L’Alliance du Changement avait juré que plus jamais le Parlement ne serait transformé en cour de récréation ou en arène de cirque occupée par des gladiateurs braillards. Elle avait juré que tout ce que les Mauriciens ont dû subir chaque semaine au Parlement, en termes de foire d’empoigne ou de majorité essayant d’empêcher la minorité de s’exprimer avec un Speaker n’entendant que ce qu’il voulait entendre, et jouant plus souvent au goal keeper qu’à l’arbitre, ne se reproduirait pas. Il faut admettre que dans un premier temps, ces promesses ont été tenues et que le Parlement était redevenu un lieu de débats, pas l’hémicycle où invectives, insultes et hurlements avaient remplacé les échanges civilisés. Mais petit à petit, le naturel est revenu au galop et les mauvaises habitudes du passé ont commencé à resurgir, encouragées par la nouvelle configuration politique du Parlement : une majorité de 61 face à une minorité de 3. De quoi donner envie d’instaurer aux plus forts la tyrannie ou la dictature du nombre. Aux petites piques ironiques ont succédé, parfois, des insultes. Dont un fameux « al met pendi » que le VPM adressa au leader de l’Opposition. Une phrase que la Speaker n’a pas entendu sur le coup et qui, on ne sait par quel miracle – ou sur quelles instructions –, aurait disparu du Hansard. Un peu comme autrefois il fut impossible de découvrir, malgré une enquête, l’identité du ou de la Parlementaire qui avait poussé un gros juron. Autre configuration politique, même tentation de censure ?
Ce qui s’est passé mardi dernier n’avait rien à envier aux scènes hebdomadaires que pouvaient suivre les téléspectateurs de la chaîne parlementaire. Franco Quirin, député dans la minorité, pose une question au ministre des Sports reposant sur un enregistrement de la voix d’un de ses conseillers. Le ministre botte en touche pour dire qu’il ne peut répondre à la question puisque la voix sur la bande enregistrée n’a pas été authentifiée. Comme autrefois celui qu’on avait surnommé le Loud Speaker protégeait les ministres du gouvernement MSM et alliés, l’actuelle Speaker soutient la position du ministre et refuse la question. Ce qui suscite les protestations de la toute petite minorité et les ricanements et remarques de la très grosse majorité. Le député Adrien Duval se lève alors et demande pourquoi pendant des mois, les ministres et députés de la majorité ont pu évoquer les fameux enregistrements du Missié Moustass – qui, jusqu’à preuve du contraire, n’ont jamais été authentifiés – sans que la Speaker ne trouve à en redire. Pour le député Adrien Duval, l’opposition est manifestement victime d’une politique de deux poids deux mesures en faveur de la majorité parlementaire. Retrouvant un comportement et un langage – des hurlements plutôt – qu’ils avait reprochés au MSM et ses alliés, les parlementaires de l’Alliance du Changement ont créé un brouhaha sonore pour empêcher le député Duval de s’exprimer. Le ministre Shakeel Mohamed a pris la direction des « opérations » pour se lancer dans une diatribe, mêlant insultes et attaques personnelles, dont il a le secret contre Adrien Duval. Face à cet affligeant spectacle de l’Assemblée législative ressemblant à s’y méprendre, avec ses cris et ses insultes venant des bancs de la majorité, à une vente à l’encan, la Speaker, n’arrivant pas à rétablir l’ordre, a dû suspendre la séance. Ce qui n’a pas empêché les menaces de continuer à fuser et les insultes de voler.
La nouvelle grosse majorité est en train d’utiliser la même technique que la majorité MSM et alliés utilisait autrefois contre la minorité parlementaire : la stigmatiser et l’empêcher de parler, surtout quand elle posait des questions pertinentes sur les décisions de certains ministres. Mais comme le MSM et ses alliés autrefois, en maltraitant les trois membres de l’opposition actuelle, en les ridiculisant pour les empêcher de questionner les ministres, les parlementaires de l’Alliance du Changement sont en train de leur offrir un statut de victimes. Ils sont en train de pousser ceux qui suivent les débats parlementaires à s’intéresser à ce que l’opposition dit, aux questions qu’elle pose et surtout aux réponses qu’elle n’obtient pas, qu’on ne veut pas lui donner. On disait hier qu’en tentant de protéger à tout bout de champ le gouvernement MSM et alliés, le Loud Speaker était devenu le meilleur agent politique de l’opposition. C’est exactement ce que la majorité de l’Alliance du Changement fait. Elle donne de la crédibilité et une image d’efficacité aux trois députés de l’opposition qui, on le pensait au départ, ne pourraient pas exister face à la très forte majorité. C’est le contraire qui est en train de se produire. Et la séance parlementaire de mardi dernier en était une parfaite illustration.
Jean-Claude Antoine
Même au Parlement, plus ça change…
- Publicité -
EN CONTINU ↻

