Roshi Bhadain, leader du Reform Party : « Pravind Jugnauth bizin lev so paké allé ! »

Notre invité de ce dimanche est Roshi Bhadain, le leader du Reform Party. Dans cette interview réalisée vendredi, l’ex-ministre de la Bonne gouvernance de SAJ revient tout d’abord sur quelques épisodes de son passage au gouvernement MSM/PMSD/ML, plus particulièrement sur l’affaire BAI. Dans la deuxième partie de l’interview, il analyse l’action de son parti, tire à boulets rouges sur Pravind Jugnauth et appelle à une coalition nationale pour que ce dernier quitte le poste de Premier ministre pour incapacité à assumer ses responsabilités.

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Commençons par une question nécessaire pour la suite de cette interview. Quand est-ce que vous êtes sincère ? Quand, comme en 2016, vous faites un baise-main à Pravind Jugnauth ? Ou, ces jours-ci, quand vous en faites la principale cible de vos critiques ?

— J’ai toujours été sincère dans mes actes et mes propos. Quand j’étais au MSM, j’étais loyal et sincère avec le leader du parti et le chef du gouvernement qui m’avait nommé ministre. Mais après, quand j’ai vu de l’intérieur comment les choses fonctionnaient, comment les décisions étaient prises par la kwizinn, j’ai refusé, en janvier 2017, de faire partie du gouvernement de Pravind Jugnauth.

Ce n’est pas plutôt parce qu’il ne vous avait pas offert le poste de ministre des Finances que vous convoitiez ?

— Ce sont les rumeurs que la kwizinn a fait circuler sur moi. J’avais déjà dit à Sir Anerood que le jour où il allait quitter le gouvernement comme Premier ministre, j’allais faire la même chose. Je n’avais aucune raison de demander le ministère des Finances, puisque j’étais ministre des Services financiers, qui est la moitié du ministère des Finances avec tout ce qui concerne l’offshore, la bourse, les assurances et les organismes régulateurs, la bonne gouvernance et les réformes institutionnelles. J’ai refusé de travailler avec Pravind Jugnauth et sa kwizinn qui le contrôle. Je l’ai déjà dit : la kwizinn c’est un système mafieux qui s’est accaparé de toutes les institutions de l’Etat et on l’avait déjà vue à l’oeuvre avec la révocation de Meg Pillay d’Air Mauritius.

Cette kwizinn est-elle structurée comme une vraie cuisine avec des chefs, des sous-chefs et des plongeurs ?

— Pas du tout. Ce sont des gens qui sont presque tous membres de la même famille de près ou de loin et leurs proches collaborateurs qui ont été nommés à la tête des institutions du pays. Ils décident de ceque Pravind Jugnauth doit ou ne doit pas faire, des décisions du gouvernement et de ses institutions, et surtout comment procéder pour qu’ils s’enrichissent.

Vous êtes entrain de me dire que le Premier ministre est une marionnette, manipulée par la kwizinn ?

— Il est quelqu’un qui ne peut pas prendre des décisions, elles sont dictées par les gens de la kwizinn qui ont leur propre agenda et motifs. He cannot stand alone. Alors qu’un leader est quelqu’un qui leads people, Pravind Jugnauth est un follower qui fait ce que lui dicte la kwizinn. Par exemple, pour les dernières élections générales, ce n’est pas Pravind Jugnauth qui a choisi les candidats, mais la kwizinn. Je l’avais déjà dit en janvier 2017 : ce n’est pas le gouvernement qui dirige le pays, c’est la kwizinn. Trois ans après, on se rend compte que j’avais raison sur toute la ligne.

Restons un moment encore sur le passé : avec le recul du temps, est-ce que vous regrettez aujourd’hui l’affaire BAI ?

— Je regrette la manière dont les choses ont été perçues, mais je n’ai pris aucune décision sur la BAI. C’est la révocation de la licence de la Bramer Bank, prise par le ministre des Finances et le gouverneur de la Banque de Maurice, qui a entraîné la chute de la BAI, qui en était actionnaire à 75 %. Le Conseil des ministres n’était même pas au courant de cette décision.
Mais SAJ, lui, était au courant de cette décision, puisqu’il a fermé son compte à la Bramer Bank avant la révocation. Il l’a lui-même déclaré.

— Je ne sais pas qui l’avait informé de la révocation de la licence de la Bramer. Je ne suis pas responsable de la chute de la BAI et je ne comprends pas pourquoi on m’en attribue la responsabilité.
Mais parce que, comme des milliers de Mauriciens, je vous ai vu à la MBC, le soir de la révocation de la licence, expliquer, justifier et défendre en des termes très forts cette décision du gouvernement dont vous me dites, aujourd’hui, que vous n’étiez pas partie prenante. Vous avez même participé, par la suite, à plusieurs émissions de la MBC sur la fermeture de la BAI…

— Je le répète : je n’ai pris aucune décision dans cette affaire. J’étais responsable d’un nouveau ministère qui n’était pas totalement organisé. C’est qui s’est passé c’est que le vendredi après la révocation, le Conseil des ministres a pris la décision d’organiser une conférence de presse de tout le gouvernement autour du PM pour expliquer la révocation. Le Conseil des ministres décide aussi d’envoyer le ministre des Finances et celui des Services financiers à la télévision, ce même soir, pour des explications détaillées. Je me suis fié aux rapports des experts qui avaient découvert un trou de Rs 10 milliards dans les comptes de la BAI et je suis allé le dire à la télévision.

Est-ce que vous aviez réalisé que cette fermeture allait ruiner des milliers de Mauriciens qui avaient investi dans les produits de la BAI ?

— Il faut bien préciser les choses. Il y avait 16 347 personnes dans les deux comptes de la BAI. Nous avons décidé de rembourser ceux qui avaient investi moins d’un million de roupies, c’est-à-dire ceux qui étaient au bas de la pyramide, de Ponzi, c’est-à-dire
11 302 personnes. Le reste était ceux qui avaient investi un million à monter ou beaucoup, beaucoup plus. Comme le frère de Prakash Manthoora, simple tailleur, qui avait investi près d’une centaine de millions ou ce chauffeur de taxi qui avait déposé Rs 22 millions ! Comme on n’avait pas suffisamment d’argent pour rembourser cette catégorie, on a décidé de le faire par tranches de 20 % sur cinq ans et on a payé en juin 2015 et juin 2016 les deux premières tranches. J’ai quitté le gouvernement en janvier 2017 et en mai une grève de la faim est organisée contre le non-paiement de la troisième tranche, et Pravind Jugnauth, ministre des Finances, fait un deal : il va faire payer les 75 % qui restent si les assurés renoncent aux 30 % restants. C’est un deal qui viole l’agrément légal déjà fait pour le remboursement en cinq tranches qui avait été ratifié par le gouvernement. Aujourd’hui, les assurés, qui ont perdu 30 % de leur investissement, poursuivent le gouvernement en disant qu’on les a forcés à faire le deal et m’ont demandé de les représenter en tant qu’avocat !

Donc, vous représentez aujourd’hui ceux qu’on vous a accusé d’avoir ruinés en 2015 ! Mais avec le recul du temps, pouvez-vous dire pourquoi Vishnu Lutchmeenaraidoo a pris la décision de faire révoquer la licence de la Bramer?

— J’ai compris qu’il travaillait sur ce dossier depuis l’époque où il était encore au MMM. Pour lui, la BAI était un volcan qui allait engloutir l’économie mauricienne et il l’en a empêché en le faisant exploser avant. Il avait promis une croissance et un deuxième miracle économique, des promesses électorales qui avaient fait élire l’alliance et il se retrouvait face à cette menace. Il a fait du damage control avec les conséquences que l’on sait. Quand je me suis rendu compte de ça, je suis allé voir SAJ en lui parlant de l’euroloan de Lutchmeenaraidoo et SAJ a dit publiquement : « Nou népli bizin Vishnu. » C’est à partir de là, en 2016, que Vishnu Lutchmeenaraidoo, qui était jusqu’alors un électron libre sans parti au sein de l’alliance, est entré au MSM pour avoir la protection de la kwizinn. Il ne faut pas oublier qu’il a animé une réunion à Rivière-des-Anguilles, où il a remercié publiquement Kobita et Pravind Jugnauth de leur soutien.

Vous quittez le gouvernement en 2017 et vous fondez le Reform Party pour « reformer » tout le système. Personne ne vous avait dit qu’à Maurice, pour arriver au pouvoir et éventuellement le changer, il faut passer par des alliances avec les grands partis pour remporter les élections ?

— Je suis entré en politique et au MSM parce que Pravind Jugnauth était mon client et passait des journées dans mon cabinet. Je suis entré au MSM à sa demande quand le remake MMM/MSM a éclaté et que le MSM seul ne valait pas grand-chose. Puis, il y a eu les élections de 2014 avec des résultats que personne n’avait prévus. Arrivé au gouvernement, j’ai fait la connaissance et découvert Aneerod Jugnauth qui a apprécié mon travail, ma capacité à réagir…

Et vous vous êtes découvert un nouveau papa…

— C’est ce que ceux qui étaient envieux de cette relation ont dit. J’ai beaucoup travaillé et j’ai par exemple négocié avec l’Inde les Rs 12.7 milliards — bien avant que Pravind ne revienne au gouvernement — qui ont servi à faire le métro. C’était une relation de travail, de respect et un jour SAJ a dit publiquement qu’il n’y avait qu’un seul ministre qui travaillait dans son gouvernement : moi.

Avec le recul, cette relation et le pouvoir ne vous ont-ils pas monté à la tête vous poussant à un comportement dépassant souvent l’arrogance?

— Après avoir quitté le gouvernement, j’ai réalisé qu’il m’aurait fallu être plus down to earth. J’ai compris que quand on est au pouvoir, on néglige les gens et leur travail sur le terrain pour s’attaquer aux problèmes et les résoudre. Pour répondre à la question précédente, je dois reconnaître qu’au cours des trois dernières années, j’ai appris et compris, à mes dépens, et à travers deux élections, que pour arriver au pouvoir, il faut être dans une alliance. A la partielle de Quatre-Bornes, le Reform party est sorti troisième derrière le PTr et le MMM en battant le PMSD et le MP, ce qui n’était pas mal pour un nouveau parti. Aux élections générales de 2019, je croyais pouvoir être élu à Beau-Bassin et je me suis rendu compte après que ce n’était pas possible sans une alliance.
Pourquoi continuez-vous à maintenir le Reform Party en vie alors ?

— Je croyais, il y a trois ans, que l’île Maurice était prête pour un changement, d’où le slogan « Time for change ». Parce qu’il faut tout changer : le système, les politiques, les fonctionnaires, les régulateurs, les communicateurs et même le secteur privé. Je pensais qu’avec les jeunes on allait pouvoir le faire avec des rencontres, en postant des messages et des vidéos sur les réseaux sociaux et en les mobilisant. Après la partielle de Quatre-Bornes, quand on a essayé de faire grandir le Reform party, j’ai réalisé que les jeunes demandent des résultats immédiats, sinon ils vont ailleurs. Ils sont dans une zone de confort qu’ils ne veulent pas quitter pour descendre sur le terrain. Ils veulent plus s’asseoir dans leur salon et poster des messages sur Facebook à partir de leurs portables. Et puis, je me suis rendu compte que les élections se gagnent aussi avec ceux qui ont l’expérience du terrain : les agents. Mais j’ai surtout découvert que certains travaillent plus pour de l’argent que pour les convictions, que la promesse d’une augmentation de la pension de vieillesse pèse plus lourd dans la décision, que la nécessité de changer le système.

Donc, si le Reform Party veut arriver au pouvoir un jour pour réformer le système, il lui faudra faire une alliance électorale ?

— Quel parti politique peut se présenter seul aux élections générales et les remporter ? Mais il n’y a pas que les politiciens. Certains électeurs votent plus pour des promesses que des programmes. Savez-vous combien d’électeurs m’ont dit qu’ils apprécient ce que je dis, mes arguments et mes convictions, mais m’ont fait savoir qu’ils allaient voter pour les candidats du gouvernement à cause des promesses électorales ? Je croyais qu’on pouvait faire quelque chose pour changer le système, j’ai dû me rendre compte que ce n’était pas possible : le système est trop fort et je ne parle même pas du communalisme et du castéïsme ! J’ai essayé et j’ai échoué et je dois me poser la question : est-ce que je continue dans la même direction ou je mets mon énergie et mon intelligence dans autre chose ? La réponse est : il faut entrer dans une équipe pour gagner. Mais avant ça, il faut affronter la situation dans laquelle le gouvernement a conduit le pays.

Quelle est justement votre analyse de la situation économique du pays ?

— La situation est catastrophique. Le gouvernement a puisé dans les réserves de la Banque centrale pour soi-disant équilibrer le budget national. A côté de ce scandale, l’affaire de la BAI est une affaire insignifiante. Il y a eu le crash d’Air Mauritius, pourtant dirigé par des membres de la kwizinn, la mainmise sur la SBM et, d’une certaine manière, la Banque centrale. Tout cela, sans oublier la Covid-19, était déjà un pas vers la banqueroute du pays. L’épidémie a permis au gouvernement d’aller plus loin encore. Avec la Covid Act, il a légiféré pour prendre tout ce qu’il veut de la Banque centrale et se permettre d’endetter le pays autant qu’il le veut. Nous allons nous retrouver avec plus de 80 000 chômeurs, sans compter les jeunes qui vont arriver sur le marché du travail, l’année prochaine. Ce sont les conséquences des décisions prises, des lois amendées pour permettre des licenciements. Par ailleurs, des pays africains — Zambie, Sénégal, Rwanda — sont en train de profiter de la situation désastreuse causée par l’inclusion de Maurice sur la liste noire de l’Union européenne pour signer des accords financiers et remplacer Maurice. L’Afrique est en train de nous donner un coup de pied à cause de la politique internationale de Pravind
Jugnauth. Est-ce qu’il luttait vraiment pour les Chagossiens et la récupération des Chagos ou est-ce qu’il se battait pour récupérer la location que les Américains payent aux Britanniques ?

Que faudrait-il faire pour que Maurice sorte de cette situation ?

— Pravind Jugnauth bizin lev so paké allé avant ki paké la lev ar li ! Il faut faire une coalition pour faire partir ce gouvernement.

Comme l’avait dit Arvin Boolell : arrête rêvé camarade. Vous pensez que Pravind Jugnauth va quitter le pouvoir comme ça ? Même avec ses 37 %, il est majoritaire au Parlement.

— Rectification : il n’a pas obtenu 37 % aux dernières élections. Le pourcentage des voix doit être calculé sur

269 000 des 725, 000 électeurs votants, pas sur les 945 000 électeurs inscrits. Ce qui fait 28% et non 37% : c’est ça la réalité. L’autre réalité c’est l’incompétence de ce gouvernement et on l’a vue dans la non-gestion de l’affaire Wakashio. Il lui a fallu douze jours pour réagir, soi-disant parce que ses experts lui avaient dit que le temps serait mauvais ! Il a abdiqué sa responsabilité après le naufrage en affirmant qu’il l’a fait sur le conseil des experts. Il est devenu un expert dans l’écoute des experts ! Il faut créer une coalition pour le faire quitter, le plus vite possible, l’Hôtel du gouvernement.

L’opposition parlementaire a créé une plate-forme dont le Reform Party est exclu, me semble-t-il…

— Vous avez bien dit une plate-forme de l’opposition parlementaire. J’ai fait un appel à l’unité nationale et les trois partis parlementaires se sont regroupés. Dans leur deuxième réunion, ils ont parlé de moi et du Reform party. Attendons la suite. Aujourd’hui, quand je vois ce qui s’est passé et se passe dans le pays, il faut se dire qu’il sera difficile de sortir de la situation où nous ont conduits Pravind Jugnauth et son gouvernement dirigé par la kwizinn. Sans compter les conséquences de la catastrophe écologique qui va affecter Maurice pour de nombreuses années. Mais le pire c’est que les caisses ont été vidées, les réserves de la Banque centrale ont été transférées, la roupie est entrain de déprécier, les prix sont en d’augmentation.

Vous pensez qu’une coalition politique remplaçant le gouvernement peut changer tout ça ?
— Je ne parle pas de coalition politique, mais d’unité nationale. Il faut que tout le monde se mette ensemble pour faire partir ce gouvernement. Il existe dans ce pays beaucoup de compétences et de personnes qui peuvent contribuer à ce mouvement. Il y a des leaders politiques qui sont là depuis longtemps et qui ont une expérience certaine. Il y a des syndicats. Il y a des jeunes, des militants des partis politiques et des ONG et autres associations civiques sur le terrain. Tout ce beau monde doit décider de travailler ensemble. Comme cela s’est fait à Mahébourg pour protéger Maurice de la marée noire et de la catastrophe écologique. Nous devons aussi faire face à une catastrophe économique et sociale due à ce gouvernement, ses mesures et ses lois dictées par la kwizinn. Les Mauriciens ont su se mobiliser contre la marée noire, il faut qu’ils se mobilisent pour faire partir ce gouvernement.

Vous croyez vraiment que c’est possible ?

— Ce n’est pas une question de possibilité, c’est une question de nécessité, de la survie du pays. En gardant en tête que les caisses ont été vidées et que la marge de manœuvre pour essayer de redresser la situation sera extrêmement difficile. Mais il nous faut croire qu’avec la bonne volonté de chacun, avec les ego des uns et des autres mis de côté, nous pourrons créer le mouvement, la dynamique nécessaire. Les Mauriciens auront à faire face à tous les problèmes déjà évoqués, ce qui va les obliger à réagir. Par son comportement, ses déclarations contre les volontaires, contre la BBC, par sa manière d’interdire à certains journaux ou radios de couvrir ses conférences de presse, Pravind Jugnauth démontre jour après jour son incompétence. Il a abdiqué devant ses responsabilités, il est responsable des conséquences du naufrage. Ne serait-ce que pour ça li bizin lev paké allé !

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