L’affaire des coffres-forts : les raisons derrière l’acquittement de Navin Ramgoolam

La justice trouve les 23 accusations « vagues et incertaines » vu « l’incapacité de la poursuite à fournir des détails de ceux qui lui auraient remis de l’argent »

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« On ne peut permettre à un procès de continuer aux risques de compromettre des droits constitutionnels fondamentaux conférés à chaque citoyen de ce pays », écrivent les magistrats en notant « l’impossibilité » de la défense de mener tout contre-interrogatoire.

Avant même que le procès intenté à Navin Ramgoolam pour de très grosses sommes d’argent trouvées dans son coffre-fort ne soit entendu sur le fond, la Cour intermédiaire a rejeté, vendredi dernier, les 23 accusations portées contre lui dans l’affaire par la police. Navin Ramgoolam, qui traînait cette casserole depuis cinq ans — soit depuis sa défaite aux élections générales de 2014 — s’en sort ainsi blanchi. Du moins, pour le moment, en attendant que le bureau du Directeur des poursuites publiques (DPP) décide de faire appel ou pas de la décision de la Cour intermédiaire. Le bureau dispose encore de vingt jours pour décider de la marche à suivre.

La Cour intermédiaire, faut-il le souligner, avait, vendredi dernier, à se prononcer sur un point de droit préliminaire soulevé par le panel des avocats du leader travailliste mené par Me. Gavin Glover SC. Celui-ci avait plaidé qu’il ne pouvait organiser convenablement la défense de son client étant donné que la police n’était pas en mesure de révéler les détails de la personne, ou des personnes, qui auraient eu une ou des transactions avec Navin Ramgoolam. D’où l’impossibilité, avait fait ressortir Me. Glover, de soumettre quiconque à un contre-interrogatoire alors que cet exercice essentiel fait partie des droits constitutionnels fondamentaux garantis à tout citoyen mis en accusation dans notre pays.

Les deux magistrats siégeant à la cour, P. Sewpal (Acting Vice-President) et N. Parsooramen, ont retenu le point de Me. Glover et ont conclu ce qui suit :

— « Quand on prend en considération le fait que les 23 accusations sont presque identiques, ajouté au fait que les détails de la personne ou des personnes qui auraient pu être impliquées dans la ou les transactions sont inconnus, cela, inévitablement, rend l’accusation amendée de la police manifestement incertaine, au point de causer préjudice à la défense de l’accusé. L’incapacité de la poursuite à connaître les détails des personnes qui auraient pu avoir donné des sommes d’argent a non seulement nui dans une grande mesure à la préparation de la défense de l’accusé, mais il apparaît aussi que la poursuite débutera son procès avec un handicap considérable. »

— Finalement, la cour dirait également ceci : bien qu’il y ait nécessité d’assurer que des procès soient entendus on the merits dans l’intérêt public, toutefois, on ne peut pas permettre à un procès de continuer au point de compromettre les droits constitutionnels fondamentaux conférés à chaque citoyen de ce pays. Le besoin de faire observer ces droits enracinés dans la Constitution est d’un haut intérêt public qui surpasse tout.

— À la lumière de ces observations, la cour « is of considered view » que les 23 accusations ne passent pas le test de la certitude qui est requise sous les provisions de loi afin de permettre à la défense de connaître le cas auquel il doit faire face et de se préparer de manière adéquate. En d’autres mots, l’accusation amendée est mauvaise parce que vague et incertaine vu l’incapacité de la poursuite à fournir les détails de l’autre partie impliquée dans la transaction.

C’est devant une salle d’audience comble occupée très tôt par les dirigeants du PTr et de leur allié PMSD au sein de l’Alliance Nationale que les magistrats ont fait connaître leur position. Parmi ceux présents, on retrouvait le président du Labour, Patrick Assirvaden, Anil Baichoo, Lormus Bundhoo, Cader Syed-Hossen, Mamade Khodabaccus, Kushal Lobine et Richard Duval. Dehors, dans la rue, de nombreux partisans, majoritairement des rouges, attendaient bruyamment.

Il n’aura fallu qu’une toute petite demi-heure aux magistrats pour rendre leur verdict. Dans le box des accusés, Navin Ramgoolam, toujours dans un costume impeccable, est resté longtemps imperturbable. On ne l’aura vu qu’une seule fois se pincer les lèvres. Mais, à ce moment précis, l’affaire était déjà gagnée pour lui et il n’y avait qu’à voir les sourires satisfaits que Me. Yanilla Moonshiram, membre de son panel, lançait à Me. Glover pour en avoir confirmation.

La nature du délit reproché

D’entrée, l’Acting Vice-President a rappelé la nature du délit que la police reprochait au leader du Parti travailliste, soit d’avoir dépassé les limites de paiement en cash (Limitation of payment in cash) en contravention des sections 5, 7 et 8 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act 2002. Il y avait, en tout, 23 charges. Navin Ramgoolam plaidait non-coupable. Initialement, son panel d’avocats avait exigé des détails, dont les dates exactes quand les 23 offenses sont censées avoir été commises. Mais par la suite, cette démarche avait culminé avec une demande de la défense que toutes les accusations soient carrément rayées.

Donnant la réplique le 1er avril dernier, Me. Denis Mootoo, assistant-Directeur des poursuites publiques, était venu affirmer en cour que la poursuite ne pouvait citer une date spécifique et, dès lors, a utilisé la formule « entre le 31 janvier 2009 et le 7 février 2015 ». Me. Gavin Glover devait soutenir que par rapport à section 10 (2) de la Constitution, à la section 17 de la Criminal Procedure Act, à la section 125 de la District and Intermediate Courts Act, à la section 36 de la Criminal Procedure Act, l’information donnée par la police était « incertaine » dans le sens où elle ne décrivait pas amplement les circonstances matérielles dans lesquelles le délit imputé à son client aurait été commis, le privant ainsi de l’opportunité de se défendre devant une cour de justice.

Me. Gavin Glover est revenu à la charge le 14 juin, cette fois pour demander à connaître l’identité de la personne où des personnes impliquées. Ce à quoi Me. Denis Mootoo avait répondu que l’identité demeurait inconnue mais que les enquêteurs allaient venir avec des preuves qu’il y avait eu des transactions. La défense de Navin Ramgoolam a maintenu dans la condition que les personnes censées être impliquées n’étaient pas connues et que, donc, elles ne pourront pas être contre-interrogées et que les accusations devaient être annulées.

Le représentant du DPP a essayé de résister à cette requête de la défense et, à un moment donné lors des débats, il a remis en question le pouvoir même de la Cour intermédiaire d’arrêter le procès avant de l’avoir prise sur le fond. La Cour intermédiaire lui a fait remarquer que la discrétion de mettre fin à un procès suite à une demande en ce sens relevait du droit commun (Common Law).

D’autres temps forts

La décision des magistrats de la Cour intermédiaire contient d’autres moments forts. Par exemple, outre d’avoir fait ressortir que l’accusé Navin Ramgoolam n’avait pas été totalement informé des causes de son arrestation dans le cadre de l’affaire des coffres-forts, et ce, contrairement aux règles de l’équité, les magistrats ont également accepté l’argument de Me. Glover selon lequel, parce que l’identité de celui ou de ceux qui ont donné de l’argent à Navin Ramgoolam est demeuré « insaisissable », cela voudrait dire qu’aucun payeur ne serait appelé à témoigner. Par conséquent, l’accusé ne pourrait être sujet à l’accusation gravissime d’avoir « accepté de l’argent » tel que cette offense est définie dans la section 5 de la Financial Intelligence and Anti-Money Laundering Act (FIAMLA). Par conséquent toujours, cela peut réduire le cas de la poursuite à une simple question d’être en possession d’argent. Or, comme l’a plaidé Me. Glover, la cour aurait eu alors à statuer si la simple possession d’argent équivaut à dire qu’on a dû recevoir un paiement.

Les magistrats ont partagé l’avis que « un paiement est une chose et être en possession en est une autre. »

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