La maison vide

En passant sur une route inconnue dans l’Est, je vois une petite maison bleue et blanche, style créole, cachée derrière une nature verdoyante. Les arbres et arbustes semblent être là depuis belle lurette. La maison a des lambrequins blancs et des volets gris, et une tôle bleue claire est déposée au-dessus d’elle. Plusieurs fougères dans des pots disposés avec soin et goût sont rangées sur la terrasse. Cela donne un côté encore plus cosy à la maisonnette qui est juste magnifique : un vrai petit bijou au style d’antan, disposé dans un douillet jardin.

- Publicité -

Curieuse, je m’approche, pour mieux apprécier la vie qui s’y déroule mais force est de constater que les portes et les volets sont grands ouverts : pas un signe de vie, pas un meuble. À l’intérieur, c’est le vide complet !

L’endroit n’a rien d’un lieu abandonné et est si charmant que j’y aurais bien passé une petite soirée munie de quelques bougies. Mais une nuit ici serait certainement bien longue, surtout si on est accompagné que de la solitude. Je décide quand même de rester un petit moment tout en espérant ne pas violer l’intimité de qui que ce soit. Franchement, une petite maison bleue posée là comme par enchantement est une aubaine pour vivre une expérience hors du commun.

Voilà, me voici installée dans la maison vide !

Une feuille blanche virevolte et se dépose à mes pieds. Feuille envolée sortie de nulle part sur laquelle des lignes filent et des mots écrits à l’encre bleue se juxtaposent. Je n’ai point volé ces phrases qui me tombent sous le nez. Interpellée, je lis les notes et les inspirations d’une inconnue. Émerveillée, je découvre que cela parle de sagesse et, je pense, d’espérance aussi. Une citation de Frida Khalo me remue dès le départ : « Ne fais pas attention à moi. Je viens d’une autre planète. Je vois toujours des horizons où tu dessines des frontières. » Curieux tout cela !

Qui est donc celle qui a mis sur papier cette citation, ses pensées, ses réflexions et ces phrases si pleines de sens ? Mes yeux galopent sur cette feuille remplie, alors que je suis dans une maison vide. Je la parcours à perdre haleine. Mais comme lire, écrire, peindre et danser, c’est comme respirer, je reprends donc mon souffle grâce aux lettres et aux syllabes que je lis et aux lignes qui défilent et dansent sous mes yeux.

Je vous livre pêle-mêle les idées qui sont passées par la tête de cette inconnue, que je nommerai Jeanne. Elle raconte comment les choses inutiles nous coûtent car ils prennent de notre temps, si précieux. Les choses futiles nous encombrent et nous gardent souvent loin de notre réalité, tout en délaissant nos activités premières. Je constate que Jeanne parle, elle, de choses bien réelles et essentielles qui contribuent à une vie meilleure et plus simple.

Sans aucun lien avec ce qui précède, le mot EUTHANASIE ? est foutu là, en majuscule, suivi de quelques commentaires. Elle s’étonne que la mort soit devenue de nos jours une espérance (fausse espérance, dit-elle !) pour ceux qui ont perdu espoir en vivant des moments extrêmement durs. Elle note que ceux faisant face à cette pensée ont sûrement réfléchi à la question, puis elle s’interroge : « Vieille comme je suis, tout cela m’inquiète et me trouble. Tant de déshumanisation, est-ce vraiment raisonnable ? L’être humain est-il dépourvu de raisonnement ? Est-il à la merci de décisions trop passionnées ? Qu’en est-il de l’espoir pour demain ? »

Jeanne s’offusque que l’effroyable éventualité de l’euthanasie soit pensable – tout court ! – et à un temps où justement nous faisons tout pour rester jeunes longtemps. C’est une époque où nous essayons d’éliminer la vieillesse et les traces de celle-ci. Bref, toute cette question, remarque-t-elle, se discute au moment même où l’on cherche à repousser la mort. Étonnant !

Ce bout de papier que je tiens entre les mains me semble être un testament moral. Tout est écrit de la main de Jeanne en lettre attachée. La dame ajoute qu’aujourd’hui, nous avons besoin du passé des autres pour pouvoir mieux construire et forger notre avenir. Plus encore, elle dit – et cela est souligné – qu “ il ne faut pas avoir une espérance de chenille ”. Comme elle a raison ! Si on demandait à une petite chenille, quel est son objectif dans la vie, elle nous répondrait sans doute qu’elle aimerait être une grosse chenille. Heureusement que son rêve ne devient pas réalité ; les chances qu’elle devienne un papillon sont énormes.

Assise là, sur le sol en béton ciré rouge, j’imagine une chenille, grasse et rassasiée, qui se vautre jalousement sur une feuille qui lui semble être toute sa vie. Elle ne sait pas qu’un jour, elle deviendra papillon, ouvrira ses ailes colorées et griffonnées, et verra au-delà de son petit monde restreint. Papillon au lieu de grosse chenille, cela en vaut la peine, non ? Selon l’inconnue que j’apprends à connaître, nos objectifs doivent toujours nous permettre de sortir de notre petite boîte fermée et de voir plus grand que notre “petite” espérance.

La lecture des notes jetées en vrac par madame ou mademoiselle Jeanne cause une petite guerre dans ma tête et dans mon cœur. Sacrée Jeanne, qui qu’elle soit et où qu’elle soit, elle semble être quelqu’une de bien décidée, courageuse et solide, bien qu’elle brille par son absence. Elle est remplie de sagesse et ses écrits portent de la lumière dans ce monde plein d’obscurité. Ils dégagent tant d’espérance, qu’ils nous permettent de voir plus loin que notre petit bobo du jour. Avec cette parcelle d’espérance, nous allons si loin que nous sommes presque témoins de l’avenir. Surprenant !

En écrivant ses réflexions courtes mais profondes, elle m’entraîne à en avoir des tonnes. Les phrases de Jeanne sont belles et cette lecture me passionne. Mais la nuit approche et je dois donc m’en aller. Sur moi, point d’allumettes à craquer pour faire perdurer cette lumière douce et subtile qui m’invitait à découvrir les mots remplis de sens, laissés là, par une inconnue, dans cet abri oublié.

Il n’y a toujours ni personne, ni meuble, dans la maison vide, mais la vie s’y trouve encore. Une âme a laissé des traces d’une présence qui traverse le temps.

Comblée, je dépose la feuille au seuil de la porte ouverte et reprends mon chemin aux lueurs des prémices de cette nuit. Je comprends les couleurs, les douleurs, les senteurs et les bonheurs qui se dégagent au fil du sentier que j’emprunte. Ce sentier que nous ne cessons jamais de parcourir est celui de notre vie. Je continue sans me retourner, sachant que là où il y a des frontières dessinées, il y a toujours un horizon qui me sera proposé.

À Dieu ma petite Jeanne, ta maison vide m’a curieusement remplie. Bouleversant, non ?

- Publicité -
EN CONTINU
éditions numériques