Promenons-nous dans les bois

L’été est là ! Rien de mieux qu’une échappée en plein air pour fuir la foule, le bruit, le virus, le retour des restrictions pesantes, et de tout ce qui s’ensuit, et se faufiler nonchalamment entre les arbres. Non pas pour s’enfuir de la réalité, mais juste pour s’évader un tant soit peu. Échapper à l’affluence habituelle, à cette sensation d’étouffement, tant les gens courent et s’activent en tout sens, se bousculent, s’insurgent partout et cherchent, par tout moyen, de s’en sortir. Soyons d’abord honnêtes à le reconnaître et, ensuite, évitons quelque peu cette ambiance délétère rien que pour se sauvegarder dans le silence, pour retrouver un peu de tranquillité loin de ce monde bruyant, pour se rapprocher de soi et pouvoir mieux se réconcilier avec les autres.

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Pour vivre cet éloignement salutaire, unissons-nous aux mots pour les faire chanter et se cogner entre eux, pour les mettre, ensuite, en communion. Ainsi jaillissent les maux et mots refoulés ! Ainsi surgissent nos forces et les chances inhibées ! Ainsi va la vie : passer au-delà des gouffres et des horreurs pour atteindre monts et merveilles.

Allons nous promener dans les bois ! Que dites-vous d’un petit tour à Chamarel ? Quitter le brouhaha, s’aventurer pour prendre de la hauteur et reprendre notre vie en main. Peu importe si elle nous a échappé, le but c’est de tenir les rênes tout en sachant qu’au final on ne contrôle ni le vent, ni les gens, ni le temps, ni les contretemps. Comme cela peut être déroutant ! Mais prenons la route aux courbes sinueuses qui mène à ce village caché. Roulons sur ce chemin qui se dessine et nous laisse entrevoir, entre bois et forêts, la mer et d’autres étendues réjouissantes au fur et à mesure que l’on s’engage sur cette voie.

Nous voilà arrivés à un point de randonnée munis de nos baskets, nos ti-gadak et notre bouteille d’eau bien fraîche. Un guide, autoproclamé aguerri, va nous conduire sur ces sentiers rocailleux, glissants et parfois rudes. Mais bien vite, notre super guide semble s’y perdre, nous obligeant à sortir des sentiers battus. Sous nos pieds craquellent de petites branches bien sèches, le chant des oiseaux nous ravit, l’air frais nous remplit, pendant qu’on s’engouffre dans les bois sur un sentier inconnu. Des déchets de bouteilles et autres plastiques traînent à gauche, à droite, peinant évidemment à se dégrader, dégradant au passage cette nature qui ne demande qu’à être respectée.

Chemin faisant, nous croisons un « vrai » homme des bois, pieds nus, sifflotant, l’air de rien, et portant, avec aisance, un lot de bois sec sur son dos. Notre présence ne semble pas le surprendre. Nous le hélons quand même pour savoir si nous ne sommes pas perdus et, fort aimablement, il accepte rapidement de nous mener à bon port. Déposant son fardeau au pied d’un arbre, hop, nous voilà repartis !

Tels des singes, que nous entendons au loin, nous nous aidons des branches pour avancer, les pieds toujours collés au sol ! De descente en descente, nous glissons puis nous nous rattrapons par une ultime petite valse du corps. Plus de peur que de mal ! Les parties moins dénivelées nous tranquillisent et, en même temps que nous nous éloignons du point de départ, je pense déjà au chemin du retour. J’aurais certainement dû prévoir des cailloux blancs pour imiter le petit Poucet qui les avait semés sur la route, pour mieux retourner au bercail, alors que les parents voulaient se débarrasser de lui et de sa fratrie. Ingénieux le petit ! Mais poussée par cette envie de découvrir la promesse d’une vue imprenable, je m’attelle à avancer, tête baissée pour le moment, veillant le moindre faux-pas, la moindre roche instable.

Et puis, enfin, nous arrivons. Des arbres à perte de vue, des plaines qui s’étendent et de rares maisons planquées dans des endroits de rêve. Il y a aussi le ciel, le soleil et, au loin, une tâche d’océan. Entre des cocotiers poussent des cacaoyers, probablement plantés il y a des lustres par quelqu’un qui avait de la suite dans les idées. De petites roses bien entretenues égaillent une cabane faite de bois et de tôles trouées, rouillées et colorées. Cela laisse présager qu’un gardien y habite, loin de tout et si près de tout à la fois, puisqu’il vit en pleine nature. Son jardin est une étendue à perte de vue ; des bananes et les ananas le regardent ; des cochons marrons ont laissé des traces ; un ruisseau coule quelques mètres plus bas et ce qui semble être des brèdes pousse un peu comme des folles à côté d’autres légumes et herbes aromatiques. Vu l’endroit perdu où nous sommes, je me demande bien s’il n’y pas d’autres herbes qui poussent également par là… Éloignons-nous donc !

Notre guide nous explique comment retrouver notre route. Les indications sont inhabituelles, mais restent néanmoins claires. « Ou trouv sa pie banann inn verse la ? Ou depas li, ou vey enn gro brans sek ki finn tonbe ek ki bar sime. Ou vir kote gos ar li. Ou ale mem ziska larivier. Kitfwa ou pou trouv dimounn. Ou nek trase ou. A kote rwinn enn vie lasemine ou vir a-drwat ou sot larivier. Ou mars-marse ziska ou tann loto. » Sur ce, il nous quitte…

Une pause s’impose ! Nous nous ressourçons dans ce silence, nous remplissons de gratitude, gavons notre regard de ces paysages inhabituels, puis nous reprenons la route, guidés par les points de repère.

Près de la rivière, nous entendons effectivement des voix. Pas très bavards, ces jeunots ! Curieux comme pas deux, et malgré leur embarras, nous nous enquérons de leur présence dans ce trou perdu. L’autre là, « l’homme des bois », nous avait bien dit de « nek trase ». Se rendant à l’évidence que nous ne sommes que de passage et que, chose sûre, nous serions incapables de retrouver ce lieu, l’un deux lance : « Nou pe sey bwar enn ti brevaz. » Ils sont bien jeunes pour oser un tel pari de manière, avouons-le, pas du tout recommandable !

Tous deux ont leur masque dans la poche et je comprends, alors, que comme nous tous, ils sont en train de « tracer » pour fuir eux aussi, mais dans leur cas, il s’agit de fuir leur modeste et précaire réalité.

Alors que nous nous promenons dans les bois pour nous remplir du bon vent de la nature, d’autres s’y réfugient pour trouver un peu de « réconfort » face au porte-monnaie creux de la famille.

Nous revenons à bon port, après y avoir été bien loin. Bienheureuse promenade qui nous a valu tant de découvertes, loin de tout, pour nous permettre à chacun d’être plus près de soi. Sur cette note, nous reprenons en sens inverse la route sinueuse, ragaillardis et prêts à faire face à nouveau à notre vie qui est, encore une fois, bien secouée.

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