Sur les réseaux sociaux, cette semaine, un homme a provoqué l’indignation autour du sujet Maurice. Cet homme qui dit lui-même vivre à Maurice depuis 25 ans et être marié à une Mauricienne vient de publier un livre qu’il signe du nom de John Williamson. « Pseudonyme » qui n’a pas longtemps fait illusion, vu qu’il se montre à visage découvert sur une radio française pour faire la promotion de son ouvrage, et que ceux qui le côtoient à Maurice ont tôt fait de reconnaître un homme d’affaires français apparemment assez connu de la place, également contributeur du magazine L’Eco-Austral.
Cet homme s’exprime, donc, dans l’émission Ligne Droite sur Radio Courtoisie, radio associative française généralement considérée comme un pont entre la droite traditionnelle et la droite extrême. Il y parle de son ouvrage intitulé Un œil sur l’île Maurice – De l’isle de France à slumdog millionnaire paru en juillet 2025 aux éditions du Verbe haut basées à Nancy.
La description du livre sur le site de l’éditeur est intéressante à plus d’un titre. « Cet essai aux accents pamphlétaires propose une déconstruction du cliché : « L’Île Maurice ? C’est le Paradis ! » (…) Une analyse critique, « débranchée de la Matrice ». Cet œil sur l’Île Maurice est donc d’abord celui de l’auteur, un regard métapolitique sur ce « bon élève de la mondialisation ». Le titre illustre aussi, par un symbole architectural, la modernité de ce pays transformé en trois siècles, d’un joyau naturel encore Français, en un projet multiculturel qui interroge. Le déroulé de cette investigation démontre en vingt et un chapitres que l’Île Maurice est embarquée dans des processus qui la dépassent. Mais qu’elle est aussi très liée au pays qui l’a fait naître, la France d’ancien régime. L’auteur dévoile ainsi la véritable mission conjointe de ces deux territoires subtilement imbriqués et offre à l’ancienne « Isle de France » une voie de Salut ».
Édifiant…
M. « Williamson » est, bien entendu, libre de son regard critique et de son constat économique, social et politique.
Il interpelle, toutefois, par le parallèle pour le moins bancal qu’il fait entre l’immigration en France et l’immigration actuelle à Maurice, et celui dressé avec les Trente Glorieuses (terme qui désigne la période d’expansion économique sans précédent qu’a connu la France, comme les autres grands pays industriels, du lendemain de la Seconde Guerre mondiale jusqu’au choc pétrolier de 1973.) Il s’en va ainsi filant une « métaphore » de la loi des trente entre Maurice et la France, allant jusqu’à affirmer que La France fait trente fois le territoire mauricien (euh, si on considère uniquement l’île Maurice et ses 2,040 km2, cela fait plutôt 270 fois plus petit par rapport aux 551,695 km2 de la France, et si l’on considère la République de Maurice en prenant en compte ses 2.6 millions de km2 de territoire maritime, cela ferait plutôt 5 fois La France. In any case, on ne sait pas d’où sortent les 30 ailleurs que dans l’esprit de ce monsieur.)
On ne peut, en tout cas, s’empêcher d’être frappé par son ton euro-centré, paternaliste, voire carrément méprisant notamment lorsqu’il parle du créole et de la culture mauricienne. Assénant des phrases comme : « Le créole ce n’est pas une langue, c’est à peine un patois. Communiquer en créole tire le pays vers le bas. Le créole c’est du français mal prononcé et simplifié, il n’y a pas de vocabulaire. On ne peut pas s’exprimer en créole et encore moins penser et philosopher. Il y a un côté enfantin au créole. Le français est mal prononcé. La culture locale n’est pas intéressante ».
Entre le présentateur de l’émission et lui, c’est un véritable festival.
On pourrait dire à ce monsieur que le créole mauricien est une langue à part entière qui a sa graphie officielle, son dictionnaire, qui est enseignée à l’école, qui est totalement capable d’exprimer la complexité, comme le montrent entre autres les travaux de feu Dev Virahsawmy qui a traduit en créole le monument de complexité qu’est l’œuvre de Shakespeare. On pourrait aussi lui dire qu’en France, le réputé Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS) reconnaît le créole mauricien comme une langue. On pourrait, on pourrait.
Mais que dire au fond à une personne qui se fend d’un livre où il montre, en fait, qu’il en connaît si peu et si mal sur ce pays où il a vécu et fait des affaires au cours de ces 25 dernières années ? Au fond, il y a là tant de choses ridicules qu’on pourrait juste les balayer d’un revers de main agacé. Si ce n’était la dangerosité des idées qui sont là véhiculées sur l’immigration, de ce qui semble encore tellement s’apparenter aux « bienfaits de la colonisation », de la condescendance et du délétère mépris culturel…
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Il est dommage que les personnes de ce type n’aient pas eu l’occasion de rencontrer et de s’entretenir avec Malenn Oodiah, qui nous a quittés trop tôt ce 19 septembre 2025.
Sociologue de formation, enfant de la révolte estudiantine de mai 1975 à Maurice, Malenn Oodiah a porté haut la construction d’une morisianité inclusive, solidaire et créative, à travers un esprit d’analyse et de critique d’une rare exigence et acuité, porté autant en créole qu’en français.
Observateur politique aguerri, il avait fait le choix d’un engagement politique prenant la forme de la réflexion et de la proposition citoyenne.
Un temps responsable de communication du groupe Beachcomber, il s’est signalé en créant, au lendemain des émeutes de février 1999, la Fondation Espoir et Développement, qui perdure dans son action d’inclusivité.
Auteur de plusieurs ouvrages, dont Mouvement Militant Mauricien : 20 ans d’histoire, 1969-1989, il a aussi orchestré et produit le coffret multimédia Maurice le temps d’un siècle, ambitieuse et passionnante somme sur la richesse de la construction de ce pays auquel il était viscéralement attaché.
À partir de 2019, il propose la Plateforme d’un projet de société, qui identifie 25 défis à relever et appelle à une gouvernance plus transparente et à une vision durable du développement. Il avait aussi publié en 2022 Pour une Révolution Tranquille, suivi en 2024 du Manifeste de l’Avenir, document de réflexion affirmant la nécessité de réformes structurelles et l’établissement d’un nouveau pacte social renouvelé pour une gouvernance plus inclusive. Très engagé pour l’écologie, il partageait aussi bien ses réflexions que les légumes et plantes de sa pépinière expérimentale baptisée « zardin drom », les jamblons de son jardin.
Il y a quelques années, il avait créé, à Médine, Lakaz Flanbwayan : un espace inédit d’exposition pour les talents émergents, d’échanges, de rencontres, de débats, de tissage de l’histoire et de la mémoire collectives. Le 18 mai 2025, il y réunissait ainsi acteurs et témoins de Mai 1975 pour de passionnants échanges. Sa dernière sortie publique.
À travers cette activité incessante, un fil rouge : la conviction qu’un pays ne se construit et ne se vit pas uniquement à travers la politique et les institutions, mais aussi par une société civile déterminée, à travers le débat d’idées et l’action collective.
Malenn Oodiah pratiquait aussi bien la dénonciation déterminée que l’ensemencement fécond. Ces dernières années, il n’avait pas hésité, dans ses écrits dans les journaux et sur les réseaux, à s’opposer frontalement aux pratiques de Pravind Jugnauth et de son gouvernement. En parallèle, loin de toute aigreur ou fatalisme, il nourrissait une foi inébranlable en la capacité des habitant-es de ce pays à construire plus avant une démocratie vivante, riche, juste et épanouie. Et toujours son regard identifiait autant les problèmes que la beauté toujours possible des êtres et des choses, comme le dit son ouvrage photographique Up close publié en 2017. Au « pas toi » de certains, il avait choisi lui le « nous ensemble » pour reprendre la jolie formule d’un autre « expat » qui s’est, lui, engagé à explorer et faire connaître ce qu’il considère comme la richesse de son île Maurice d’adoption.
C’est dire s’il va manquer à celles et ceux qui ont eu la chance de le côtoyer, c’est dire s’il va manquer au pays Maurice…
SHENAZ PATEL
Le créole n’est pas une langue, à peine un patois, et Maurice devrait s’en remettre aux « valeurs » de La France d’antan pour remédier à son affligeante pauvreté intellectuelle et culturelle, repousser l’immigration et assurer son salut… Ces propos d’un « expat » français ayant vécu 25 ans à Maurice disent un esprit. À l’encontre d’un esprit mauricien, celui de Malenn Oodiah, disparu cette semaine, qui disait lui, en ce pays-Maurice, la richesse d’une réflexion critique et engagée, solidaire et agissante, espérante, lumineuse…