L’ère des nouveaux Rois ?

Alors que le président Donald Trump se félicite d’avoir amené « une issue » au confit istraélo-palestinien, des millions d’Américains ont défilé ce samedi 18 octobre à travers les 50 Etats du pays pour dénoncer la dérive autoritaire du président républicain et sa militarisation des villes américaines.
Organisée par une coalition de groupes pro-démocratie menée par Indivisible, cette grande manifestation était placée sous l’appellation « No Kings Day ». Au centre, l’inquiétude grandissante face à ce que beaucoup considèrent comme un effritement démocratique qu’ils n’auraient jamais cru voir dans leur pays, voire un glissement accéléré vers « la tyrannie », avec un effondrement des garde-fous institutionnels. A quoi est venue s’ajouter, le 25 septembre dernier, une « directive de sécurité nationale » qui charge les quelque 200 cellules antiterroristes du pays de « poursuivre et démanteler les entités et individus impliqués dans des actes de violence politique. Les points communs qui animent ces comportements violents sont notamment l’antiaméricanisme, l’anticapitalisme et l’antichristianisme ; l’extrémisme en matière de migration, de race et de genre ; et l’hostilité envers ceux qui ont des opinions traditionnelles sur la famille, la religion et la moralité», liste cette directive.
«Le mémo de Trump n’est rien d’autre qu’un plan d’intimidation, jetant les bases pour surveiller, harceler et démanteler les mouvements légitimes en faveur de la justice et de la démocratie», dénonce Ezra Levin, cofondateur d’Indivisible. Qui estime que cette directive va clairement initier une chasse aux sorcières politique, allant jusqu’à donner aux forces de l’ordre le pouvoir de considérer des opinions comme des «indices» d’un passage à l’acte, et donc de les sanctionner. Une position à laquelle font écho plus de 200 organisations américaines qui estiment qu’il s’agit là d’un texte dont l’objectif est de «d’instiller la peur, de museler la liberté d’expression, et de criminaliser les opinions divergentes ».
D’où la conviction que la mobilisation du peuple est aujourd’hui la seule opposition qui reste. Et la seule façon de sauver une démocratie américaine en plein recul.
L’administration Trump a réagi à cette mobilisation en sortant l’artillerie lourde : “I encourage you to watch, we call it the ‘Hate America’ rally, that’ll happen Saturday,” a ainsi déclaré Mike Johnson, speaker républicain de la Chambre des représentants. « Je parie que vous verrez des partisans du Hamas. Je parie que vous verrez des antifas. Je parie que vous verrez les marxistes en pleine action, ceux qui refusent de défendre les principes fondamentaux de cette république ». Allant jusqu’à accuser les manifestants d’être des terroristes.
Ce à quoi Ezra Levin réagit en disant : « La seule chose qui effraie un régime autoritaire impopulaire, c’est le pouvoir populaire massif, organisé et pacifique. »
Cette démarche semble en effet relever d’une manœuvre classique de l’autoritarisme, qui présente l’expression d’une opposition comme une chose violente et dangereuse, dans une volonté claire de la déshumaniser et de justifier l’utilisation de la force pour la réprimer.
C’est notamment ce qu’on a pu voir à Madagascar ces dernières semaines, où le pouvoir contesté du président Andry Rajoellina a d’abord tenté de faire passer pour violente la contestation pourtant pacifique menée par la Gen-Z contre la corruption, les exactions, l’exploitation économique et le despotisme qui caractérisaient son pouvoir. La rue n’ayant pas faibli pendant des semaines, il s’est finalement vu « exfiltrer » par le gouvernement français pour se réfugier à Dubaï (tout en refusant de renoncer au pouvoir), alors que son ex-Premier ministre Christian Ntsay et son ami milliardaire Maminiaina Ravatomanga orchestraient une rocambolesque fuite vers Maurice à bord d’un jet privé sans autorisation de vol.
Ce vendredi 17 octobre, c’est finalement le colonel Michaël Randrianirina, 52 ans, qui a prêté serment comme nouveau président en promettant une «rupture avec le passé». Pour l’heure, la population semble porter un regard plutôt positif sur cet homme originaire de l’Androy, terre délaissée du sud de Madagascar, issu d’une famille de petits fonctionnaires, qui n’appartient donc pas aux grandes familles qui se sont partagées les richesses et qui ont saigné le pays depuis l’indépendance acquise en juin 1960. Image d’autant plus favorable que le 11 octobre dernier, c’est lui, en sa qualité d’officier du Capsat (le Corps d’armée des personnels et des services administratifs et techniques), une puissante unité de l’armée malgache, qui a protégé les jeunes manifestants des gendarmes et leur a ouvert l’accès à la place du 13 mai au cœur de la capitale malgache. Les décrivant comme « une jeunesse audacieuse victime d’injustice, du pillage de ses ressources et du détournement des biens publics », qui est descendue dans les rues « pour réclamer la refondation nationale et la résolution des problèmes socio-économiques récurrents dans le pays ».
Le colonel Michaël Randrianirina insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas là d’un coup d’Etat, vu que ce sont les juges de la Haute Cour constitutionnelle qui, ayant constaté la «vacance» du poste de président, ont appelé «l’autorité militaire compétente, incarnée par le colonel Randrianirina Michaël, à exercer les fonctions de chef de l’Etat».  Reste toutefois à savoir comment il va assurer et respecter sa promesse d’une transition «de dix-huit à vingt-quatre mois» avant l’organisation d’élections.
Si certains se montrent sceptiques, faisant valoir que Madagascar a déjà connu des épisodes semblables par le passé et que tout cela n’aboutit au final qu’à une reprise en main du pouvoir par l’armée, les jeunes de la Gen-Z eux semblent en tout cas bien décidés à faire valoir que les temps ont changé, et qu’ils n’accepteront pas d’être privés de leur droit à décider de leur avenir.
La démocratie est-elle en train de prendre une nouvelle forme ?
Dans un article intitulé “France is not alone in its crisis of political faith – belief in a democratic world is vanishing” publié cette semaine par The Guardian, Simon Tisdall reprend une allocution du Président français Emmanuel Macron déplorant la « dégénérescence démocratique » dont souffre selon lui l’Europe. De nombreuses menaces provenaient déjà de l’extérieur, de la Russie, de la Chine, des puissantes entreprises technologiques américaines et des entrepreneurs des réseaux sociaux. « Mais ne soyons pas naïfs » a déclaré le président français. « De l’intérieur, nous nous replions sur nous-mêmes. Nous doutons de notre propre démocratie… Nous constatons partout que quelque chose dégrade notre tissu démocratique. Le débat démocratique se transforme en un débat de haine. »
Mais, argue Simon Tisdall, « la France « ingouvernable » n’est pas seule à vivre des divisions profondes et tenaces. Partout en Europe, au Royaume-Uni et aux États-Unis, la méfiance et les griefs aggravent chaque jour les dysfonctionnements politiques et les discordes sociales. La conviction que la démocratie est la forme de gouvernance la mieux adaptée au monde moderne s’affaiblit, surtout chez les jeunes ». Maroc, Kenya, Bangladesh, Philippines, Nigeria, Turquie, Indonésie, Madagascar, Népal : partout la corruption et les abus de pouvoir déclenchent des manifestations antigouvernementales.
« Tel est le défi fondamental auquel chacun est confronté : la démocratie ne fonctionne pas, ou si mal qu’elle risque d’être abandonnée. Les États-Unis, autrefois exemplaires – un paradigme perdu – et l’Europe occidentale divisée vacillent. Et une fois de plus, les démocraties moins établies du Sud, ainsi que d’Europe centrale et orientale, sont en première ligne dans une guerre froide d’influence et de valeurs qui s’intensifie et qui s’oppose à l’axe Pékin-Moscou (…) Une crise arrive » affirme Simon Tisdall.
Au milieu de cette débâcle, certains semblent vouloir ramener des pouvoirs absolus. Fin août dernier, Donald Trump déclarait que bon nombre d’Américains «aimeraient avoir un dictateur»…
Sommes-nous en train d’entrer dans l’ère des nouveaux Rois ?
Y résisterons-nous ?
Aux Etats Unis, en France et à travers l’Europe, au Népal, à côté de nous à Madagascar, un peu partout à travers le monde, on voit s’amplifier, dans la rue, la contestation de pouvoirs jugés de plus en plus anti-démocratiques. Au point où certains estiment que la démocratie ne fonctionne pas, « ou si mal qu’elle risque d’être abandonnée ». Mais partout se profile aussi le risque de voir apparaître de nouveaux « Rois ». À l’image de Donald Trump déclarant, tongue in cheek, que bon nombre d’Américains «aimeraient avoir un dictateur»…

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