Humeur : La question

L’association des hommes de loi locale devrait, lors de sa prochaine assemblée générale, faire un « vote of thanks » au milliardaire et homme d’affaires malgache Mamy Ravatomanga. Depuis qu’il a posé le pied à Maurice en descendant de son avion privé, le milliardaire malgache a donné un sérieux coup d’accélérateur au business de la profession légale mauricienne. Il a lancé ce coup d’accélérateur en commençant par un appel d’offres invitant les avocats à soumettre leur dossier – CV détaillé, expérience passée et honoraires réclamés – pour le représenter. Les dossiers ont été étudiés par un avoué mauricien, qui s’était illustré dans le passé, en conseillant à l’ex-présidente de la République d’ordonner l’ouverture d’une enquête, qui n’était pas de son ressort. Résultat de l’opération : c’est sur la base de cette ouverture d’enquête illégale que la présidente fut obligée de soumettre sa démission et de quitter le Réduit. C’est donc après étude des dossiers de candidature soumis que l’homme d’affaires malgache a créé sa dream team légale constituée d’une demi-douzaine d’avocats, dont un venu de Paris, et d’un ancien chef juge mauricien. On ne sait pas si c’est à partir de son lit de clinique, où il a été admis pour des problèmes cardiaques et ensuite placé sous surveillance policière, que le milliardaire malgache a fait son choix ou si c’est son avoué qui l’a fait à sa place. La dream team a tenu une conférence de presse pour affirmer l’innocence de son client et protester contre la surveillance policière dont il fait l’objet en clinque. Surveillance policière qualifiée par le meneur de l’équipe d’« intimidation » et de « harcèlement médical ». En tout cas, il faut reconnaître que la dream team fait feu de tout bois pour tirer son client d’affaire en allant jusqu’à contester la légalité de la nomination du directeur par intérim de la Financial Crimes Commission. Ce qui a conduit le ministre de la Justice à faire une déclaration pour réfuter les allégations d’irrégularités faites par le panel légal du milliardaire malgache sur la nomination du directeur par intérim de la FCC.
Laquelle FCC est passée subitement de son rôle d’institution qui mène les enquêtes à celle sur laquelle on enquête. Ce changement de perception, la FCC le doit à son commissaire démissionnaire — avocat de profession — qui, selon sa représentante légale, ne savait pas où se terminait ses responsabilités de commissaire de la FCC et ou commençait son rôle d’avocat à la recherche de clients. C’est cette quête qui l’aurait conduit à une réunion nocturne pour rencontrer un potentiel client businessman qui n’était, en fait, que l’homme d’affaires malgache qui faisait la une de l’actualité depuis le 12 octobre. On a peine à croire qu’un commissaire de la FCC soit passé à côté de l’information, avec des allégations de blanchiment d’argent, qui fait la une de la presse mauricienne depuis l’arrivée du milliardaire malgache. On a peine à croire qu’un commissaire de la FCC ait pu ignorer que son employeur avait l’homme d’affaires malgache dans son viseur. En tout cas, cette ignorance l’a forcé à la démission suivie d’une interpellation puis d’une arrestation. L’affaire Ravatomanga, dont les ramifications sont comme les bras d’une pieuvre, a fait découvrir qu’un certain nombre de Mauriciens étaient impliqués dans ses business. Ils ont été, à leur tour, interrogés par la FCC, ce qui les a obligés à se faire assister par des hommes de loi, ce qui a donné un autre élan à la profession. Les mauvaises langues affirment que dans cette affaire, nous n’en sommes qu’au sommet de l’iceberg, d’autres ramifications, révélations, interrogatoires et éventuellement des arrestations vont suivre et nécessiter le recrutement d’autres hommes de loi. Et éventuellement augmenter le nombre de chambres de cliniques, au rythme où les interpellés tombent malades.
L’affaire Ravatomanga suscite beaucoup d’interrogations sur la manière dont le milliardaire a pu transférer des fonds considérables à Maurice depuis des années. La question suivante du principal avocat de l’homme d’affaires malgache mérite qu’on s’y attarde. « If the FCC or any other body suggests this money (de Ravatomanga) is suspicious, then every compliance officer and auditor in those banks (mauriciennes) would be implicated ? » Une vraie question sur l’implication des banques dans certaines affaires, comme, par exemple, celle du Reward Money quand on avait découvert que les lois bancaires n’avaient pas été respectées. Alors que les lois bancaires exigent des explications et des justifications de transactions financières supérieures à Rs 500 000, un policier avait pu retirer d’un compte bancaire la bagatelle de Rs 14 millions, à raison d’un million par jour, avec l’autorisation de la banque ! De quoi se demander si les banques mauriciennes pratiqueraient des politiques différentes selon la tête — et l’importance des fonds — du client.
Jean-Claude Antoine

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