Il est quand même assez paradoxal qu’une alliance, dont le mantra était la démocratisation et la transparence des nominations ainsi que l’introduction d’un système basé sur la méritocratie, soit en train de vaciller précisément sur ce thème.
Au lieu de l’Appointments Committee promis qui se serait chargé de procéder aux nominations de postes-clés, on a appris, vendredi, le renouvellement du contrat du commissaire de police Rampersad Sooroojballly. En leur état actuel, les textes permettent au Premier ministre de procéder à un choix personnel et unilatéral. Soit.
Cela n’empêche pas que l’on se pose la légitime question de la concrétisation du programme de rupture, tel qu’il a été vendu à la population et approuvé massivement par celle-ci, pas uniquement que dans sa lettre mais aussi dans son esprit. En attendant que le mode des nominations soit revu, il y a lieu de respecter l’esprit des engagements pris.
Non seulement pas de Appointments Committee, mais le numéro deux d’un gouvernement est totalement écarté de la décision. Il apprend par les médias que le contrat du commissaire de police est renouvelé pour une année. C’est cela le changement promis et plébiscité ?
L’explication fournie est la prochaine visite d’Emmanuel Macron. Donc, il faut reconduire d’une année un commissaire de police qui fait pratiquement l’unanimité contre lui, parce que le Président de la République française va passer quelques heures sur notre sol.
Dans les heures qui ont précédé ce renouvellement, il y a eu, en plus, de graves manquements de la police dans la gestion d’un meurtre routier, puisque c’est de cela qu’il s’agit et qu’il faut appeler les choses par leur nom. Les histoires d’homicide involontaire, ça ne tient plus. Il faut un minimum de respect pour les familles endeuillées.
Le cas survenu à Camp Levieux, vendredi de la semaine dernière, est particulièrement révoltant. Muzzamil Hussenbocus, 30 ans, qui pilotait sa moto, a été mortellement renversé par une voiture par deux occupants qui ont aussitôt pris la fuite.
Répérés grâce aux caméras de surveillance de la région, les deux malfrats ont été arrêtés. Le conducteur a été testé positif à la drogue. Dans la voiture abandonnée sur place, des chopines de bière. Drogue, alcool, délit de fuite. La totale !
Dès le lendemain, dimanche, ils ont pu obtenir la liberté sur parole et, après leur comparution en Cour, lundi, ils ont cette fois été libérés sous caution. La police jette le blâme sur le bureau du DPP, mais la chronologie des événements pourrait facilement départager les responsabilités dans cette triste affaire. Ce qu’a fait hier le DPP.
Le conducteur incriminé, Ismail Nigel Décidé, n’est autre que le fils de Jérémy Décidé, important pion du réseau Franklin qui est actuellement en détention à La Réunion après sa condamnation pour trafic de drogue.
Nando Bodha avait, en 2015, promis de revoir la loi sur des délits routiers pour introduire un nouvel arsenal de circonstances aggravantes comme les accidents mortels provoqués par des chauffards sous l’influence de la drogue, de l’alcool et dans ceux de hit and run. Rien de tout ça, sauf un abaissement de la limite autorisée d’alcool pour ceux qui prennent le volant.
Navin Ramgoolam, réagissant à l’accident survenu pendant le pèlerinage de Maha Shivaratree en février dernier, avait annoncé la saisie immédiate des véhicules impliqués, privant ainsi les chauffards irresponsables de leur instrument létal et leur possibilité de faire d’autres victimes. On attend le texte sur le durcissement des peines et la redéfinition des circonstances aggravantes.
Au palmarès des faits qui choquent, il y a cette photo circulée vendredi soir où l’on voit le directeur par intérim de la Financial Crimes Commission (FCC), Sanjay Dawoodarry, tout sourire, déambulant verre à la main, vendredi, dans les jardins de la Haute Commission britannique.
C’était lors d’une cérémonie organisée par la chancellerie de sa majesté pour marquer l’anniversaire du roi Charles. Les poignées de mains et les conversations y allaient bon train entre deux verres et trois petits fours.
Est-ce une présence normale et acceptable pour un directeur, fut-il suppléant, de parader à une soirée au beau milieu de personnes, parmi lesquelles ses propres accusés de corruption comme Maneesh Gobin, en liberté conditionnelle ? La réponse est non !
L’ancien ministre MSM, qui posait fièrement pour les photographes à cette soirée, est celui qui a été arrêté par la FCC de Sanjay Dawoodarry le 28 février 2025 pour corruption dans l’affaire Stag Party. Il a dû s’acquitter d’une caution de Rs 250,000 et signer une reconnaissance de dette de Rs 5 millions. Il a, d’ailleurs, subséquemment été convoqué à deux reprises par la FCC, toujours dans le cadre de la même enquête.
Que la FCC ait des échanges avec le Serious Fraud Office et que la Haute Commission les facilite, c’est une chose, mais qu’un directeur par intérim dont le poste effectif est, en plus, celui de chef des investigations, se frotte aux personnes qui sont passées dans son département et qu’il a cuisinées, on le suppose, est une autre paire de manches.
Il y a une éthique à respecter, des règles à suivre, et une distance à privilégier lorsqu’on a des responsabilités. La démonstration de l’indépendance et de l’impartialité doit être de tous les instants, que l’on soit dans sa pratique publique ou dans sa vie privée. On voit à quoi a conduit Junaid Fakim après une rencontre organisée par un ami de la famille.
Dans la profession légale, certains invoquent le «cab rank rule» lorsque cela les arrange et qu’il y a de gros sous en jeu. Parce que si on voit certains se bousculer en troupe zélée pour défendre les «gros palto», on peut à peine les trouver lorsqu’il s’agit de voleurs de litchis, de tablettes de chocolat ou de boîtes de corned beef chipés sur les rayons de supermarchés.
Inspiré du chauffeur de taxi qui doit prendre le premier client qui l’a hélé, le cab rank rule est considéré plus comme un principe qu’une règle, et il date, en plus, du 18ème siècle. Le monde a changé. Nous sommes en République depuis 33 ans.
Aujourd’hui, il y a des avocats, comme au MMM qui se gardent de défendre des trafiquants de drogue, tandis que d’autres au nom d’un «personal embarrassment», refusent de représenter des violeurs d’enfants, des nazis, des auteurs de génocide.
Lorsqu’on est législateur, qu’on vote des lois pour traquer et punir sévèrement les trafiquants de toutes sortes, la démarcation se doit d’être nette et sans ambiguïté. Pour les responsables d’institutions, le principe doit être encore plus exigeant. Il en va de leur crédibilité et de la confiance qu’ils inspirent à la population.
Il serait peut-être temps de créer un Taujoo rule du nom de cet ancien directeur de l’audit que nous aimons citer ici parce que les qualités qu’il présentait, son sens de la probité, et le respect unanime qu’il inspirait sont devenus des denrées rarissimes.
Moussa Taujoo, un des premiers assesseurs de la Independent Commission Against Corruption en 2002, assistait régulièrement aux séances de l’Assemblée Nationale. Il arrivait discrètement, ne serrait la main à personne, n’échangeait jamais avec les élus, fussent-ils ministres ou Premier ministre, et il s’éclipsait tranquillement.
Voilà le genre d’attitude que l’on attend des directeurs d’institutions cruciales de la République. Qu’ils n’aillent ni à des rencontres privées avec ceux qui seront appelés à des auditions par leur service, ni qu’ils aillent côtoyer et trinquer avec leurs accusés.
C’est dans ce contexte trouble et malsain que Paul Bérenger s’apprête à quitter son poste constitutionnel de Premier ministre adjoint pour retrouver le back bench de l’Assemblée Nationale. A moins d’un énième revirement et du rappel de l’amitié qu’ils disent tous deux partager. Il doit se dire qu’il vaut mieux partir seul avec sa dignité que de cautionner des coups de canif dans le programme. Quant à ceux qui ont eu pour unique rêve d’une vie de devenir ministres, on ne peut que leur souhaiter bonne chance.
JOSIE LEBRASSE

