Cette semaine sera très certainement marquée par la présentation du budget national. Une étape marquante, puisqu’il s’agira du tout premier exercice budgétaire effectué par l’Alliance du Changement suite à sa prise de pouvoir en novembre 2024. Et il s’agira de voir dans quelle mesure les déclarations d’intention, en direction d’une plus grande justice sociale, vont effectivement être concrétisées à travers les orientations budgétaires énoncées à cette occasion. En ce mois de février 2025, Statistics Mauritius a publié un rapport sur la pauvreté qui rapporte que 101 900 personnes sont considérées comme pauvres à Maurice. Selon ce rapport, le taux de pauvreté a reculé à Maurice, passant de 9,6 % en 2017 à 7,3 % en 2023.
Mais qu’entend-on par pauvreté ?
Ici, c’est en fonction de critères strictement économiques que la question est abordée. Ainsi, le seuil de la pauvreté relative d’un adulte est fixé à Rs 12 378 par mois. Celui d’une famille composée de 2 adultes et 2 enfants est fixé à Rs 29 200 par mois. Mais au-delà du manque d’argent, il y a tout la complexité que recouvre la notion de pauvreté.
La Banque mondiale décrit la pauvreté comme suit :
La pauvreté, c’est avoir faim.
La pauvreté, c’est être sans abri.
La pauvreté, c’est être malade et ne pas pouvoir voir un médecin et se payer des soins et médicaments.
La pauvreté, c’est ne pas pouvoir aller à l’école et ne pas savoir lire.
La pauvreté, c’est ne pas avoir de travail, s’inquiéter de l’avenir et vivre au jour le jour.
La pauvreté, c’est aussi ne pas pouvoir participer à des activités récréatives, ne pas pouvoir envoyer ses enfants en excursion ou à une fête d’anniversaire avec leurs camarades de classe, ne pas pouvoir payer les médicaments en cas de maladie.
La pauvreté n’est pas qu’une question de statistiques. Elle a des visages humains multiples.
ATD Quart Monde souligne ainsi que « Vivre dans la pauvreté, c’est vivre des souffrances physiques, mentales et émotionnelles intenses, accompagnées d’un sentiment d’impuissance. Quand les gens sont exclus de la société, ne sont pas bien instruits et présentent une incidence élevée de maladie, cela a des répercussions néfastes sur la société. Nous payons tous le prix de la pauvreté. »
Très souvent, on peut relever une tendance à stigmatiser et culpabiliser les pauvres. Comme si, au fond, c’était un peu de leur faute s’ils sont pauvres, comme s’ils se complaisent dans leur état, comme s’ils ne voulaient pas réellement s’en sortir. Sans reconnaître que la pauvreté confronte des êtres humains à un système qui les écrase, un système face auquel ils n’ont pas les moyens de se prémunir, de se défendre. Le monde aujourd’hui n’est pas pauvre. Il produit plus de richesses qu’il n’en a sans doute jamais produit. Mais ces richesses, comme le souligne le dernier rapport d’Oxfam, découlent d’une exploitation de plus en plus débridée et se concentrent entre un nombre de mains déjà ultra-riches.
Le rapport 2025 d’Oxfam souligne ainsi que la richesse des milliardaires a augmenté de 2 000 milliards de dollars en 2024, à un rythme trois fois plus rapide qu’en 2023. « Nous publions ce rapport afin de tirer la sonnette d’alarme et rappeler que les personnes ordinaires du monde entier sont sous le joug d’une minuscule élite qui a amassé des richesses considérables », avertit Amitabh Behar, directeur général d’Oxfam International.
Intitulé « L’art de prendre sans entreprendre », ce rapport montre également que, contrairement aux idées reçues, les milliardaires n’ont pour la plupart pas eu à gagner leur fortune : 60 % de leur richesse provient d’un héritage, de situations de monopole ou de liens de connivence. À l’autre extrême, les travailleurs et travailleuses des pays à revenu faible ou intermédiaire, qui contribuent à 90 % de la main-d’œuvre dans l’économie mondiale, ne profitent que de 21 % des revenus mondiaux.
On le voit bien : la pauvreté est un problème non individuel de « mauvaise volonté » mais bien un problème systémique. D’autant plus, selon Oxfam, que ces accumulations de richesses imméritées sont aussi liées au colonialisme qui, loin de se limiter à une époque qui serait révolue, perpétue aujourd’hui encore des inégalités extrêmes.
On le voit bien : pour un pays comme le nôtre, le défi est aujourd’hui démultiplié.
Car il s’agit de lutter contre un système global qui ne nous est pas favorable. Et il s’agit de mobiliser tout ce que nous pouvons de ressources, économiques et humaines, pour tenter de limiter cette déshumanisation qu’est la pauvreté.
À ce chapitre, Statistics Mauritius souligne que les aides sociales ont contribué à réduire la pauvreté à Maurice, affirmant que sans les aides sociales fournies par l’Etat(pensions, aides sociales, gratuité des services de santé, d’éducation, de transport public), le taux de pauvreté aurait été de 36,4% au lieu de 7,3%.
C’est dire à quel point des organismes comme le National Empowerment Fund sont essentiels. Et à quel point on peut déplorer la récente polémique qui l’a affecté.
Avoir la conviction de son honnêteté et du bien-fondé de sa démarche ne suffisent pas en politique. Le parti Rezistansek Alternativ vient d’en faire l’amère expérience. Il y avait fort à parier que l’expérience du pouvoir pour ce parti de gauche allait être difficile. Il est sidérant de voir à quelle vitesse le pouvoir peut abimer. Abimer quoi ? Une image. Une réputation.
À la base, le parti papillon, fidèle à sa défense de la démocratie participative, a voulu marquer le coup au très stratégique ministère de la Sécurité Sociale et de la Solidarité Nationale en changeant la façon de faire pour la désignation du board de la NEF. Au lieu de procéder par des nominations relevant de son unique discrétion, le ministre Ashok Subron a annoncé faire appel aux candidatures publiques. Mais cette déviation, intéressante à la base, du système établi, a fini par déraper. Car la structure ne prévoyait pas ce qui allait se passer ensuite. Il est bien évident qu’un ministre n’aurait pas eu le temps de s’occuper personnellement de dépouiller les quelque 268 candidatures reçues, et de faire passer des entretiens aux postulants. Alors qu’a-t-il fait ? Il a manifestement choisi de confier cette tâche à des personnes en qui il avait confiance : son junior minister, Kugan Parapen, et la militante très connue de ReA, Dany Marie. Qui s’avère par ailleurs être sa compagne.
On peut se demander comment ce parti qui s’était jusqu’ici toujours révélé très astute politiquement a pu ne pas s’attendre au backlash que cette situation a provoqué. Car si Dany Marie est une femme connue et justement reconnue pour l’intensité et l’honnêteté de son combat sur diverses questions de droits humains, nous sommes dans un contexte marqué par la défiance suite aux Moustass leaks montrant à quel point la femme de l’ex-Premier ministre Pravind Jugnauth manipulait en coulisses tout ce qui avait trait aux nominations dans la fonction publique. À partir de là, les suppositions et accusations de népotisme étaient inévitables. Et le parti a manifestement mal géré cette situation, en tentant de la justifier en maniant des arguments irrecevables, dans une attitude largement perçue comme arrogante.
Ceci nous montre à quel point, en politique les choses se retournent vite.
Comment le parti hier considéré comme le garant de l’honnêteté et la justesse de ce gouvernement a été vilipendé et accusé de toutes les mauvaises intentions, soudain transformé en symbole de la cleptocratie dont ils s’étaient arrogés en pourfendeurs.
Comment il peut être difficile de convaincre que l’on est réellement engagé dans le désintéressement de soi par rapport au bien commun.
Comment il peut être malaisé pour un tel parti de prendre la mesure et de s’adapter aux rouages du pouvoir. En 2020, c’est bien l’organisation soudée, réactive et efficace de ReA qui nous a permis de réduire de façon très significative les risques de marée noire suite au naufrage du Wakashio, face auxquels le pouvoir d’alors s’était montré statique et inopérant. Mais quand on est au gouvernement, on ne peut évidemment plus fonctionner en cellule.
La leçon a certainement été très durement apprise.
Et le coup peut aussi se révéler très dur pour notre confiance en la politique, déjà très ébranlée.
Mais nous sommes face à des enjeux qui demandent que nous restions vigilants face à l’instrumentalisation politique qui pourrait être faite de cette affaire alors que nous avons besoin d’un gouvernement tout entier à sa mission de changement et de progrès.
Un gouvernement que nous avons élu en exigeant sérieux, cohésion, honnêteté, efficacité.
Pas pour nous rendre plus pauvres face à des défis qui vont aller en s’intensifiant…
SHENAZ PATEL
Sortie de texte
Pour un pays comme le nôtre, le défi de la pauvreté est aujourd’hui démultiplié. Car il s’agit de lutter contre un système global qui ne nous est pas favorable. Et il s’agit de mobiliser tout ce que nous pouvons de ressources, économiques et humaines, pour tenter de limiter cette déshumanisation qu’est la pauvreté. C’est dire à quel point des organismes comme le National Empowerment Fund sont essentiels. Et à quel point on peut déplorer la récente polémique qui l’a affecté…
Pauvres de nous ?
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