Me Robin Mardemootoo : Directeur des Poursuites publiques :« Mon vécu de l’affaire de la vente de 10% des actions de la NMH »

Les révélations autour du rachat par la Mauritius Investment Corporation des actions de l’hôtel Apavou ont fait ressurgir une autre affaire de vente d’actions. Il s’agit de celle dite des actions de la New Mauritius Hotels en 2016. Me Robin Mardemootoo, un des protagonistes de cette affaire, nous donne sa version des faits.

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l Vous êtes à l’origine de l’affaire de la vente d’actions de la New Mauritius Hotels en 2016, au cours de laquelle des irrégularités auraient été commises. Cette affaire, qui a fait l’objet de rumeurs et d’une enquête dont les conclusions n’ont jamais été publiées, revient dans l’actualité dans le sillage de l’achat par la MIC des actions de l’hôtel Apavou. Comment est-ce que la première affaire commence pour vous ?

— Nous sommes en 2015 quand je réalise que certaines compagnies hôtelières mauriciennes cotés en bourse sont sous évaluées. Avec des amis locaux et étrangers qui, comme moi, sont passionnés par la bourse et boursicotent, on décide de monter un petit groupe qui va racheter des actions de ces compagnies quand elles seront mises en vente pour constituer un portefeuille. Le nom de Sunnystars est donné à une petite compagnie, qui commence à faire des petites transactions et c’est alors qu’un intermédiaire m’approche pour me proposer d’acheter deux fois 5% des actions de New Mauritius Hotels, détenues par deux sociétés. J’en parle à mes amis, on discute, on fait des calculs, et on décide de proposer une option d’offre d’achat de Rs 29 l’action en demandant un délai de six mois pour mettre les choses en place et réaliser la transaction.

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l Est ce que votre proposition est acceptée ?

— Le courtier revient vers moi pour dire que ses clients acceptent la proposition et que les instructions nécessaires ont été données à leur homme de loi. Leur avocat est revenu vers moi pour la suite des démarches. On s’est alors engagé dans une négociation des termes de l’Option Agreement.

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l Est-ce que vous réalisez à ce moment, en faisant cette offre d’achat, que vous êtes en train de chercher à intégrer – d’autres diraient de vous attaquer – à une bastion du capitalisme mauricien, du capitalisme blanc ?

— En toute honnêteté, je n’ai même pas pensé à ça, mais je vais apprendre plus tard que ma proposition d’achat est ainsi perçue par certains. Entretemps, les procédures suivent leur cours et la chose se sait. C’est-à-dire que 10% des actions de la NMH vont être vendues à un groupe mené par quelqu’un qui n’est pas du sérail, ce qui déclenche un branle-bas de combat pour faire capoter le projet. J’apprendrai plus tard que certains actionnaires importants de NMH voulaient nous empêcher de prendre ces 10% et racheter eux-mêmes les 10% d’actions mais avaient des problèmes financiers pour le faire. Ils sont allés voir les banques, mais avaient beaucoup de difficultés à obtenir les prêts demandés. Ils ont essayé de trouver d’autres groupes pour racheter les actions et n’ont pas réussi. Et parmi ces autres possibles acquéreurs contactés, il y avait le National Pension Fund (NPF).

l Qui n’était pas une compagnie privée.

— Tout a fait. Ils ont demandé à la NPF de les accompagner dans ce rachat parce que les chiffres annonçaient que la NMH allait produire d’excellents résultats financiers. Ils ont fait venir à une réunion avec la NPF le CEO de NMH pour montrer les derniers chiffres des hôtels !

l Qui sont ces ILS qui vont chercher des partenaires pour racheter les 10% d’actions en vente ?

— Trois frères, qui occupent des postes de direction dans des compagnies, dont trois qui sont d’importants actionnaires de NMH. Le responsable de la NPF dit alors que les résultats qui sont annoncés n’étant pas des résultats publics, cela pourrait être considéré comme un encouragement à participer à un délit d’initié, puisqu’il s’agissait d’acheter des actions sur la base de renseignements pas encore rendus publics. Un des frères aurait alors répondu : personne ne le saura.

l Mais d’ou tenez-vous ces informations plus que confidentielles ?

–Allez lire le rapport du Special Investigator nommé subséquemment par la FSC !

l Comment est-ce que des directeurs de compagnies côtés en Bourse et qui, par conséquent, connaissent ses lois et ses règles peuvent faire une telle proposition au responsable de la NPF ?

— Ils se savent intouchables. Ils ont la certitude de pouvoir violer les règles du jeu sans sanction. Le système est pourri. Les mécanismes de contrôle sont artificiels et hypocrites, et ne sont pas appliqués à tout le monde de façon égale. Le trafic d’influence est partout. Les gouvernements se suivent et se ressemblent, et tous sont à la merci du gros capital. Ils se font financer leurs campagnes électorales et deviennent, donc, redevables envers ceux qui les financent. Et bien sûr, les problèmes sont réglés par la corruption au cas par cas. Vous croyez que c’est mon rôle de dire tout cela ? Il n’y a que moi qui la voit, cette pourriture ? Ramgoolam et Bérenger ont 80 ans. Avec le 60-0, ils ont les moyens d’amender la Constitution et de mettre en place des systèmes qui vont durer dans le temps et qui peuvent éradiquer à jamais la corruption, et de faire de Maurice un modèle de good governance. Mais soyons justes : ni Ramgoolam, ni Bérenger n’étaient au pouvoir pendant les dernières dix années, donc on ne peut pas les blâmer pour cette affaire. Du moins, pas encore.

l Peut-on dire que c’est la proposition de rachat des 10% d’actions de la NMH par votre petit groupe qui déclenche toutes ces réactions ?

— Visiblement, leur objectif était de prendre ces 10% afin d’empêcher d’autres de les acheter. D’ailleurs, un de ces directeurs avait même déclaré à la presse, peu de temps après, que NMH n’était désormais plus prenable, tellement il était fier de ce qu’il avait accompli. À ce moment, j’ignore tout de ce qui est en train de se passer : ces propositions, tractations et négociations faites derrière les rideaux. La veille de la signature officialisant notre option, le courtier m’appelle pour me dire qu’il y a un problème. Les vendeurs me font savoir qu’ils ont eu une offre directe d’achat et qu’ils voudraient l’accepter. C’est ainsi que trois compagnies, gros actionnaires de NMH, achètent les 10% d’actions qui étaient mises en vente. Nous sommes en janvier 2016.

l  Mais la Bourse ne réagit pas ?
— Une bourse, c’est comme un bazar. Les vendeurs exposent leurs produits, les acheteurs viennent acheter. Il y a des règles et des systèmes qui existent pour protéger les acheteurs, qui sont des consommateurs. Au bazar de Port-Louis, il y a des systèmes en place pour empêcher de vendre de la viande périmée, par exemple ; il y a aussi des mesures prises pour éliminer les rats. Ceux qui gèrent la Bourse et ceux qui sont censés jouer le rôle de régulateurs devraient s’en inspirer, car la place est infestée.

l Mais comment est-ce qu’on commence à parler en public de ce secret bien gardé, en tout cas bien protégé ?

— On commence à recevoir des informations sur cette transaction, les langues commencent à se délier et les rumeurs à se faire entendre. Sunnystars retient alors les services de ma sœur Komadhi, avouée, qui envoie une lettre à la Financial Service Commission pour lui demander si dans le cas du deal en question, tout s’est passé dans le respect des lois, en faisant état de tous les éléments qu’on avait en notre possession. La FSC répond par un communiqué affirmant qu’il n’y a aucun problème. Zero problem, zero tracas : Maurice c’est un plaisir !

l Aucune réaction des compagnies qui ont racheté les 10% d’actions avec l’offre directe acceptée ?

— Rien du tout. Et pourtant, les acheteurs sont des sociétés regulated. Des gens laissent entendre que les directeurs sont très proches de celui qui contrôlait la FSC à l’époque et qui, depuis, nous a quittés. Les rumeurs persistant malgré le communiqué de la FSC, on décide d’envoyer une mise en demeure à cette institution puisqu’elle n’avait toujours pas réagi. L’acting CEO de la FSC, qui est un ressortissant indien, décide alors de nommer un Special Investigator en la personne de M. Kriti Takoordas, associé gérant chez Mazars, un grand cabinet financier, pour ouvrir une enquête selon les provisions de la loi. M. Takoordas retient les services d’un avocat, Avinash Sunassee, établit une liste de personnes à contacter dans le cadre de sa mission et commence son enquête.

l Je présume que vous fates partie de cette liste de personnes à contacter ?

— Effectivement, je suis convoqué et je raconte tout ce que je sais et dépose des copies des documents en ma possession. J’ai appris que l’enquêteur avait aussi essayé de rencontrer les directeurs des compagnies qui avaient racheté les 10%, mais que ces derniers auraient refusé de le rencontrer. Puis, l’un d’entre eux l’aurait rencontré avec son avocat et il aurait opté pour son droit au silence. L’enquêteur aurait également rencontré le responsable du NPF qui aurait confirmé la réunion avec les initiés primaires, secondaires et tertiaires, le caractère privilégié de l’information portant sur la situation et les perspectives d’évolution de NMH, la proposition indécente et la fameuse phrase : personne ne se saura pas. Ce qui est clair, c’est que ces gens le savaient très bien (1) leurs qualités d’initiés, (2) le caractère privilégié de l’information et (3) l’usage souhaité de l’information privilégiée. L’intention de commettre le délit est donc évident. En France, vous écopez d’une peine d’emprisonnement de 5 ans et d’une amende de EUR 100 millions. Aux USA, c’est 20 ans de prison. À Maurice, on vous met sur un piédestal. Tout le monde est responsable de ce système pourri, à commencer par les gouvernements successifs, les dirigeants des instances de régulation et des law enforcement agencies qui tolèrent cette pourriture, au détriment de notre pays et de son économie. Et ensuite, vous avez des criminels eux-mêmes qui n’ont aucun scrupule et qui trichent pour gagner. L’enquêteur fit son rapport en soulignant qu’il avait essayé de rencontrer tous les protagonistes, mais que certains avaient refusé de le rencontrer, certains ont parlé, d’autres ont gardé le silence. Selon le rapport, une série de délits a été commis dans le cadre de cette vente des actions.

l Je suppose que logiquement, à la fin de son enquête, le Special Investigator soumet son rapport au commanditaire, c’est-à-dire la FSC. Qu’est-ce qui se passe après ?

— Il ne s’est rien passé du tout, rien ! Rien du côté officiel. Mais la cerise sur le gâteau dans cette affaire aux multiples rebondissements c’est qu’un jour, j’apprends que l’ICAC a décidé de s’en mêler. Elle est allée demander et a obtenu un ordre d’un juge de la Cour Suprême, le juge David Chan, pour que la FSC lui fasse parvenir une copie du dossier afin d’ouvrir une enquête à son tour.

l Est-ce que l’ordre du juge a été respecté par la FSC ?

— D’après ce que j’ai appris, par recoupements, la FSC a donné l’ensemble du dossier à l’ICAC, sauf une copie du rapport du Special Investigator. Suite à cela, la FSC est allée, à son tour, en Cour pour se protéger en disant qu’elle ne pouvait remettre ce rapport. Résultat : cette affaire a eu lieu en 2017/18, nous sommes en 2025 et l’ICAC – ou plus précisément l’organisme qui l’a remplacé, la Financial Crimes Commission (FCC) – n’a toujours pas obtenu une copie de ce rapport. À ce qu’il paraît, la FSC serait désormais disposée à communiquer le rapport à la FCC et attendait que la FCC en fasse la demande.

l Un rapport dont l’ICAC n’a pu obtenir officiellement une copie, mais qui circule à Maurice accompagné de toutes sortes de rumeurs. Dont une qui affirme qu’un des directeurs des compagnies concernées dans le deal aurait pris des dispositions pour que le rapport ne soit pas rendu public.

— Apparemment les directeurs de compagnies impliquées avaient poursuivi le Special Investigator pour diffamation, que cela s’était soldé par un arrangement avec remboursement des legal fees et l’engagement de ne jamais s’exprimer sur le contenu de son rapport. C’est ce qui se dit en tout cas. Ce qui est avéré c’est que le rapport Takoordas est toujours bien protégé dans les armoires de la FSC et qu’il n’y a eu aucune action contre ceux impliqués dans le fameux deal. Nous vivons dans un monde où tous les protagonistes d’une affaire sont présumés innocents jusqu’a ce qu’une Cour de justice en décide autrement. Le Special Investigator a, certes, trouvé des éléments accablants, mais tant qu’un tribunal n’aurait pas statué, toutes ces personnes sont présumées innocentes. Mais il ne peut y avoir de procès au pénal sans mise en examen. S’il fallait mettre en examen et arrêter des gens dans cette affaire, il y aurait eu beaucoup de personnes qui auraient perdu leur statut fit and proper et, donc, leur égibilité à siéger sur les conseils d’administrations.

l Mais pour qu’une affaire aille devant une Cour de justice, il faut qu’il y ait une enquête, non ?

— Bien entendu. Tout ce que je vous ai dit sur cette affaire est un mélange des situations que j’ai vécues et de ce que contiendrait le rapport Takoordass. Ce rapport protégé dans les armoires de la FSC dont des copies ont abondamment circulé sur les réseaux sociaux, surtout après les révélations sur le rachat des actions de l’hôtel Apavou par la Mauritius Investment Corporation. Quand je vois tout l’effort fait pour cacher ce rapport du public et de l’ICAC, je me pose bien de questions !

l Par conséquent, les révélations autour du deal Apavou/MIC ne vous étonnent pas ?

— Je n’ai pas compris le parallèle que certains font entre l’affaire NMH et le deal Apavou/MIC. Sauf, peut-être, ce pattern de conflits d’intérêts dans les deux affaires. Cela dit, tout le monde peut faire des erreurs parce que l’homme n’est pas infaillible. Mais quand on fait une erreur, il faut le reconnaître et expliquer dans quelles circonstances on l’a faite. Les erreurs sont souvent accidentelles, de bonne foi, mais quand elles sont répétées et deviennent systématiques, on peut se poser des questions. Le problème des conflits d’intérêts est simple : c’est que ceux qui sont dans le decision making process d’une organisation participent à une prise de décision qui peut être conflictuelle. Il y a, alors, un danger que l’organisation en souffre, d’autant plus qu’elle prête flanc à toutes sortes de spéculations. En déclarant son intérêt, le directeur qui est concerné avertit les autres directeurs de ce conflit, et le conseil d’administration a alors le devoir de s’assurer que la transaction soit effectuée at arms’ length. Il suffit de déclarer son conflit. Pourquoi ne pas le faire ?

l S’il n’y avait pas eu de changement de gouvernement, on n’aurait jamais parlé, et surtout pas enquêté, sur le deal Apavou/ MIC ?
— Avec cette question, vous venez de toucher à quelque chose de dramatique pour Maurice. Comment cela se fait que la FCC découvre soudainement autant d’affaires ? Je n’attaque pas la FCC en tant que tel, mais le système dans lequel elle évolue. Elle devrait, elle doit fonctionner comme un organisme qui peut travailler librement, en toute indépendance, même sur les instances du gouvernement en place. Mais ça ne fonctionne pas comme ça ici, comme nous le savons tous, malheureusement. Il a fallu un changement de gouvernement pour que la FCC puisse enquêter… sur l’ancien gouvernement. Et ce sera pareil avec le prochain gouvernement. Il faudrait donner à la FCC ou tout organisme chargé de combattre la corruption et les crimes cols blancs, une garantie d’indépendance prévue par la Constitution et similaire à celle des juges de la Cour suprême. Il faudrait que les gens qui travaillent à la FCC soient intouchables : c’est uniquement à partir de ce moment que leur indépendance sera acquise…

l …donc si le gouvernement d’aujourd’hui décide de bloquer une enquête ou d’interdire la publication d’un rapport…

— …regardez Singapour : on a arrêté Ong Beng Seng, OBS, le multimilliardaire présumé intouchable. Cela a été possible parce que là-bas, les enquêteurs travaillent en toute indépendance et personne ne peut les toucher. Ils sont comme les juges qui ne peuvent être renvoyés que par un tribunal international. Il faut faire la même chose pour la FCC et certaines autres agences. Tant que leurs membres du conseil de direction et leurs personnels seront nommés par les politiciens au pouvoir, la lutte contre la fraude et la corruption n’avancera pas à Maurice.

l Est-ce que la circulation du rapport Takoordass et les nombreux commentaires qui ont suivi peuvent laisser espérer un changement dans la manière de fonctionner des conseils d’administration et de leurs membres ?

— Rien ne va changer tant qu’il n’y aura pas de sanctions contre des directeurs qui violent les lois en toute impunité, qui se retrouvent dans des situations de conflits d’intérêts et qui continuent toujours à faire partie des conseils d’administration. Les autorités, c’est-à-dire la BOM et la FSC, connaissent bien le concept fit and proper. Elles sont tellement strictes envers la masse que je ne comprends pas leur refus de voir l’absence de fit and proper là ou il n’y en a pas. Rien ne changera tant que l’autorité continuera à s’intéresser à certaines choses et à ne pas regarder d’autres.

l Quelle est la solution pour éviter que d’autres affaires, comme celle dont vous avez parlé dans cette interview, puissent se produire ?

— Il faut prévoir dans la Constitution une clause qui donne une security of tenure aux officiers de la FCC et qui empêcherait une simple majorité parlementaire de modifier les règlements des agences qui enquêtent sur la fraude et la corruption. Il faut protéger ceux qui enquêtent et créer un environnement avec suffisamment de sauvegardes. À Maurice, l’objectif est d’arrêter des gens et de créer du sensationnel. Les enquêtes aboutissent rarement, l’argent volé n’est jamais retrouvé.

l Cette solution est en train d’être mise en place ?

— Ramgoolam et Bérenger ont 80 ans et bénéficient du soutien de toute l’Assemblée Nationale. Et ils ont Rezistans ek Alternativ avec eux. Attendons voir !

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