Le silence dans le bruit

Il peut paraître paradoxal de parler de silence dans le bruit, mais cela est bel et bien possible.

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Début octobre 2022 : je me retrouve loin du brouhaha de la vie agitée pour me poser dans un endroit retiré. Ici, le lieu est autrement bruyant : le vent s’y révolte, déchaînant du coup la mer, maltraitant les branches qui ont du mal à résister à cette force qu’on ne voit pas, mais qu’on sent, et qui nous ballotte dans tous les sens avec arrogance. Visiblement, la nature et l’homme n’ont d’autre choix que de se soumettre à ses caprices.

Cela est intimidant de se retrouver comme seule au monde dans ce sud sauvage où les klaxons et les cris pourraient à peine être entendus, tellement les sons de la nature s’engouffrent dans nos oreilles. Cela a aussi un côté exaltant d’être plantée là, si vulnérable, en ce lieu si majestueux.

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Nichée à quelques mètres d’une falaise, je ne suis pourtant pas au bord du gouffre. Les vagues grondent de manière incessante et les feuilles sifflent sans se fatiguer. Tout ce vacarme est captivant.

Cette nuit promet d’être d’une tranquillité bruyante. Tranquille parce qu’autour de moi il n’y a aucune activité ; bruyante parce que mes compagnons de la soirée, les chauves-souris, se chamaillent sans arrêt. Elles émettent des sons si aigus que Bianca Castafiore, dans Tintin, n’oserait même pas chanter face à elles. C’est à qui qui crie le plus fort et de la manière la plus stridente. Toutes accrochées à un arbre imposant ancré au milieu du jardin, elles déploient leurs ailes gris foncé de temps à autre pour planer au-dessus de la plaine, probablement à la recherche de quelque chose à se mettre sous la dent. Leurs sons sont des ultrasons qui me cassent les oreilles tout au long de la nuit, mais auxquels je finis par m’habituer. Le bruit constant nous apprend finalement à faire silence en soi pour ne point se laisser déranger, dans ce cas, par ces petits mammifères volants qui, de surcroît, voient la vie à l’envers. A-t-on idée de vivre en bas là-haut ?

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Une fois que la nuit tire à sa fin, les tapageurs nocturnes sombrent dans un sommeil profond et laissent la place, dès les prémices du jour nouveau, aux chants des oiseaux. Ceux-là sont tellement plus mignons avec leurs vocales harmonieuses et agréables. On a même envie de leur jeter quelques miettes pour calmer leur appétit de moineau.

Cela dit, de sons en chants, une soirée comme celle-là n’est pas si reposante. Pour avoir un peu de calme et de repos, je m’installe dans une pièce sous un immense toit de bois et de tôle. À l’intérieur de cet espace apaisant et accueillant, le silence y est religieux. Pas un bruit, pas un son n’émanent de là. Rien à part les paroles de la petite voix intérieure. Celle-là même qu’on aimerait faire taire, de temps en temps, histoire de décrocher ou de raccrocher, rien qu’un instant. 

Ici, rien ne vole non plus, à part les minuscules poussières visibles à travers les premiers rayons de soleil. Telles des paillettes d’or prêtes à rester en apesanteur de bien longues secondes, les particules de poussière dansent très lentement et de manière nonchalante. Suspendues en l’air, elles donnent une impression de stand still.

Ce silence est positivement pesant et peut être qualifié de “silence sourd” ; il permet d’entrer en profondeur en soi. Ce qui est bienfaisant et bienvenu en ces temps de chaos. Aucune notification du foutu téléphone ne passe, rien ne peut venir déranger ces minutes paisibles et sereines. Rien à part l’arrangement sonore, toujours et encore, de cette nature qui semble s’être « arrangée » pour être présente dans cette absence de bruit. Elle ne peut pas me lâcher pour une seule et évidente raison : tout est tellement silencieux à cet instant et à cet endroit précis, que les moindres petits bruissements se font entendre. Au loin, d’abord. Puis, plus on entre dans un grand silence, plus ceux-là deviennent clairs comme s’ils se rapprochaient. 

La mer en cette matinée gronde encore, mais elle semble moins en colère. La nuit porte conseil dit-on ! L’océan qui a ragé toute la nuit n’a plus de rancœur et de douleur à déverser. Au lever du jour, réconforté par ce doux soleil et ce ciel bleu clair sans nuage, il s’est apaisé. Les vagues, elles, cognent encore contre la falaise, mais avec moins de fracas. Tout cela me fait penser que ce jour nouveau est déjà plus serein.

Là où je suis, j’entends la toiture craquer de part et d’autre. Cette auguste structure travaille et le bois évolue comme pour asseoir sa stabilité. “Crac !” ici. “Crac ! “là. « Cric, crac, crac… » Le toit craque tout comme des branches à l’extérieur et, en même temps, j’entends les battements de mon cœur (ouf, Dieu merci, il bat encore !) qui crépitent et palpitent en ce lieu où les anges semblent apporter soutien et réconfort. Un vrai délice.

Et pendant que cette sympathique symphonie s’improvise, la petite voix au fond de moi se met à bavarder : toujours à poser des questions sans réponse, celle-là ! Une pensée me traverse alors l’esprit. Qui, d’entre nous, arrive à l’âge adulte indemne ? Plein d’autres questions se bousculent dans ma tête, comme des chevaux lâchés des starting stalls. Mais ici, personne ne sème volontairement des obstacles meurtriers comme cela fût le cas au Champ de Mars. Sur cette route intérieure, personne n’attente à la vie de personne ; personne n’objecte à la liberté de l’autre.

Je reviens aux questions rhétoriques qui galopaient follement dans mon esprit. Que fait-on de nos blessures si l’on ne peut trouver ceux (ou Celui) qui peuvent les panser ? Peut-on grandir de pardon en pardon sans pour autant oublier quoi que ce soit et sans s’oublier, non plus, dans une infernale solitude ? Qu’est-ce la réussite ? Et l’échec ? Ce dernier amène-t-il nécessairement à un sentiment de honte ? Il est certainement possible de réussir un échec, non ? 

De questions sans raison, en raisonnements inutiles, une question me revient quand même sans cesse. Une que nous nous posons tous, au moins une fois dans notre vie : “Quel est le plan pour ma vie ?” Bonne question à laquelle il n’y a pas de réponse précise et définitive.

La baie vitrée en face de moi me permet de voir les oiseaux voler, planer, virevolter pour ensuite s’en aller, sans bruit, sans s’inquiéter. Ces créatures ne font sans doute pas de grand plan dans leurs vies, à part décider d’aller à gauche, à droite, tout droit ou de se poser sur une branche. Toutes ces questions qui m’ont traversé l’esprit finissent elles aussi par s’en aller, sans bruit, sans m’inquiéter. 

Finalement, de silence total je n’en ai pas eu. Faut-il aller encore plus loin, dans le désert peut-être, pour le trouver ? Là-bas, jusqu’où va la voie intérieure ? Et peut-elle se taire totalement là-bas ?

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