Il y a eu du temps de perdu mais heureusement que, devant le dossier qui s’est considérablement épaissi sur la gestion de la banque de Maurice par le gouverneur Rama Sithanen et l’intrusion intempestive de son fils, aussi indélicat que grossier, le Premier ministre a fini par trancher. C’est ce que tout le monde attendait de lui.
Comme l’a très justement souligné, hier, le PM Navin Ramgoolam, lors de sa conférence de presse – un exercice rare mais plutôt réussi, surtout lorsqu’il a personnellement et totalement assumé la décision du report de l’âge d’éligibilité à la pension universelle à 65 ans –, personne ne discute des compétences de Rama Sithanen.
Mais malheureusement, pour tout brillant qu’il est, le gouverneur de la banque centrale n’a visiblement pas su tirer les enseignements du vote des dernières élections générales. Les Mauriciens n’ont pas explosé Lakwizinn de Pravind Jugnauth pour se retrouver avec une toute nouvelle à la banque de Maurice avec le même menu : ingérence de tiers, menaces et pressions pour renvoyer sans raison des cadres pour les remplacer par « nou dimoun » et « nou ti kopin ». Comme si les Dounk avaient été remplacés par le fils du « Dad ».
Il faut aussi être vigilant ailleurs parce que les miasmes hérités du MSM ne sont pas que des virus passagers qui partent d’un coup de Karcher, même s’il est de puissance 60/0. Les nouvelles cuisines s’organisent et elles veulent imposer leur agenda. Ils ont aussi pour mission de saboter le travail du gouvernement.
Navin Ramgoolam a eu raison de mettre en exergue ce qui s’est récemment passé dans la police et la décision de certains de persister à aller intimider Narain Jasodanand, malgré des directives contraires. Il y a dans la police des petites cuisines qui roulent à plein régime et qui ont pour mission de flétrir l’image du gouvernement. Ce sont ceux qui ont profité de tous les excès de l’ancien pouvoir. Ils agissent dans l’ombre et croient qu’ils précipiteront ainsi le retour de leurs anciens parrains.
Entre mafia et corporatismes, il n’y a souvent qu’un film ténu, celui de l’épaisseur du papier mousseline. Anil Baichoo, qui essaye de mettre un peu d’ordre dans un service de santé qui n’est pas à la hauteur du budget de Rs 18,5 milliards annuels de fonds publics, se heurte à des réflexes corporatistes parmi les médecins, dont son propre collègue Farhad Aumeer, encore peut-être frustré de ne pas avoir été nommé à la place du premier député du no 9.
Autre corporatisme qui rend de plus en plus circonspect, celui de la confrérie légale. Bien que Gavin Glover soit désormais l’Attorney General et le principal conseiller légal du gouvernement, ses confrères font comme s’il prenait quotidiennement sa toge pour aller plaider. Certains balancent son nom pour un oui pour un non et il leur arrive même de parler à sa place.
Ce qui s’est passé dans le cas des Rs 800,000 transférées sans signature formelle du fils Jagai, toujours en détention, et qui a valu au manager de la MCB de la succursale de la rue SSR (Desforges) une arrestation, suscite des interrogations.
Si la transaction est illégale et qu’elle porte sur un « proceed of crime », comment peut-on savoir et conclure que le chèque de Rs 115,000 destiné à Me Gulbul est, lui, de l’argent propre ? Qui à la FCC éclairera l’opinion publique sur l’origine des honoraires de l’avocat de ses suspects ?
Il ne suffit pas à son avocat, Me Antoine Domingue en l’occurrence, de venir expliquer que tout a été fait dans les règles de l’art, d’avoir parlé à la FCC et à l’Attorney General, de critiquer certains articles de presse et, surtout, de rappeler que son client est l’époux de la chef juge, pour que tout devienne subitement limpide et que cela réussisse à convaincre. La FCC a un devoir d’expliquer sa position dans cette affaire précise !
On ne sait pas si c’est, ici, une question de cuisine ou de corporatisme, mais le judiciaire aussi doit rassurer sur sa politique pénale. Si un voleur de chocolat pour un montant de Rs 540, sur aveu de culpabilité, a été de manière expéditive envoyé en prison pour six mois, sans possibilité d’obtenir des travaux communautaires à la place, il sera intéressant de voir la suite de l’interpellation de Kalpana Koonjoo-Shah qui a « malencontreusement fait tomber des produits cosmétiques dans son sac » sans passer par la caisse. Il est, en effet, urgent de tester que tous les justiciables sont logés à la même enseigne !
P.S. : Un mot pour saluer la mémoire de Malenn Oodiah, un pur produit des mutations philosophiques, idéologiques et sociologiques des années 1970. Cette génération post-’68 qui a porté le mauricianisme comme un étendard et comme un rempart contre les divisions ethniques qui auraient pu se nourrir encore longtemps des tensions nées de la campagne pour l’Indépendance du pays.
Malenn était de cette génération qui discutait de l’état du pays et du monde avec les puissants comme avec le simple travailleur ou le citoyen, rencontrés au gré de ses pérégrinations, traversant, avec ses yeux curieux et son oreille attentive, la foule aux rassemblements politiques et syndicaux, tâtant au plus près le pouls des diverses strates de la population.
Il venait aussi de cette époque où la jeunesse, encore privée de tout, s’interdisait d’être triste ou d’être défaitiste. C’est vrai que c’était avant les réseaux sociaux et les argumentaires de bas étage qui, aujourd’hui, ont remplacé les débats féconds et stimulants. C’était l’époque où la discussion se déroulait sans acrimonie et sans haine.
On pouvait discuter de tout sans se prendre la tête parce que tout se terminait invariablement par un partage de victuailles et d’un mélange de bouteilles de toutes sortes, chacun participant selon ses moyens.
C’était ainsi lors des Sega Nights que Malenn organisait sur la plage de Flic-en-Flac. On s’y rendait entassé dans les rares voitures dont disposaient quelques amis, pendant que d’autres, venus en bus, attendaient celui du petit matin pour rentrer chez eux, contents d’avoir refait le monde sous les étoiles entre camarades militants.
Si sa plume et ses réflexions continueront à irriguer la pensée mauricienne, si les fruits et les fleurs de son jardin nourriront pour longtemps son souvenir, son génial coup de ravane, lui, résonnera toujours comme un rappel de ce qui fait d’un individu un homme entier, soit celui qui pouvait s’intéresser aux philosophes contemporains, qui aimait confronter les idéologues d’un autre temps, discuter d’avenir et s’amuser avec des personnes de tous horizons et sur toutes les musiques du monde.
Hommage, donc, à celui qui incarnait par dessus tout une certaine idée de l’âme mauricienne. Mes pensées émues et solidaires vont à Adi, à Milan et aux proches de Malenn.
JOSIE LEBRASSE