Notre invité de cette semaine est le nouveau ministre du Travail et de l’Emploi, Réza Uteem, qui est par ailleurs le président du Mouvement Militant Mauricien.
Est-il vrai que vous auriez souhaité obtenir un autre ministère que celui du Travail et de l’Emploi ?
— Je me suis occupé pendant dix ans de la commission des finances et de l’économie au MMM, et ce sont des sujets que je maîtrise. De par ma profession, je suis à l’aise dans le secteur financier et j’ai été un peu surpris quand le Premier ministre m’a confié le portefeuille du Travail et de l’Emploi parce qu’à la base, je ne suis pas un avocat du travail. Mais le PM m’a dit qu’il souhaitait quelqu’un de « solide » à ce ministère. Depuis, je ne suis rendu compte qu’il y avait, effectivement, beaucoup de travail et qu’il en reste encore à faire.
Savez-vous que l’on dit encore du ministère du Travail qu’il est plus en faveur des employeurs que des employés ?
— C’est une fausse image que je travaille à changer. C’est vrai qu’il y des manières de faire du patronat – renvoyer les cases, ne pas se présenter aux audiences, retarder les processus – qui peuvent donner cette impression. Les conditions d’emploi des travailleurs ont été beaucoup améliorées légalement dans le Workers Rights Act, mais le problème réside dans l’application des lois, et je dois dire que, bien souvent, le ministère ne fait pas suffisamment en faveur des travailleurs. Je vous donne un exemple précis : la loi dit qu’un employé licencié doit être inscrit sur le workers program une semaine après son licenciement. Mais dans la pratique, les officiers du ministère prennent des semaines, voire des mois, avant de le faire. Ce qui cause la perception négative que vous venez de mentionner.
Qu’est-ce justifie le délai à mettre en pratique une loi du travail en faveur des travailleurs à votre ministère ?
–Quand je pose la question à mes officiers, ils me répondent que le ministère manque de personnel, qu’ils ont trop de travail et essayent de faire le maximum…
…ce sont des excuses valables ?
— Oui et non. Il y a certes un manque de personnel, mais il y a aussi un problème de mauvaise gestion de l’emploi du temps. Dans la pratique, les officiers ont tendance à donner beaucoup de délais aux employeurs et les cas durent des semaines.
Quelle est la solution : augmenter le personnel ?
— Il faut surtout améliorer le service, le rendre plus efficace. Il faut que les fonctionnaires fassent ce pour quoi ils sont payés des fonds publics.
Est-ce que les ministres n’ont pas tendance à expliquer leurs lenteurs ou leur manque d’efficacité en rejetant la faute sur les fonctionnaires ? Est-ce que ce n’est pas une excuse un peu trop facile ?
— La politique et les objectifs d’un ministère sont décidés par le gouvernement et le ministre, et les fonctionnaires doivent les mettre en pratique. Mais il y a des fonctionnaires qui sont habitués à une manière de fonctionner, une manière de travailler et qui ne veulent pas les changer. On peut facilement dire que des fonctionnaires travaillent au ralenti, mettent des bâtons dans les roues parce qu’ils ont été nommés par l’ancien régime. Mais je crois qu’il serait plus juste de dire qu’indépendamment de leur couleur politique, il y a, chez beaucoup de fonctionnaires, une résistance au changement.
En général, les représentants des travailleurs pensent que le ministre du Travail est du côté du patronat et le considèrent comme l’adversaire des travailleurs. Quelles sont vos relations avec les syndicalistes ?
— J’ai adopté une politique de porte ouverte. Je reçois les syndicalistes aussi souvent que possible et je participe à leurs activités Nous avons de bonnes relations et je pense qu’ils réalisent que nous menons le même combat : faire respecter et améliorer à Maurice les droits des travailleurs. J’ai une formation d’avocat d’affaires chargé de rechercher des win win situation après des négociations. C’est ce que je fais avec les syndicalistes et le patronat : faire une médiation pour trouver des solutions acceptables à tous. Je l’ai dit et je le répète : un travailleur heureux est un travailleur positif et profitable qui aide l’entreprise et le pays à prospérer. Au niveau du Travail, nous devons améliorer le temps pris pour résoudre les problèmes industriels, pas seulement au ministère mais également dans les autres instances qui sont chargées de gérer ce secteur.
Si je comprends bien, de manière générale, toutes ces instances fonctionnent au ralenti ?
— Le système est tel qu’il peut permettre – dans un cas de licenciement, par exemple – aux avocats des entreprises de bloquer suffisamment les procédures pour que le travailleur, épuisé par les renvois, finisse par accepter n’importe quelle compensation. Une solution à ce problème, suggéré par les syndicalistes, est d’introduire – en cas de litige – le paiement d’intérêt sur les sommes dues à un employé. Ce serait une manière de décourager les renvois et cette question sera abordée lors des prochaines assises du travail quant à l’amélioration sur le droit du travail et des relations industrielles, le mois prochain.
Quelle est la situation de l’industrie du textile mauricienne ?
— Elle est aujourd’hui massivement subventionnée par le gouvernement. Nous ne pouvons pas continuer à subventionner une industrie en perte de vitesse ! Elle doit s’orienter vers des capital intensive industries, des secteurs à forte valeur ajoutée parce qu’elle ne peut plus dépendre sur des bas salaires. Elle doit se réinventer et suivre le modèle hongkongais d’il y a 30/40 ans en délocalisant leur production ailleurs dans des pays où la main d’œuvre est moins chère et peut être plus près des marchés, en raison de l’augmentation du fret.
Est-ce à dire que l’industrie textile est en danger, ou carrément en voie de disparition ?
— Je me fais l’écho de ce que j’ai compris quand j’ai interagi avec Star Knitwear et d’autres propriétaires d’usines de textile. Tout en faisant venir des travailleurs étrangers pour leurs usines, ils sont conscients que l’industrie textile mauricienne ne peut plus continuer dans sa forme actuelle, et doit changer de modèle économique.
Vous dirigez deux ministères : le Travail et l’Emploi. Quelles sont leurs spécificités ?
— Il existe généralement une confusion entre les deux ministères que je gère et qui mérite une clarification. Le Travail, c’est tout ce qui concerne le travail, les lois, ses conditions et les relations industrielles. L’Emploi, c’est d’abord la gestion de l’épais dossier des permis de travail aux travailleurs étrangers et tout ce qui va avec. Mais le travail de ce deuxième ministère est aussi de procurer de l’emploi pour les chômeurs.
Justement, quel est le taux de chômage à Maurice ?
— Selon Statistics Mauritius, il tourne autour de 5%, mais ce qui est inquiétant c’est celui des jeunes, ceux âgés de moins de 25 ans qui est trois fois plus, autour de 17% et celui des femmes qui est très conséquent. La raison ce n’est pas forcément que le Mauricien ne veut pas travailler, mais parce qu’il y a un problème entre la demande et l’offre sur le marché du travail. Cela ne date pas d’hier, mais malheureusement le précédent gouvernement n’a rien fait pour améliorer la situation. Nous venons avec un nouveau logiciel qui utilisera l’intelligence artificielle pour connecter l’offre et la demande en matière d’emploi. Ce logiciel recherchera dans notre banque de données les offres et les demandes avec tous les détails nécessaires et les communiquera aux parties concernées.
Est-ce que de manière plus large, le chômage chez les jeunes ne découle pas du fait que son éducation, que l’Éducation ne l’a pas préparé à correspondre aux besoins et aux demandes du marché du travail.
— Vous avez entièrement raison. Nous avons un problème au niveau de la formation dans la mesure où le MITD a tendance à donner des cours et des stages par rapport aux qualifications de ses enseignants, qui ne correspondent pas forcément aux demandes et besoins du marché de l’emploi.
C’est un non-sens, une aberration !
— Je préfère dire que c’est une faiblesse du système. Une autre réside dans le fait que nous ne disposons pas de cours de formation/ recyclage pour des employés qui ont perdu le travail dans un secteur et qui auraient besoin de cours pour trouver du travail dans un autre. C’est également le cas de ceux qui ont pris leur retraite et qui voudraient faire quelque chose dans un autre secteur du monde du travail.
Il faudrait non seulement revoir les cours du MITD mais également le programme de l’Éducation, le fameux syllabus, afin qu’il forme les étudiants en fonction des demandes du marché de l’emploi.
— Absolument. Nous aurions dû avoir au ministère de l’Emploi un département qui ferait des projections à moyen et long termes sur les besoins du marché de l’emploi à Maurice. C’est aujourd’hui que nous devons prévoir à quoi doit s’attendre l’étudiant qui quittera le collège avec son diplôme dans 5-6 ans. Pour qu’il ne se lance dans un domaine qui ne lui procurera pas un emploi quand il aura terminé ses études. C’est pour cette raison que nous sommes en train de travailler avec un consultant international pour mettre sur pied un observatoire du marché afin de permettre d’identifier les demandes du marché pour les court, moyen et long termes de façon professionnelle. Je voudrais revenir sur la question du chômage en la détaillant et pour aborder un autre phénomène. Il existe 30,000 demandeurs d’emploi enregistrés, dont 20,000, c’est-à-dire deux tiers qui ont déjà un emploi, mais qui se font enregistrer dans l’attente d’avoir un job dans la fonction publique – gouvernement, municipalités corps para étatiques. La perception est que l’enregistrement au bureau du travail peut vous offrir les portes de la fonction publique. C’est une faillite du système…
…provoquée en partie par les politiciens qui font croire qu’avec leur pression, ils peuvent faire gagne travail dans gouvernement. Cela a fini par devenir un concept dans lequel TOUS les Mauriciens croient.
— Vous avez bien dit TOUS les Mauriciens parce qu’il n’y a pas que les politiciens qui sont responsables de cette situation. C’est vrai que les ministres et politiciens sont submergés de demandes pou gagne enn travail dans gouvernement, alors qu’il existe des offres d’emploi dans le secteur privé ! J’ai discuté de ce point avec un ministre singapourien qui m’a dit que cette pratique n’existe pas dans son pays parce que si un ministre peut faire obtenir un emploi en ne passant pas par les structures du Bureau du travail cela voudrait dire qu’il ne fonctionne pas et qu’il faut le fermer. Il faudra encore du temps pour que, dans ce domaine, Maurice commence à fonctionner comme Singapour.
Abordons la question de la main d’œuvre étrangère. Est-ce que vous arrivez à comprendre pourquoi beaucoup de travailleurs mauriciens refusent le travail sur lequel se jettent les travailleurs étrangers ?
— On ne peut pas affirmer, comme on le fait trop facilement, que le Mauricien ne veut pas travailler. Il y a une évolution dans le secteur du travail dont un élément essentiel a été le Covid 19 qui a fait beaucoup de Mauriciens prendre conscience de l’importance de la famille et du temps à passer avec ses proches. Le Mauricien ne refuse pas de travailler, il choisit le genre de travail. Beaucoup ne veulent pas travailler en dehors des heures, le soir et pendant les week-ends. Les parents, plus particulièrement les mamans, veulent d’un travail leur permettant de passer du temps avec leurs enfants. Il y a aussi le fait que le travailleur mauricien veut se sentir à l’aise dans son environnement de travail et c’est là que les entreprises ont un gros effort à faire. Elles doivent se rendre compte qu’il y a aujourd’hui beaucoup de Mauriciens qui n’acceptent pas de travailler dans les conditions que leurs parents ont eues dans le passé.
Des conditions que les travailleurs émigrés acceptent facilement.
— Cela fait partie de l’évolution, d’un cycle. Il y a 30 ans, des Mauriciens acceptaient facilement d’aller à l’étranger faire un travail ingrat, mal payés, que les ressortissants de certains pays refusaient de faire. Mais je vais plus loin en disant que même si tous les Mauriciens acceptaient de faire le travail qu’ils refusent aujourd’hui, nous serions obligés de faire appel à de la main-d’œuvre étrangère en raison cause du vieillissement de la population locale, qui diminue le nombre de population active. Pour maintenir notre niveau de vie, notre taux de croissance et notre workforce, nous sommes obligés d’avoir recours à des travailleurs étrangers. Nous devons intégrer ces travailleurs étrangers et reconnaître qu’ils ont un apport significatif dans le développement économique de notre pays.
Vous êtes au courant que certains employeurs mauriciens se comportent avec leurs employés étrangers comme des esclavagistes ?
— Absolument. Il y a beaucoup de cas d’exploitation, et même de human traficking. Des travailleurs étrangers débarquent à Maurice avec un visa de touriste, travaillent au noir et se font exploiter en étant mal payés, mal logés et maltraités, et certains finissent par pratiquer des activités illégales.
Il y a eu beaucoup d’allégations de fraudes, parfois prouvées, sur la manière d’accorder des permis de travail aux étrangers. On a même parfois utilisé le terme trafic !
— J’ai été l’un des premiers à utiliser le terme de mafia dans une PNQ, alors que j’étais député de l’opposition, et ce n’était pas un terme choisi à la légère. Je suis satisfait qu’aujourd’hui, la Financial Crimes Commission est en train de faire une enquête sur le recrutement des travailleurs étrangers autorisé par le précédent gouvernement. Des mon arrivée au ministère de l’Emploi, j’ai fait procéder à des changements pour rendre le système plus transparent et réduire le temps pour accorder les licences. Et j’ai aboli l’abomination qui consistait à faire appel au ministre en cas de rejet du permis, alors que c’était le même ministre qui l’avait rejeté ! Il n’y a plus d’appel, mais avant d’agir sur les recommandations du comité technique pour un rejet, je donne l’opportunité à l’employeur de justifier sa demande.
En vous écoutant parler avec passion et franchise de vos deux ministères et de leurs problèmes, je me dis que le PM n’a pas eu tort de vous nommer au Travail et à l’Emploi.
— Dans ma jeunesse, une de mes chansons préférées était Watching the Wheels de John Lennon qui avait le couplet suivant :Ah, people asking questions
Lost in confusion
Well, I tell them there’s no problem.
Only solutions.J’ai fait de la dernière phrase de ce couplet mon mantra : there is no problem, only solutions. C’est ce que je fais aux ministères que le Premier ministre m’a confié : trouver des solutions aux problèmes existants
Je vais maintenant m’adresser au président du MMM que vous êtes pour aborder le volet politique de cette interview. Quelle a été votre réaction quand vous avez appris qu’un membre de votre bureau politique, par ailleurs gendre de votre leader, avait été nommé à la présidence d’Airport Holdings ?
— Il est tout à fait normal que les ministres d’un nouveau gouvernement nomment à la tête des institutions des personnes qui partagent la même vision politique. J’ai toujours considéré Frédéric Curé comme un militant, et pas comme le gendre de Paul Bérenger ou comme le fils d’un ancien député du MSM, et sa nomination ne m’a pas surpris. Cela dit, c’est une bonne chose pour la démocratie que nous ayons ce débat sur la manière de procéder aux nominations et les critères qui doivent être utilisés. J’en profite pour vous rappeler que dans le programme gouvernemental de l’Alliance, nous avions promis de mettre sur pied un comité pour faire des propositions sur les nominations dans les institutions publiques.
J’en profite pour souligner que cette promesse n’a pas été tenue neuf mois après les élections. Et j’ajoute qu’au rythme où vont les choses, si jamais ce comité était constitué, il n’aurait aucune proposition à faire dans la mesure où toutes les nominations auraient été déjà effectuées !
— Une des nos promesses électorales était de constituer une commission pour revoir la constitution ; les nominations en font partie. Je crois que tous les Mauriciens peuvent avoir l’ambition d’être nommé à un poste pour servir son pays, mais je ne suis pas d’accord qu’une personne soit disqualifié d’une nomination juste parce qu’il est parenté à un ministre ou une personnalité politique ! J’aimerais ajouter que pendant que le MMM était dans l’opposition et que ses militants et leurs parents étaient blacklistés, ne pouvaient avoir un emploi ou une maison du gouvernement, je n’ai pas entendu les journalistes ou l’opinion publique protester et crier au scandale !
Je vous rappelle que vous êtes le président d’un parti qui, pendant des années, a mené campagne contre le népotisme et la politique papa/piti, et il me semble qu’avec votre parti, vous êtes en train aujourd’hui de militer pour le contraire.
— Je ne suis en train de militer pour le contraire ! Je fais la différence entre une nomination politique autorisée par la loi et une autre faite juste sur une base familiale. Ces derniers cas relèvent du népotisme que je combats. Mais je ne peux accepter que quelqu’un de qualifié pour un poste soit pénalisé juste parce qu’il est parent d’un ministre ou d’un député !
L’affaire des nominations a conduit à des déclarations qui font penser aux observateurs politiques que la cassure entre le PTr et le MMM est inéluctable. Votre opinion ?
— Je pense que le gouvernement de l’Alliance du Changement ira au terme de son mandat. Tous les dirigeants de cette alliance pensent qu’il faut d’abord veiller aux intérêts du pays, avant les considérations politiques. Bien sûr, comme dans toute alliance politique, il ne peut y avoir unanimité sur toutes les questions et certaines d’entre elles pourraient causer des frictions. Mais je suis sûr que, comme pour conclure l’alliance, les partis ont su mettre de côte leurs divergences, ils sauront faire la même chose pour le bien du pays.
En tant que président du MMM, j’aurais été étonné de vous entendre dire le contraire…
— …je vous ai répondu en tant que président du MMM et patriote…
En 2022, il y avait des rumeurs selon lesquelles vous étiez sur le point de quitter votre parti et vous aviez déclaré : je n’ai aucune raison de quitter le MMM. Dans l’hypothèse d’une cassure PTr/MMM, vous n’auriez aucune raison de quitter le MMM ?
— Je ne devrais pas répondre à une spéculation, mais je tiens à dire que je suis très à l’aise au sein du MMM, dont je suis le président tout comme je suis à l’aise au sein du gouvernement qui fait le maximum pour tenir ses engagements. Par conséquent, je ne vois aucune raison qui pourrait me pousser à changer de position à l’avenir.