Son licenciement expéditif par Air Mauritius a fait d’elle une figure de l’actualité mauricienne. Qu’est-ce qui a poussé cette jeune femme, veuve et chef de famille, à se lancer dans le syndicalisme pour affronter la toute puissante Air Mauritius ? C’est une des questions que nous sommes allés poser à Yogita Baboo pour brosser son portrait.
« Paradoxalement, c’est le management d’Air Mauritius qui m’a poussé à faire du syndicalisme actif », répond elle. Son engagement syndical commence réellement en 2018 quand, pour essayer de remédier à la situation économique catastrophique de la compagnie, résultat d’années de mauvaise gestion, la direction de MK démarre une politique de réduction des coûts. Les conventions collectives pour une augmentation de salaires, signées en 2014, ne sont pas appliquées. Une nouvelle équipe de cinq personnes est élue en 2019 à la direction de l’Air Mauritius Cabin Crew Association (AMCCA) avec Yogita Baboo comme présidente. En même temps, débute en Chine une épidémie qui changera la face du monde : le covid. La direction d’Air Mauritius, alors représentée par Sherry Singh, refuse de donner des masques aux équipages « pour ne pas faire peur aux passagers ».
La bataille du syndicat pour l’amélioration des conditions sanitaires du personnel navigant d’Air Mauritius et le respect de leurs droits commence, alors que les frontières sont fermées et que la compagnie entre en receivership. Sattar Abdoula, le receiver manager, fait réduire les salaires des employés, plus particulièrement ceux des équipages, et revoit leurs conditions de travail. Le syndicat entre des cas dans les instances appropriées pour non-respect des droits acquis des employés et des libertés syndicales. La tension monte, les syndiqués sont soumis à des pressions et le receiver manager, humilié d’avoir été traîné en Cour, maltraite les membres du syndicat pendant les négociations. « Cela ne nous a fait ni chaud ni froid, parce que cela fait des années que le personnel navigant doit recevoir les critiques – et, parfois, les insultes – des passagers sur les conditions des vols dont il n’est pas responsable. Nous sommes vaccinés contre les critiques, surtout négatives ». Le receiver manager met tout le personnel en « part time », tout en réduisant les salaires, et passe derrière le syndicat pour faire certains de ses membres signer – sous la menace d’un licenciement avec seulement un mois de salaire – un nouveau contrat de travail, avec « leave without pay » pendant deux ans.
« En pleine période de covid et de récession économique, le couteau sous la gorge, nous avons été obligés de signer ce nouveau contrat. Nous avons dû accepter que nos salaires soient réduits de moitié pour faire face aux mêmes dépenses. Beaucoup ont dû arrêter la construction de leur maison, vendre celle déjà construite mais pas totalement payée, ainsi que leur voiture, et tirer leurs enfants des écoles payantes du jour au lendemain. Nous avons osé dénoncer publiquement ces conditions, ce qui a déplu au management qui ne supporte pas la critique. Surtout quand elle est justifiée. »
« Quelque part, en m’interdisant de travailler, Air Mauritius a rendu un grand service à l’AMCCA ! »
La demande du syndicat que l’accord collectif préconisant une augmentation de salaires, signé en 2014, soit appliqué, fait le tour des instances chargées de régler les conflits industriels. « Toutes sortes de delayings tactics ont été employés. On nous renvoyé de bureaux en commissions avec changement d’avocats qui ne connaissent pas le dossier, tombaient malades ou avaient besoin de délai pour prendre des instructions! Alors que de manière générale, un case doit être reglé devant l’Employees Relations Tribunal (ERT) en 90 jours, le nôtre a largement dépasé les… 1000 jours ! » Entretemps, Yogita, qui, avec plus d’une dizaine de ses collègues, a refusé de faire les vaccins anti covid, recommandés par le ministère de la Santé mais imposés par Air Mauritius, est suspendue. Comme avez-vous réagi à cette décision que certains ont qualifié de punition pour votre action syndicale ? « Cela m’a donné du temps pour faire du syndicalisme à plein temps, de mobiliser toutes les énergies pour défendre nos droits devant les instances appropriées et faire connaître notre combat à travers la presse écrite et parlée. Quelque part, en m’interdisant de travailler, Air Mauritius a rendu un grand service à l’AMCCA. Avec les quatre autres membres de la direction du syndicat, nous avons choisi de tenir, avons appris à comprendre les textes de loi, à argumenter, à nous battre devant les instances. Nous avons appris sur le terrain avec beaucoup d’aides, en particulier celle de Radhakrishna Sadien, de la State and Other Employees Federation qui nous a guidés, en nous laissant faire. »
Face aux delayings tactics, Yogida intervient dans le débat public et dénonce le double langage de la direction d’Air Mauritius avec des arguments qui font mouche. « D’un côté, MK affirme ne pas avoir les moyens financiers pour respecter l’accord collectif de 2014 ; de l’autre, elle achète de nouveaux avions. D’un côté, elle dit que ses caisses sont vides, malgré l’aide du gouvernement pendant la covid ; de l’autre, elle déclare des profits et engage un CEO qui, quelques semaines seulement après sa nomination, prend des vacances, alors que certains employés sont privés de leur droit au travail. D’un côté, les salaires des employés sont réduits, alors que l’on ne touche pas à ceux du management. Aucune leçon n’a été tirée des décisions catastrophiques du passé si ce n’est que ce sont les employés qui payent les pots cassés pas la direction ! »
Bête noire de MK
Est-ce que vous vous êtes rendue compte que les critiques répétées ont fait de vous la bête noire de la direction d’Air Mauritius, la voix qu’il fallait faire taire ? « Évidemment que je m’en suis rendue compte, mais est-ce que j’avais le choix ? Je n’ai fait que ce que doit faire un responsable syndical : défendre les droits de ses membres ! Des droits fondamentaux garantis par des lois et des conventions internationales signées par l’État mauricien. »
« En pensant me faire taire et faire peur aux membres du syndicat ainsi qu’aux employés de la compagnie, Air Mauritius n’a fait que donner une couverture internationale à notre combat »
Le mois dernier, n’en pouvant plus de lire Yogita dans la presse écrite et de l’entendre sur les ondes, Air Mauritius se sert d’une émission de radio « dans laquelle je n’ai fait que répéter ce que je dis depuis des mois » pour la traduire devant un comité disciplinaire. Elle refuse de participer à ce comité et, quelques heures plus tard, est licenciée. Ce qui provoque un tollé dans le pays et les condamnations des confédérations de syndicats de l’aviation internationale. « En pensant me faire taire et faire peur aux membres du syndicat ainsi qu’aux employés de la compagnie, Air Mauritius n’a fait que donner une couverture internationale à notre combat. On sait maintenant dans le monde de l’aviation internationale comment la compagnie mauricienne ne respecte pas les lois. En me licenciant, le management pensait créer un désordre dans le syndicat, faire peur aux membres et les inciter à mettre fin a notre action. Il voulait faire entrer un nouvel exécutif avec qui négocier pour faire tirer le case devant l’ERC. Ils ont réussi le contraire. »
Pour quelle raison est-ce que le mangement ne cherche pas un accord ? « C’est une question d’ego. Il ne peut pas accepter de perdre publiquement face à un syndicat qui, par son combat, démontre à quel point , avec ses mauvaises décisions, le management d’Air Mauritius est responsable d’avoir fait crasher la compagnie. Le pire c’est que, malgré le crash et le recevership, aucune leçon n’a été tirée et il continue à faire comme avant.
Exemple : savez-vous qu’alors qu’il existe des employés qualifiés et avec une longue expérience qui sont en leave without pay forcé, la compagnie a recruté du nouveau personnel qui, sept mois après, n’a pas encore été formé ! Le management continue à faire de l’administration by trail and error ! Vous comprenez maintenant pourquoi j’ai été obligée de me lancer dans cette bataille pour faire respecter mes droits et ceux de mes membres ? »
Finalement, votre combat n’a pas servi à grand-chose puisque vous êtes licenciée et que, malgré vos dénonciations, votre case est toujours pending. « Pas tout à fait. Les réactions suscitées par mon licenciement semblent avoir agi sur certaines instances. C’est ainsi que l’ERT aurait fait savoir qu’il faut que le case soit réglé dans les meilleurs délais. Nous avons un rendez, la semaine prochaine, et je pense que d’ici la fin de l’année, nous aurons un ruling dans cette affaire qui traîne depuis des années ! » Pardon de jouer à l’oiseau de mauvais augure : et si le ruling de l’ERT n’était pas en faveur de l’AMCCA ? « Ce n’est pas possible, parce que nous ne demandons que ce que la loi nous autorise à demander : le respect de l’accord collectif signé en 2014. »
Vous savez, la loi est souvent une question d’interprétation… « Celle de l’AMCCA est correcte comme l’ont confirmé tous les spécialistes locaux et internationaux que nous avons consultés. Je suis sûre que nous allons gagner parce que si notre case n’était pas solide, est-ce que vous croyez que le management d’Air Mauritius aurait fait tout ce qu’il a fait – et continue à faire en coulisses avec certaines complicités – pour que le case soit retiré ? Je ne peux imaginer perdre ce combat… à moins que le Workers Right Act ne soit amendé entretemps ! » Espérons que l’avenir vous donnera raison. « J’en suis convaincue. J’espère que j’ai réussi à faire comprendre pourquoi, avec mes quatre camarades, je mène ce combat. Nous le menons parce que nous voulons que nos droits soient reconnus et que nos enfants vivent dans un pays où la loi est respectée. »