Rann nou laplaz !

Et voilà la question de l’occupation et de l’accès aux plages à nouveau au-devant de la scène locale. D’abord, à travers des annonces de nouveaux développements hôteliers (oui, encore), avec, parallèlement, le rappel en force d’un règlement de la Beach Authority qui contraint les Mauriciens à solliciter une autorisation écrite et à payer un dépôt remboursable de Rs 3,000 pour pouvoir camper sur nos plages. Faute de quoi nous sommes passibles d’une amende d’un maximum de Rs 100,000, voire d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à deux ans…

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Des îliens jetés en prison pour avoir osé, ô suprême délit, planter une tente sur une plage et s’offrir, en famille ou entre amis, un des rares plaisirs nature qu’offre leur pays ! On croirait presque à une blague…

Si ce n’est qu’on risque de beaucoup moins rire dans les semaines qui viennent. Il n’est pas anodin, en effet, que ce règlement, qui date, en fait, de l’an dernier, nous soit rappelé avec force en cette période : avec les grandes vacances scolaires et les fêtes de fin d’année approchant, il est évident que les Mauriciens se rendront en plus grand nombre sur nos plages. Et que la pression risque de vite devenir insoutenable. Parce que la surface de plages disponibles pour la population locale n’a cessé de se réduire au cours de ces dernières années. Et qu’à part les shopping malls, c’est là une des rares distractions qui s’offre à une population qui a de plus en plus besoin/envie de détente.

Il nous est dit aujourd’hui que Maurice disposerait de 134 plages officiellement décrétées publiques. De fait, les chiffres indiquent que les 322 kms du littoral sont répartis comme suit : 90 kms sont occupés par des hôtels ou développements à vocation touristique (l’île compte à ce jour 114 hôtels dont 95 « pieds dans l’eau », et une quinzaine de nouveaux projets sont annoncés ; 60 kms sont occupés par des résidences (villas, bungalows) ou privatisés ; et seuls 48 kms sont des « plages publiques ». En d’autres mots, le public n’a accès qu’à 14% de notre littoral. Sachant qu’un certain nombre de plages jusque-là publiques, parmi les plus attrayantes, ont été deproclaimed au profit de projets privés. Et que si d’autres ont été rajoutées, il s’agit de « plages » qui n’offrent pas de réelles possibilités de baignade ou de pique-nique (style falaise dans le sud). En d’autres mots, on donne « la bagasse » à la population locale qui n’a qu’à s’en contenter et la fermer…

Sauf que la population locale se montre de moins en moins encline à la fermer, justement.

Depuis quelques années, la plateforme citoyenne Aret Kokin Nou Laplaz (AKNL) a fait monter la pression en organisant une contestation très structurée face à de nouveaux projets hôteliers jugés néfastes à notre environnement tant humain que naturel. Il ne s’agit pas que de manifester et de faire tomber des grillages sur la plage de Pomponette à laquelle le gouvernement a retiré le statut de plage publique pour la donner à un promoteur hôtelier très discuté. Il s’agit de s’intéresser très largement aux problématiques sociales, économiques et environnementales du littoral.

Cela a débouché sur une structuration accrue avec la création de mru2025, une ONG focalisée sur la protection, la préservation et la restauration des zones côtières de l’Ile Maurice, qui apporte à AKNL un encadrement administratif, une expertise générale et scientifique, une logistique ainsi que des ressources. L’action est ainsi devenue autant sociale que scientifique et juridique. Car, insiste mru2025, le littoral de Maurice constitue la principale ressource de Maurice sur plusieurs plans : en tant que ressource vivrière par la pêche ; en tant que principal espace de loisirs ; en tant que principale ressource de l’industrie touristique ; en tant qu’identité culturelle.

Et ce dernier point est capital.

Car outre la question du développement foncier intense des régions côtières, et la protection/réhabilitation des écosystèmes côtiers sur-utilisés et rudement impactés, il s’agit de ne pas oublier justement le rapport culturel des Mauricien-nes avec la côte, la plage et la mer.

C’est bien de cela qu’il est question dans la contestation orchestrée par le collectif Pas Tous Nous Anse La Raie contre le projet hôtelier de Luxury Suites Ltd à Anse-La-Raie. Lors d’une conférence de presse, jeudi dernier, le porte-parole du collectif, Vashish Bijloll, dénonçait le fait que les habitants de la région avaient appris par la presse et les réponses parlementaires que le gouvernement avait approuvé un masterplan couvrant environ 100 arpents de terres de l’État, de Paradise Cove Boutique Hotel à la station de débarquement de poisson d’Anse-La-Raie. Un plan qui inclut la délocalisation de la plage publique d’Union Ribet et l’octroi d’un permis de construction d’hôtel à Luxury Suites Ltd. Le collectif disait ainsi ses inquiétudes concernant la liberté d’accès à la plage devant le Centre de Jeunesse existant en ce lieu, concernant le maintien de la plage publique d’Anse-La-Raie, et la préservation des zones humides de la région.

Annonçant le lancement d’une pétition nationale et la tenue d’une marche de protestation le 2 décembre prochain, le porte-parole du collectif disait : « Nous comptons sur le soutien des Mauriciens qui ont la plage dans leur ADN. »

Cette détermination a, semble-t-il, payé : deux jours plus tard, soit ce samedi 25 novembre, le promoteur annonçait sa décision de ne pas aller de l’avant avec son projet hôtelier.

Il convient ici de saluer bien bas la mobilisation du collectif Pas Tous Nous Anse La Raie, en ces temps où victimisation et représailles sont monnaie courante contre ceux et celles qui s’expriment contre des projets dits de « développement ». Il faut saluer bien fort toutes celles et ceux qui ne cessent de courir à droite et à gauche et de bar goal face à l’avalanche incessante de nouveaux projets qui champignonnent à travers l’île. Mais la bataille, justement, n’est jamais gagnée. À peine le temps de souffler ici qu’on parle déjà d’un autre projet litigieux à Palmar. Cela ne s’arrête jamais…

Une autre donne très importante est en train d’émerger : face au projet contesté de PR Capital sur le site de Roches-Noires, on peut, cette fois, voir non seulement une contestation citoyenne mais aussi une contestation organisée venant du secteur privé local. Les groupes Eclosia, IBL, Scott et Currimjee ont ainsi créé le Collectif Mauricien pour Roches-Noires Ltd, qui est tout bonnement enregistré comme une société visant à « valoriser ce patrimoine écologique unique ». Et qui a fait réaliser une analyse technique par un cabinet international, sur la base duquel il a fait savoir au gouvernement qu’il s’oppose formellement à la délivrance d’un permis EIA à PR Capital  « au vu de la gravité des risques que comporte le projet de développement immobilier pour l’écosystème de la région et de l’incapacité de ses promoteurs à en garantir la préservation ».

À la place, le Collectif propose la création d’un Parc Naturel, décrit comme un projet de conservation durable et visionnaire, qui bénéficiera aux habitants et aux générations futures. Face à ceux qui s’étonnent de cette démarche venant de certaines entités qui auraient elles-mêmes eu des projets discutables sur le plan environnemental, il y a ceux qui se disent que l’on a peut-être franchi un cap dans la réalisation des limites plus que jamais évidentes du « développement » tous azimuts jusqu’ici pratiqué.

Mais il reste encore, au-delà de ces données techniques, à prendre la pleine mesure de la perspective culturelle de cette question. Pas seulement les menaces pratiques, mais la légitimité tout aussi importante de notre attachement à la mère-mer. Du besoin de chaque Mauricien-ne d’y accéder et d’en jouir. Parce que notre vie ne saurait se résumer à une plage de Black Fridays…

SHENAZ PATEL

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