Pas assez

Un ancien ministre en prison. Siddick Chady a, depuis jeudi soir, commencé à purger ses 15 mois de détention au centre pénitentiaire de Beau-Bassin. On ne sait pas encore s’il sera éventuellement transféré dans un centre moins contraignant comme celui de Petit Verger et si la Commission de Pourvoi en Grâce, qui avait eu l’outrecuidance et l’indécence d’intervenir dans un procès en cours visant le fils du commissaire de police, démontrera la même diligence et la même indulgence vis-à-vis de Siddick Chady.

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C’est le deuxième ancien membre d’un gouvernement qui se retrouve derrière les barreaux. Le premier à avoir goûté à un amer enfermement fut le ministre travailliste Dr Kanchandraseeh Busawon. Le très discret politicien avait purgé une peine de prison pour des dettes non-honorées au début des années 80. Il est décédé en novembre 2012.
Deux ex-ministres condamnés à un intervalle de 40 ans, beaucoup parmi les gens à la base et les honnêtes citoyens diront que ce n’est pas assez. Et ils auront raison. Parce que, même lorsque la justice sévit comme elle se doit, il y a toujours comme une impression d’arbitraire qui continue à tarauder une partie de l’opinion.

Oui, la perception générale est que non seulement la corruption n’est pas combattue comme elle le devrait et que les corrompus notoires et les grands voleurs arrivent toujours à s’en tirer pendant que les auteurs de petits délits sont facilement coffrés et mis à l’ombre.

Dans le cas de Siddick Chady, nombreux sont ceux qui ne comprennent pas comment le co-accusé dans la même affaire Boskalis, Prakash Maunthrooa, condamné par la Cour intermédiaire à la même peine de prison de neuf mois, a pu voir sa sentence annulée par la Cour suprême pendant que Siddick Chady a vu la sienne augmentée de 12 à 15 mois. C’est l’actuel DPP Rashid Amine qui s’était investi personnellement dans ce dossier allant jusqu’aux Pays-Bas pour le boucler et amener les deux compères Chady et Maunthrooa devant la justice.

Cette affaire n’est pas sans rappeler celle de la fameuse caisse noire d’Air Mauritius. Le directeur financier Gérard Tyack avait, en 2002, été condamné à trois ans de prison pour complot en vue d’escroquer la compagnie nationale d’aviation. Le Privy Council, qui avait été saisi en dernier recours, avait ramené la peine d’emprisonnement de trois à deux ans.
L’ancien directeur, qui avait constamment soutenu avoir agi sur les instructions de son chef, Sir Harry Tirvengadum, a payé tout seul dans une affaire de fonds destinés à gonfler les allocations de certains hauts cadres et à alimenter aussi la trésorerie des partis politiques. Le “patron” de Gérard Tyack, plus acteur, après maints mandats d’amener, s’était finalement présenté en Cour allongé sur une civière. Cela avait suffi à émouvoir la Cour intermédiaire qui, en 2007, a rayé l’affaire en se basant sur sa “santé fragile”.

Décédé en 2012, Gérard Tyack avait purgé sa peine à la prison de Petit Verger, les travaux communautaires n’étant introduits qu’en 2003. Il avait mis sa période de privation de liberté au service de ses co-détenus en leur dispensant des cours de mathématiques et de comptabilité. Encore une fois, même dossier, même accusation, mais issue contrastée.
La justice des notables, ici comme ailleurs, a toujours fait débat et suscité beaucoup d’acrimonie chez des justiciables ordinaires. Le tribunal est parfois tributaire de l’orientation des enquêtes, selon qu’elles visent à rechercher et à établir la vérité ou selon qu’elles sont manipulées pour absoudre des protégés ou proches du régime en place.

C’est exactement ce qui se passe en ce moment avec l’affaire de faux incriminant l’ancien ministre et député du MSM Yogida Sawmynaden. Il a, certes, fait de nombreux allers-retours aux Casernes Centrales, mais on n’a jamais entendu les termes utilisés à tout bout de champ comme “en état d’arrestation” ou ne l’a-t-on vu être trimballé avec des menottes bien visibles, du quartier général de la police à la Cour pour s’acquitter d’une quelconque caution suivant les charges provisoires si prisées des enquêteurs. C’est le DPP qui a instruit le dossier et qui a logé les charges formelles.Le cas Yogida Sawmynaden est instructif à plus d’une titre. Il est le symbole de la décrépitude des institutions. Toutes les accusations faites à son encontre ont été balayées d’une main. Lorsqu’il a été contraint de se présenter en Cour dans le cadre d’une poursuite privée engagée contre lui, les autorités ont organisé un véritable siège de la capitale. C’était l’Ukraine avant l’heure !

Qui ne se souvient de ces rues barricadées, de ces”snipers” positionnés sur certains toits à proximité de la Cour intermédiaire, du défilé de gros bras et de quelques tapeurs socioculturels à la présence volontairement intimidante ? Tout ça pour une simple comparution d’un ministre visé par une Private Prosecution ! Le dossier a traîné aux Casernes Centrales et a connu le même rythme de tortue que l’affaire Kistnen qui a été pourtant disséqué par une magistrate.

Et lorsqu’on compare le cas du colistier du Premier ministre à ceux d’internautes détenus toute une nuit pour avoir partagé un post caricatural sur Pravind Jugnauth ou encore à ceux qui ont été tirés de leur lits quelques heures après qu’un agent politique portant un “jacket vert” sur son maillot orange ait porté plainte pour une agression imaginaire, le peuple est légitimement en droit de s’interroger et de s’indigner tant l’état de droit est devenu un outil malléable à souhait, selon que l’on est bien vu ou pas au Bâtiment du Trésor.

Maintenant qu’il y a le précédent Yogida Sawmynaden, il faut que la police et la justice aussi l’appliquent à tous les justiciables et que des charges provisoires ridicules – concoctées par des agents politiques déguisés en policiers – soient l’exception plutôt que la règle. On pourra alors vraiment dire que tous sont égaux devant la loi.

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