Il y a des jours où l’on oublie.
Pas les clés. Ni les rendez-vous. Et pas sa tête non plus.
Mais quelque chose de plus discret, de plus fragile, et surtout, de plus essentiel : on oublie de respirer.
Sans même s’en rendre compte, on suspend notre souffle.
Pas longtemps. Juste un instant.
Mais ces petits instants, répétés, discrets, s’accumulent en silence et finissent par nous peser.
Par nous enfermer. Jusqu’à ce qu’un sentiment d’oppression tire la sonnette d’alarme et nous réveille.
Une décision tombe.
Une injustice frappe.
Une parole blesse.
Les choses à faire nous submergent.
Un trop-plein s’installe… et on bloque notre respiration.
On se fige face à une réalité qui nous échappe. Notre souffle devient irrégulier, suspendu entre deux battements de cœur.
Une déception trop grande, un coup bas inattendu ? Le souffle se coupe net. Comme si le corps refusait d’accueillir ce qui nous dépasse.
Alors, on croit évacuer ce qui encombre… juste en cessant d’inspirer.
Comme si l’air devenait soudain trop lourd, trop dense. Pollué !
Les yeux butent sur l’évidence.
La voix se tait.
Les oreilles refusent d’y croire.
Les sens se figent.
Et la respiration se brise, comme une vague sur l’écume de la sidération, ou s’emballe, comme un cheval fou.
Comme si…
Comme si, en retenant l’air, on pouvait retenir le monde.
Épaules contractées. Mâchoires serrées. Regard fuyant.
On inspire… avant même d’avoir expiré.
Mais retenir l’air ne retient ni la douleur, ni la tristesse.
Silence.
Il y a ces silences – hurlants – qui nous prennent aux tripes.
Ces mots qu’on attendait… et qui ne viennent pas.
D’autres qui arrivent… alors qu’on ne les attendait plus.
Des visages fermés. Impassibles.
Des paroles qui claquent.
Des situations qu’on subit.
Et dans ce chaos intérieur, notre poitrine devient une cage.
Et soudain, le vide.
On entre en apnée.
Sans même s’en apercevoir.
Mais pourquoi retient-on ce souffle de vie, dès qu’on vacille ?
Et pourquoi tant de soupirs ?
On encaisse.
On ferme les yeux.
On essaie de faire le vide. Mais le corps, lui, a besoin d’air.
Et il attend.
Il attend qu’on revienne à lui.
Qu’on se donne enfin la permission : celle de respirer.
Librement. Naturellement.
Respirer, ce n’est pas fuir.
C’est se reconnecter.
À soi.
À l’instant.
C’est se dire : « Tu es là », même si tout semble s’effondrer.
C’est aussi se dire : « Respire », quand le cœur se serre sans (ou avec) raison.
Respire, quand la vie paraît trop lourde pour tes épaules.
Respire, parce que tu ne contrôles rien.
Ni toi. Ni moi. Ni les autres.
Respire, quand tu voudrais hurler… mais que tu choisis le silence.
L’air entre.
L’air sort.
Et dans ce va-et-vient silencieux, il y a une promesse douce : celle d’être vivant.
Respire.
Pour te souvenir.
De ta force.
De ta lumière.
De ce feu doux en toi, que rien ne peut éteindre.
Même si le monde te fait plier, même si la nuit semble sans fin, souviens-toi : ton souffle est résistance.
Un battement de vie.
Un murmure de courage.
Un chant discret… qui te pousse à continuer.
Alors respire.
Encore.
Et encore. Et laisse ton souffle te ramener à toi.
Et rappelle-toi ceci :
Le souffle ne se coupe pas uniquement dans les moments sombres. Il se suspend aussi face à ce qui dépasse. Ce qui bouleverse l’âme ou le corps par sa beauté, sa force, ou sa vérité nue.
Ne reste-t-on pas sans voix devant la splendeur de la vie, l’innocence d’un nouveau-né, ou le regard d’un être aimé qu’on retrouve enfin ?
Face à un arbre en fleurs, une œuvre qui émeut, une chorégraphie qui bouleverse, une musique qui transporte, un rêve qui se réalise…
Alors, à toi qui lis ces mots, toi qui traverses peut-être une tempête ou un désert… Je te le dis doucement, mais avec tout mon cœur : Respire.
Pas pour t’évader.
Pas pour oublier.
Mais pour te retrouver.
Tes poumons te réclament.
Ton corps te parle.
Alors respire.
Parce que ce souffle-là, c’est ton ancre. Ton espérance.
C’est la vie.