Sur la montagne du Morne, alors que nous sommes face à une vue imprenable sur le sud-ouest de Maurice, Ludovic lâche cette phrase : “On est là pour être ici”. Un cri du cœur qui ne veut à la fois rien et TOUT dire.
Après l’effort de l’ascension de ce lieu mythique, et juste avant la périlleuse escalade, les promeneurs s’en prennent déjà plein la vue de part et d’autre et ne peuvent que s’émerveiller de ce qui les entourent.
En ce début d’hiver où le vent frappe les arbres et marmonne à l’oreille, les promenades dans le charmant sud du pays ont l’avantage d’apporter dépaysement et ébahissement.
Loin de tout et près de soi, il est bon de se planter dans les lieux dépeuplés qui apportent tant de ressourcement. N’est-il d’ailleurs pas vrai que c’est dans le silence, la tranquillité et au cœur même de la création que Dieu peut se manifester ?
A Savinia, alors que le grondement de la mer impressionne les randonneurs, les veloutiers offrent un abri sous ses feuilles argentées. Lors de marches entre bois et plage, le soleil s’amuse à attirer le regard sur une multitude de reflets : sur l’écorce des arbres, sur les feuilles et entre les branches, sur la mer, le sable et les rochers. Cela pétille de partout avec éclats, d’un côté, et douceur, de l’autre.
Quittant cet endroit sauvage, nous nous aventurons vers d’autres villages, où les cascades rencontrées crachent l’eau avec rage tel un orage déchirant le ciel. Cette force brute de la nature est décoiffante. Les flots dévalent les rochers avec fracas, pulvérisant l’air de fines gouttelettes. Les cascades grondent, hurlent, vibrent, comme si la terre elle-même exprimait la colère des habitants. Pourtant, derrière cette furie, se cache une beauté indomptée et hypnotique. Chaque chute d’eau raconte, sans se lasser, une histoire sans fin et sculpte les rochers dans un mouvement perpétuel.
Des arcs-en-ciel se forment entre les eaux et contrastent avec la violence du tumulte, rappelant que même dans le chaos, la nature sait offrir des instants de grâce.
Le silence parle. Il insiste même. Ce silence est celui de la nature, dense, vivant, chargé de messages invisibles. Dans une forêt ou au sommet d’une montagne, ce silence n’est jamais vide. Il vibre du bruissement des feuilles, du souffle du vent, du craquement discret d’une branche. Il enveloppe, apaise et dit tant. Il parle de l’équilibre fragile du monde, de la patience du temps, de la vie, de la mort, des envies et des espoirs. Ce silence-là est une voix, profonde, que l’on n’entend que lorsqu’on apprend à écouter. Il ne crie pas, mais il touche délicatement l’âme comme aucun mot ne saurait le faire. Il est même capable de secouer et d’émouvoir.
Aventurons-nous encore un peu ! Dans des grottes où nous pouvons nous poser, l’écho joue avec nous. Quelque chose de magique et de presque intimidant se dégage. Alors que la lumière filtre à peine à travers la fine pluie, je m’arrête dans une grotte pour m’écouter. Mes paroles rebondissent contre les parois froides de la roche et reviennent à moi dans le murmure d’une voix connue. Il y a là un dialogue silencieux entre la pierre et le souffle. Ici et là, impossible de confier un secret à la montagne, elle ne ferait que mieux répéter ce qui lui a été confié. Le chant distant de l’eau est continu et, là, nichée dans une grotte spacieuse, je me sens si minuscule.
Dans le ciel, les Pailles-en-Queues se déploient aisément loin de tout béton, les hélicoptères survolent et les bambous de Chine s’élancent pour toucher les nuages.
Autre beauté des alentours : les routes du sud où les champs de canne s’étirent à perte de vue. Les fleurs, hautes et légères, frémissent sous le vent; le temps ralentit juste assez pour les laisser danser. Leurs reflets pâles et argentés accrochent la lumière, et tout autour, le paysage semble retenu dans un souffle doux, presque fragile.
Au fil de la journée, le teint gris de l’atmosphère laisse place aux couleurs orangées et chaleureuses du coucher du soleil. Petit à petit, les paysages reprennent de la couleur et l’appel d’un bon thé chaud se fait sentir.
“On est là pour être ici”. On peut crier cette phrase sur le toit du Morne, l’entendre en écho au creux d’une grotte, la murmurer en voiture ou se la dire face aux paysages qui nous font vibrer.
Le plus important est d’être heureux, là où nous sommes, sans chercher sans cesse à être ailleurs. Ici, c’est là et ailleurs, peu importe. Mais c’est être présent, là où nous sommes.