Habib Mosaheb : « L’IBA est le poison des radios privées ! »

Notre invité de ce dimanche est une des personnalités du paysage radiophonique mauricien : Habib Mosaheb, plus connu par le surnom de Bhye Habib. Avec son humour, sa franchise et son sens de la répartie qui font partie des qualités que ses auditeurs apprécient, il a répondu à nos questions. Sur l’évolution du paysage radiophonique mauricien depuis sa libéralisation — partielle — et surtout sur l’institution qui le contrôle : l’Independant Broadcasting Authority (IBA).

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Votre parcours professionnel est inhabituel. Vous avez commencé par faire de la politique pour arriver au journalisme écrit puis parlé. Après avoir été militant actif, vous avez été journaliste puis attaché de presse, avant de devenir une des vedettes de la radio privée…

— J’ai commencé mon engagement politique comme militant et syndicaliste, avant d’entrer comme journaliste au Militant et de travailler ensuite pour d’autres titres. Effectivement, je suis sorti de la politique pour arriver à la presse parlée, au contraire de certains qui, aujourd’hui, font le parcours inverse en quittant le journalisme et l’animation pour faire de la politique active et poser leur candidature comme député en rêvant de devenir ministres.

Vous êtes aujourd’hui une des voix les plus populaires du PAM (Paysage Radiophonique Mauricien). Quel est le secret de votre succès ?

— Il n’y a pas de recette. Le secret, si je reprends votre terme, c’est l’affection des auditeurs qui trouvent dans l’animateur la franchise, l’absence de frayeur, la capacité d’être ferme quand il le faut, de savoir mettre fin aux interventions hors cadre et surtout l’humilité de reconnaître qu’il ne sait pas tout, qu’il ne détient pas la science infuse. Et puis, il y a une communion entre celui qui parle et ceux qui l’écoutent. J’ai une manière de parler, de dire les choses, ce qui plaît.

On avait cru que la libéralisation de la radio allait apporter une révolution et mettre fin au monopole de la MBC. Mais aujourd’hui, quand on constate que les radios privées font toutes la même chose, diffusent les mêmes programmes et les mêmes chansons à la même heure, se battent pour faire de l’audience en utilisant souvent le sensationnalisme, peut-on dire qu’on a raté cette révolution ?

— Je ne le pense pas, parce qu’il y a eu quand même des acquis. Rappelez-vous que jusqu’au début des années 1980, l’utilisation du kreol à la MBC suscitait polémiques, controverses, débats et même des appels au communalisme. Aujourd’hui, grâce à la libéralisation des ondes, le kreol est utilisé partout. Naturellement. Cette libéralisation a aussi donné la parole, tendu le micro à l’opposition démocratique que la MBC ignorait ou réduisait à une brève dans le JT. C’est également le cas pour les syndicats et les ONG. La libéralisation a aussi permis, et c’est important, aux sans-voix de se faire entendre.

Oui, mais il faut souligner que dans les talk-shows radiophoniques, ce sont trop souvent les mêmes voix, celle d’une poignée d’auditeurs, que l’on entend sur les ondes…

— C’est exact. Il suffit que l’auditeur dispose d’un téléphone, avec automatic redialing, pour accéder plus facilement à l’antenne que les autres. Mais en dehors de ceux-là, dont certains parlent très bien, nous avons à Koze Do Mo Pep, sur quarante appels, la moitié provenant de non-habitués et des quatre coins de l’île. Cela étant, il faut aussi prendre en considération qu’à Maurice, aujourd’hui, beaucoup de personnes ne veulent pas prendre la parole pour s’exprimer parce qu’elles peuvent être reconnues et subir des représailles, pour ne pas se retrouver sur une liste noire, surtout si cette personne a des enfants ou des parents qui travaillent dans le gouvernement.

 En dehors de permettre à l’auditeur – qui arrive à obtenir la ligne – de s’exprimer et de se défouler, les programmes sont-ils efficaces, règlent-ils des problèmes ?

— Radio Plus, Radio One et Top FM ont des émissions dédiées aux problèmes du quotidien et font office d’intermédiaires entre l’administrateur et l’administré. Premièrement, le programme permet à l’auditeur de savoir où et à qui s’adresser, et parfois il le fait en direct, et souvent il obtient sinon satisfaction, tout au moins des informations, un éclairage sur les démarches à entreprendre, sur ce qu’il faut faire. Mais le fait que le problème a été exposé publiquement permet à certains responsables corrects — il en existe — de réagir avec rapidité et efficacité.

Pourquoi ne citez-vous que trois radios ? Je vous rappelle qu’il existe deux autres radios privées : NRJ et Waza…

— Ne parlons pas de Waza qui est, au niveau de la propagande gouvernementale, pire que la MBC !

Sans commentaires ! Est-ce que, comme c’est le cas pour la presse écrite, le pouvoir politique n’aime pas les radios privées qui sont critiques vis-à-vis de ses actions ? Est-ce qu’il essaye de contrôler, pour ne pas dire museler, ces radios ?

— Et comment ! Il faut rappeler que la libéralisation des ondes a été votée par un gouvernement PTr-PMSD et que c’est un gouvernement MSM-MMM qui a mis en place l’IBA. Il y a eu des crispations contre les radios privées sous le gouvernement Ramgoolam, mais la situation s’est dégradée avec les gouvernements en place depuis 2014, et plus encore depuis 2019. Il faut rappeler que Top FM a été suspendu à quatre reprises pendant le Covid et le confinement pour des prétextes futiles. Comme le fait que le syndicaliste Jack Bizlall a dit à la candidate battue, repêchée par le Best Loser System, Tania Diole, lors d’un débat, qu’elle était une opportuniste ! C’est vrai que face aux différents pouvoirs, la presse a souvent vécu des moments difficiles, mais pour les radios privées, la situation est devenue vraiment pénible depuis 2019 avec la manière de faire de l’IBA.

N’était-il pas logique de créer un organisme, c’est-à-dire l’IBA, pour veiller que les radios respectent leur cahier des charges et pour sanctionner les éventuels dérapages et les koze ninport sur les radios privées ?

— Je ne suis pas contre l’existence de l’IBA. Oui, il faut un cadre légal pour contrôler la presse et les radios, mais il ne faut pas que ce soit un cadre qui réprime, qui étouffe, bâillonne. Certes, il y a une différence entre l’information et l’opinion. Mais Koze Do Mo Pep n’est pas un bulletin d’information, mais une émission reposant sur l’opinion des auditeurs sur des sujets d’actualité dans le cadre d’un dialogue. Quand l’avocat Neelkant Dulloo dit au micro de Top FM que l’affaire Kistnen doit être traitée comme un cas de meurtre pas un suicide, pouvons-nous rester tranquilles ? Quand on me dit qu’il manque de médicaments dans les hôpitaux et que les patients doivent aller les acheter dans les pharmacies privées, faut-il ne pas en parler ? Faut-il ne pas se demander pourquoi les pharmaciens du gouvernement n’ont pas prévu que le stock allait être épuisé et commander à temps un nouveau ? Je ne fais que mettre en avant un fait en donnant un complément d’information, et l’IBA me dit que ce n’est mon rôle de le faire et que je me dois me contenter de faire le modérateur

Quel devrait être – selon l’IBA – le travail d’un « modérateur » de radio ?

— Jusqu’aujourd’hui, l’IBA n’a pas été capable de me donner une définition du terme modérateur dans le contexte de la radio !

 Peut-être que l’IBA pense que vous devriez modérer vos auditeurs comme le Speaker le fait avec les députés au Parlement…

— (Rire) Peut-être ! Un autre exemple : j’organise un débat avec un représentant de l’opposition et un responsable du gouvernement, ministre ou député. Non seulement ils ne viennent pas à l’émission, mais ils n’ont pas la décence et la courtoisie de le faire savoir. L’émission a lieu et l’opposition dit ce qu’elle doit dire en attaquant le gouvernement. Que dois-je faire en tant que modérateur : défendre le ministre qui n’est pas venu à l’émission en me substituant aux communicants grassement payés des fonds publics ? Je ne suis pas un modérateur, mais un animateur qui explique et donne des compléments d’information, qui prend position sur certains sujets, certaines questions de société, n’en déplaise à l’IBA. L’animateur doit prendre position sur des sujets de société à partir des valeurs universelles. Face à l’injustice, aux pressions, et la politik dominer, le silence est une complicité.

Il paraît que vous êtes souvent convoqué par l’IBA…

— Et comment ! À une époque j’étais convoqué au moins une fois par mois ! À l’époque, l’IBA avait un Complaints Comittee présidé par un avocat. Ce n’est plus le cas aujourd’hui, c’est le conseil d’administration qui décide, qui tranche, qui suspend. Un cadre légal est nécessaire pour remplacer celui qui existe et j’espère que la première mesure du gouvernement à venir sera de révoquer toutes les lois liberticides.

Vous savez mieux que nous que dans l’opposition, les politiques sont les grands démocrates du monde, mais qu’une fois arrivés au pouvoir, non seulement ils conservent les lois liberticides, mais ils les consolident pour rester au pouvoir ! Mais dites-nous : est-ce qu’en parlant du gouvernement à venir, vous n’avez pas franchi la ligne entre l’animateur et le commentateur ?

— Pas du tout. Ce n’était pas un commentaire, mais juste un souhait !

Depuis quand l’IBA est-elle devenue un bouledogue avec des dents ?

— Depuis que ce pays est dirigé par des gens qui n’ont pas été élus démocratiquement et qui exercent le pouvoir, c’est-à-dire Lakwizinn, depuis 2014, avec une aggravation de la situation à partir de 2019. Parce que tous les amendements apportés à l’IBA l’ont été après cette période. Savez-vous par exemple que la licence pour opérer une radio était de trois ans et le fee de Rs 400 000 par an ? L’IBA a amendé la loi pour que la licence soit réduite à une année et que le fee augmente pour arriver à Rs 800 000 ! En plus, la loi est entrée en application après que les autres radios ont obtenu leur renouvellement, ce qui donne l’impression que l’amendement a été taillé sur mesure contre Top FM ! Il y a mieux : il existe un schedule de l’IBA qui dit qu’une radio n’est pas autorisée à commenter une décision ou une déclaration de son conseil d’administration ! À Maurice, on peut commenter un jugement de tous les magistrats, des juges, de leur chef et même du Privy Council. On peut critiquer le président de la République, le Premier ministre et ses ministres, le leader de l’opposition et le commissaire de police, mais pas le conseil d’administration de l’IBA, présidé par un nominé politique connu comme un sef koler lafis ! Si j’avais dit sur Top FM ce que je suis en train de dire dans vos colonnes, j’aurais été déjà pendu haut et court par l’IBA !

Si on a bien compris, les récents amendements à l’IBA vont à l’encontre du principe de la libéralisation des ondes…

— Vous avez parfaitement résumé la situation. C’est pourquoi j’ai dit au début de cette interview que oui la libéralisation des ondes était une révolution mais malheureusement, en cours de route, il y a eu déviation. Aujourd’hui la bataille pour la survie des radios privées est un combat quotidien beaucoup plus dur qu’on ne l’imagine. Nous sommes constamment surveillés, devons être sur nos gardes et faire attention à chaque minute des émissions que nous présentons, et savoir ne pas franchir le ligne de l’IBA en recourant par exemple à des questions au lieu de faire des affirmations sur des sujets sensibles. Par exemple, les pensions coupées ou les pensions qui sont payées en retard à cause des congés publics ?

En dehors des menaces de l’IBA, les radios privées doivent-elles également subir des pressions commerciales les poussant à arrondir les angles des programmes, ne pas se montrer trop critiques ?

— Mais bien sûr. Une des plus grosses sources de publicité des radios est Mauritius Telecom. Quand nous avons commencé à faire des enquêtes sur le fonctionnement de cette institution, le maharajah autoproclamé, qui était alors tout puissant, a annulé tous les contrats de Top FM. C’est également le cas du CEB, d’Air Mauritius et même de la SBM, qui a bloqué un overdraft de la compagnie à la fin du mois au moment de la paye des employés. Il y a des pressions de la part des entreprises d’État, mais aussi, différentes, celles-là, de certaines entreprises du privé qui ne veulent pas être critiquées ou citées dans des programmes mettant en cause leur fonctionnement.

Les directeurs de radio ne sont-ils pas soumis à d’autres formes de pression ? Par exemple accepter, dans le cas de Top FM, que deux avocats viennent assister un haut gradé de la police lors d’une émission ?

— Je commence par préciser que je ne défends personne. Mais il est vrai qu’un directeur/propriétaire de radio doit trouver à la fin du mois la paye de ses employés et ses frais de fonctionnement. Par ailleurs, il y a toujours un conflit entre la rédaction et le marketing. Le problème, c’est que nous ne devons pas oublier nos valeurs au profit de la rentabilité commerciale.

Et comment on atteint cet équilibre délicat ?

— Ce n’est pas facile. C’est une situation que vivent tous les médias qui dépendent de la publicité. La presse écrite a un avantage dans la mesure où elle vend son produit, alors que ce n’est pas le cas de la radio. Il faut comprendre les soucis et les préoccupations du management qui doit comprendre lui aussi ceux de la rédaction. Il faut se battre pour maintenir ses positions et on y arrive…

… pas toujours à Top FM, semble-t-il, puisque Murvin Beetun a claqué la porte en disant qu’il ne pouvait pas faire son travail et que dans l’incident avec le chef de la Special Striking Team, son directeur était plus du côté de ses « invités » que du sien. Quel est votre sentiment sur cette affaire ?

— Je crois que c’est Paul Bérenger qui l’avait dit : dans toutes les cassures et toutes les ruptures, les torts sont toujours partagés.

Avec cette réponse, qui évite de prendre position, n’êtes-vous pas en train de jouer au diplomate ? Ou, pour être plus direct, est-ce que vous n’êtes pas en train de faire votre chatwa avec votre employeur ?

— Pas du tout. Je le répète : dans cette affaire, les torts sont partagés. Krish Kaunhye n’aurait pas dû accepter d’inviter les deux avocats. Murvin Beetun n’aurait pas dû accepter leur présence en studio. Si j’avais été à la place de Murvin, j’aurais refusé de faire l’émission, et si le directeur avait insisté, je lui aurais dit d’animer lui-même le programme avec ses invités ! Cette émission n’aurait pas dû être diffusée avec les deux avocats en studio et une petite foule de gens dans les couloirs de la radio !

Passons à une autre affaire qui secoue actuellement le monde la radio : celle du licenciement du journaliste Al Khiz Ramdin de Radio Plus après sa comparution devant un comité disciplinaire composé de deux personnes avec qui il avait eu des problèmes à Londres. Votre opinion ?

— Les faits indiquent qu’il y a effectivement un possible conflit d’intérêts dans cette affaire. Par ailleurs, pourquoi est-ce que l’ex-employeur du journaliste n’a pas publié un communiqué – comme Top FM l’avait fait dans le cadre de l’affaire dont nous venons de parler – pour expliquer les faits qui l’ont conduit à le traduire devant un comité disciplinaire ? On ne sait pas encore les raisons qui ont motivé le licenciement d’Al Khiz Ramdin. Je suis étonné de ne pas entendre les donneurs de leçon de démocratie sur cette affaire.

Que souhaitez-vous dire pour conclure cette interview, Bhye Habib ?

— Je souhaite exprimer un regret professionnel. La presse mauricienne a connu dans les années 1970 la censure, les tentatives de la bâillonner, le passage de certaines lois pour faire taire les journaux ou les empêcher de bien fonctionner. Aujourd’hui, il y a beaucoup plus de médias qu’avant : à la presse écrite se sont ajoutés les radios et les sites d’information, mais ce qui manque, c’est la solidarité entre les médias. À l’époque, l’Express et Le Mauricien étaient concurrents sur le plan commercial, ce qui ne les empêchait pas de collaborer pour mener des actions conjointes pour faire face aux menaces contre la presse, pour manifester, faire des sit-in. Aujourd’hui, la solidarité entre médias n’existe plus, le gouvernement le sait et il en use et abuse.

Quel est l’avenir de la radio privée aujourd’hui face aux menaces et aux pressions que vous détaillez dans cette interview ? Est-ce que nous allons vers le modèle de la MBC, qui est là pour servir de caisse de résonnance et de propagande au pouvoir en place, pour faire du politically correct ?

— Cette situation est réelle, mais je pense qu’il y a de l’espoir, puisque nous pouvons avoir des moyens technologiques nous permettant d’émettre tout en ne tombant pas sous le contrôle de l’IBA, qui est le poison des radios privées. Je le redis sérieusement : si jamais un nouveau gouvernement arrive au pouvoir aux prochaines élections, l’une de ses priorités devra être de révoquer toutes les lois liberticides de ce pays. Je le répète pour que cela entre dans la tête des personnes concernées pour qu’elles prennent des engagements qu’elles auront à tenir. Je ne suis pas en train de parler de promesses électorales qui n’engagent que ceux qui les entendent, pas ceux qui les font !

Après tout ce que vous avez dit, et avec le ton que vous avez choisi pour le faire, ne craignez-vous pas que votre patron, après avoir avoir lu cette interview, vous dise, en reprenant une célèbre formule, lev ou pake ale ?

— Vous aurez la réponse à cette question en écoutant Top F M à partir de midi, ce dimanche. Ce n’est pas aujourd’hui que je vais commencer à avoir peur de m’exprimer en toute liberté. Le directeur de Top FM est un entrepreneur qui a son agenda, ses préoccupations et ses valeurs. Après avoir travaillé avec moi, il doit savoir et comprendre que moi aussi j’ai un passé, une histoire et des valeurs que je n’ai aucune intention de renier.

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