Il y a des jours où je me sens comme une étagère à chapeaux, comme si je portais différents styles de cet accessoire. Quatre styles, quatre vies. Une femme, mille nuances.
Comme d’habitude, au travers de ma fenêtre, et accompagnée du chant des oiseaux et d’un mignon chat apparu récemment, mon esprit vagabonde et je vais à la rencontre d’Élise. Je l’imagine à côté d’une chaise sur laquelle sont posés quatre chapeaux.
La casquette m’attire immédiatement, car j’imagine que cette femme court le monde, libre, pour attraper le temps. Elle choisit ce style qu’elle met sur sa tête sans réfléchir, souvent avant le café du matin ou lorsqu’elle part en voyage, vers l’inconnu. Une queue-de-cheval mal attachée, une paire de baskets, et la voilà dehors, prête à découvrir. C’est la vie en mouvement : courir, courir, toujours et encore. Au travail, après le métro, après ses enfants, après les rêves aussi, sans doute !
Sous cette casquette, elle est dynamique, bien sportive, pressée, performante et aventureuse. Quand Élise la porte, elle coche des cases et prend des décisions. Mais parfois, elle oublie aussi de respirer et son esprit s’évade, souhaitant ne pas retourner à la réalité.
Mais c’est tout naturellement qu’elle s’approprie ensuite le chapeau de paille. Celui-ci est pour ses moments de romance et de flânerie dans les interstices du temps. Elle l’enfile quand elle a besoin de lenteur. Quand le monde va trop vite. C’est celui des promenades et des errances, des marches sur la plage, des livres dans le sac et des silences sur un banc. C’est celui qui la cache du regard du monde, tout en laissant le soleil éclairer son visage à travers le tissage desserré.
Sous ce chapeau, elle laisse place aux souvenirs et redevient l’enfant rêveuse et s’affirme en femme contemplative. Elle prend le temps de regarder les fleurs pousser et les enfants jouer. Elle se rappelle aussi que le bonheur peut tenir dans un moment qui ne sert à rien. C’est là qu’elle avoue qu’il y a des jours où elle a la force d’un cheval, et d’autres où elle tombe en morceaux. Ici, c’est la douceur, le soin et la tendresse offerts sans compter.
Par ailleurs, Élise aime beaucoup son béret qui laisse place à la création et à son âme de mère et d’épouse. Une fois le béret sur la tête et sa salopette en jean mise, elle crée et réinvente. Son béret est un peu de travers, comme ses idées parfois. Mais c’est dans ces moments qu’elle peint les mots et écrit les paysages. Musique classique aux oreilles, pinceau entre les dents et stylo entre les doigts, elle s’agite et se trémousse dans une grande sérénité.
C’est, en fait, le couvre-chef de son monde intérieur. Sous ce béret, elle est artiste, mère, et elle surprend même son époux. Le chat, lui, la regarde, “bouche bée”, l’air ahuri. Elle ose. S’égare. Aime. Elle transforme les miettes en festin et les doutes en poésie. C’est la partie d’elle qui croit le plus en elle et en la vie. Oui, elle croit même à l’impossible ! Ainsi, elle croît sans cesse et sans se lasser.
Sous son béret, Élise admire le ciel qu’elle voit comme le plus grand écran. Elle est cette femme complice, confidente, protectrice, maman, amie, sœur et fille. C’est la vie de l’intime, des gestes discrets et des attentions silencieuses. Artiste à la fois instinctive et rationnelle, ce rôle lui sied comme un gant.
Mais parfois, elle a besoin de son grand chapeau chic en feutre. Animée d’une saine ambition, elle tend consciemment la main pour le déposer soigneusement sur un chignon impeccable. Ce chapeau ne tolère ni la pluie ni les excuses, et doit tenir ferme même quand le vent souffle fort.
C’est le chapeau des grandes décisions, des rendez-vous importants, des phrases qu’on apprend à dire sans trembler. Sous ce feutre chic, elle est stratège, imperturbable, parfois même redoutable. Elle participe aux projets et apporte sa force tranquille. Même si la petite fille intérieure est hésitante, elle n’est que très rarement vulnérable. En fait, même en talons aiguilles, elle est bien dans ses baskets et tient bon, de manière équilibrée. Les tempêtes ne la cassent pas, mais la renforcent. Elle est là, entière, et ne quémande rien.
Admirative de la belle Élise, j’imagine quels doivent être ses traits de caractère. Je pense qu’elle est à la fois désordonnée et organisée, souvent débordée. Entière. Sophistiquée et d’un naturel inhabituel. Prête à tout, mais pas à dépasser les limites. Aimante, sensible et distante. Accueillante et présente. Authentique, polyvalente et mélancolique.
Je quitte la vie d’Élise et reviens à la mienne. Et pourtant, j’ai l’impression étrange de lui ressembler. D’être tout ça à la fois. Comme si, chaque jour, j’empilais moi aussi tous ces chapeaux : la casquette vissée pour avancer, le chapeau de paille pour respirer, le béret pour créer et m’ancrer, et ce grand chapeau chic qui tient droit, même dans les tourments.
Un équilibre bancal, mais vrai et solide, un empilement de rôles, de désirs et de battements de cœur.
C’est décidé : moi aussi j’aurai ma chaise à chapeaux.