Je les regarde, debout côte à côte, les mains tendrement posées l’une dans l’autre, comme si ce geste leur appartenait depuis toujours. Cinquante ans. Un demi-siècle d’amour, de doutes, de silences, de batailles, de recommencements.
Ce jour-là, ils fêtent leurs noces d’or. Et moi, comme souvent, j’observe. Non pas par curiosité, mais par admiration.
Il y a une lumière particulière dans leurs yeux, douce et remplie de sens, elle est semblable à une flamme qu’on entretient patiemment, délicatement. Ces regards furtifs témoignent de la complicité qui règne entre eux.
Ce n’est plus le feu des débuts, celui qui consume, mais la chaleur apaisée de ceux qui ont su traverser le temps sans se perdre.
Enthousiaste, je réfléchis à ce que cela veut dire, aujourd’hui, aimer si longtemps. Tenir sa promesse. Tenir parole tout court. Ne pas fuir quand ça tangue. Choisir encore. Choisir l’autre, malgré les années, les blessures, les rides et les silences trop longs. Choisir, toujours.
À l’heure où les couples éclatent aussi vite qu’ils ne se forment, où l’on zappe les cœurs comme on change de série, cette longévité bouleverse. Elle apaise, réchauffe, redonne foi en l’amour, même dans ce monde adepte de binge-watching : passer à autre chose rapidement, changer quand ça ne plaît plus ou pas assez.
Sans juger : l’amour – le vrai, le sincère – ne devient-il pas aujourd’hui une terre mouvante sur laquelle on n’a plus le courage de s’aventurer ? Un terrain glissant où les plus jeunes ont du mal à s’engager ? On vit dans une époque où l’on a appris à partir dès que ça fait mal. On se casse sans essayer de réparer. On aime égoïstement en pensant d’abord à soi, à son petit confort, à ses habitudes et à ses loisirs. Et on confond l’élan du désir avec la profondeur de l’amour, la fougue de la passion avec la construction.
L’engagement fait peur, parce qu’il implique le renoncement, la patience, la vulnérabilité, le don de soi. De plus, on nous pousse à croire que tout est possible, qu’il n’y a pas de limite, qu’il n’y a plus lieu de faire des concessions, et que tout est remplaçable, même les êtres.
Ne se trompe-t-on pas entre liberté et fuite ? Et si on passait à côté de cette beauté-là : celle de traverser la vie à deux, avec ses chaos, ses saisons, ses éclats et ses joies. Apprendre à aimer non pas l’image de l’autre, mais son évolution : ses imperfections, ses faiblesses, ses manquements. Mais aussi ses qualités, sa disponibilité, ses attentions. C’est à partir de cela qu’on peut construire, puis reconstruire, inlassablement.
Le couple qui m’a invitée à être témoin de leur renouvellement de mariage est tellement souriant et heureux. Ensemble, mari et femme avancent la tête haute. Ils ont de quoi être fiers de leur accomplissement. Ils ont sans doute connu un peu de lassitude, pas mal de tourments et quelques disputes. Se sont-ils fait du mal? Peut-être. Mais ils ont su pardonner. Pas par devoir. Par choix, par volonté. Par envie de comprendre, d’apprendre, de grandir ensemble. Par décision de vivre un jour à la fois tout en faisant des projets ensemble et en rêvant main dans la main.
Ils ont su non seulement se regarder les yeux dans les yeux, mais surtout garder les yeux tournés vers la même direction.
Cet amour-là est le choix quotidien de voir l’autre dans sa vérité et de décider de l’aimer malgré tout. C’est accepter l’impermanence et l’accueillir fidèlement.
Combien fuient dès les premières difficultés ? Combien d’autres croient qu’un accroc veut dire que c’est la fin, qu’une faille est une fracture ? Et combien, meurtris dans leur déception, leur désillusion, leur orgueil et leur obstination, ne peuvent plus se voir ?
Et pourtant, quand je regarde ce couple en or, qui entame maintenant une danse sur la chanson “Une belle histoire” de Michel Fugain – sous le regard attendri de leurs proches -, on peut se dire qu’eux, ils sont restés et ont tenu bons ; que chaque jour a dû être un renouveau ou un commencement. On peut se dire avec certitude que leur vie à deux a dû aussi être faite de moments de rires, non pas seulement par légèreté mais par complicité, comme un langage d’intimité qu’eux seuls comprennent.
Alors que, sur la piste de danse, l’époux souffle tendrement à sa bien-aimée des mots qu’on n’entend pas, elle éclate de rire, comme une jeune fille… même cinquante ans après ! Ça a de quoi faire vaciller. Ou plutôt, ça a de quoi réconforter ! Et quel bel exemple ! Quel témoignage pour les jeunes générations qui, mine de rien, observent et apprennent de leurs parents et de leur entourage.
Cinquante ans d’amour. Pas parfait, mais vrai. Et s’il fallait réapprendre à notre société à aimer comme ça ? Lentement. Longtemps. Avec endurance, persévérance, espérance et confiance.
