Questions au gouvernement

Le gouvernement de l’Alliance du Changement a réussi un énorme exploit. Avec une seule mesure, elle a réussi à provoquer un mécontentement général, à redonner du poil de la bête à Pravind Jugnauth, à sortir de leur léthargie les syndicats, sans compter les membres des formations politiques d’opposition assommés par les 60-0. Il aura suffi de l’annonce, sans aucune préparation, d’une mesure budgétaire pour que le nouveau gouvernement se rende compte que les 60-0 datent de novembre dernier, que la période de grâce est dépassée depuis longtemps et que finalement, elle n’avait pas bénéficié d’un vote d’adhésion à son programme – ce qui en restait – mais d’un vote de rejet contre le MSM et ses alliés. Les adversaires de l’Alliance du Changement avaient fait campagne contre la lenteur dans la prise de décision, les incongruités de certaines nominations où l’on faisait de la fidélité au leader et au parti, la qualité première qui passait avant la compétence et l’expérience, mais on ne pensait pas que l’inexpérience politique allait éclater avec la présentation du premier budget. Et pourtant, pendant des mois, l’alliance faite, cassée avant d’être recomposée, avait vendu le slogan : nous avons les hommes et les femmes et les solutions qu’il faut pour le changement. À cela, s’est ajoutée la nomination de multiples conseillers et attachés de presse, censés aider le gouvernement à bien mieux communiquer que le précédent.
Comment, malgré toute cette expérience en communication revendiquée, a-t-on pu laisser Navin Ramgoolam jouer au ministre des Finances et annoncer le report de l’âge de la retraite sans aucune préparation de l’opinion ? Comment est-ce que ceux qui conseillent, officiellement ou pas, le gouvernement ont pu oublier que la pension de vieillesse est, depuis des années, l’argument électoral par excellence ? Comment ont-ils pu oublier que c’est en promettant une augmentation du montant de cette pension, à la veille des élections en 2019, que Pravind Jugnauth parvint à obtenir les 33% de voix qui lui permirent de former le gouvernement ? Comment ont-ils pu oublier que Navin Ramgoolam, son parti et ses alliés, a, durant toute la dernière campagne électorale, cajolé les seniors mauriciens dans une surenchère de promesses sur le montant et les avantages de la pension de vieillesse ? Ces conseillers ne savaient-ils pas à l’époque qu’en poussant Navin Ramgoolam à hausser les enchères face à Pravind Jugnauth sur ce sujet, en jouant au « mo pou donn plis ki li », il s’était rendu prisonnier d’une politique populiste qui ne pouvait que se heurter à la réalité des chiffres ? Comment Bérenger et Ramgoolam – ces vieux de la vieille de la politique qui ont traversé tant de déserts lors de leur carrière – ne se sont pas rendus compte que le question de la pension était devenue une bombe politique à manier avec la plus grande des précautions ? Comment eux – qui ont prôné une politique de vérité – n’ont pas réalisé qu’elle devait être expliquée, faire partie d’un plan de communication pour être acceptée, au lieu d’être assénée en une phrase dans le discours du budget ?
Comme dans toutes les mauvaises opérations de com, c’est quand le coup est déjà parti qu’on essaye de l’expliquer, de le justifier en multipliant les réunions d’explications. Il semblerait qu’il y aura plus de réunions ministérielles pour essayer d’éteindre l’incendie qu’il n’y en a eues pour préparer le budget et proposer des arguments pour défendre et justifier ses mesures. Tous les ministres sont unanimes, officiellement en tout cas : la situation était devenue intenable et insupportable financièrement et il était indispensable de prendre les mesures qui s’imposaient de par la réalité de la situation économique. Mais est-ce que face au mécontentement généralisé, alimenté par tous ceux qui avaient été jetés dans le carreau canes de la défaite en 2024, le gouvernement campera fermement sur sa position, au risque de devenir impopulaire ? Pas sûr. On entend déjà des députés dire qu’ils n’ont pas été élus pour augmenter l’âge de la retraite – mesure qu’ils ont applaudi lors de sa présentation – et que le pression de leurs mandants est très forte et les rend impopulaires. La question est de savoir si les chefs de l’alliance maintiendront le cap ou cèderont un peu par ici, un p’tit bout par là, en cédant à la pression. Les jours qui viennent révèleront si, comme il l’a promis et répété, l’Alliance du Changement gouvernera autrement en privilégiant une politique de vérité et en prenant des mesures drastiques, mais indispensables, pour redresser la situation économique. Ou s’il est capable du contraire, c’est à dire de se dédire, pour ne pas être impopulaire ?
Jean-Claude Antoine

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