encore plus violentes. “There has already been great death and destruction, but there is still time to make this slaughter, with the next already planned attacks being even more brutal, come to an end. Iran must make a deal, before there is nothing left” a ajouté Donald Trump.
Paradoxalement, le chef de la diplomatie américaine, Marco Rubio, a lui déclaré que les Etats Unis n’étaient pas impliqués dans cette attaque menée par Israël. “Tonight, Israel took unilateral action against Iran. We are not involved in strikes against Iran and our top priority is protecting American forces in the region”.
De l’avis d’une certain nombre d’analystes, le timing de cette attaque menée par Israël n’est pas anodin. Elle intervient à la veille des pourparlers diplomatiques prévus pour réunir les Etats Unis et l’Iran sur cette question nucléaire ce dimanche 15 juin. Ce qui pourrait être vu comme une façon de les saboter.
Elle interviendrait aussi comme une façon de détourner l’attention d’une crise interne en Israël, la majorité de Netanyahou ayant récemment connu un risque d’explosion.
Elle intervient enfin alors que le président Emmanuel Macron avait signifié l’intention d’annoncer la reconnaissance de l’Etat de Palestine par la France et d’œuvrer en ce sens à l’ONU. Intention dont le report a été annoncé suite à l’attaque du vendredi 13…
Certes, aujourd’hui l’Iran ne peut plus compter sur ses alliés au Liban, au Yémen et en Irak, affaiblis depuis l’attaque menée par le Hamas contre Israël le 7 octobre 2023. De fait, il a lancé seul sa riposte contre Israël. Mais l’esseulement peut conduire au recklessness.
Et les craintes sont grandes de voir démarrer là un conflit dont les suites pourraient très vite nous dépasser.
Funestes vendredis où le politique étend le voile sombre de son effondrement…

- Publicité -

SHENAZ PATEL

Vendredi 6 juin, jour de présentation à Maurice du premier budget du gouvernement issu du raz-de-marée de 60-0 de novembre 2024. Toute la population qui avait magistralement déboulonné dix ans d’un pouvoir devenu autocratique et corrompu jusqu’à la moelle, attendait cet exercice censé marquer un tournant. Et quel immense gâchis.
Vendredi 13 juin, Israël lance contre l’Iran une attaque qui replace le nucléaire au centre des inquiétudes.
Entre tarissement d’une pluie d’argent d’un côté, et amorce d’une pluie de bombes de l’autre, le délitement du politique étend partout le voile sombre de son effondrement…

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques