Partout dans le monde, les hommes sont plus susceptibles de mourir par suicide que les femmes, et Maurice ne fait malheureusement pas exception. À l’occasion de la Journée internationale des hommes et du mouvement Movember, la consultante clinique et chercheuse Dre Zoe Wyatt-Potage alerte sur un recul subtil, mais révélateur du bien-être masculin à Maurice. Malgré un classement toujours favorable dans le World Happiness Report, les signes d’essoufflement se multiplient. Dans cet entretien accordé à Week-End, Dre Zoe Wyatt-Potage appelle ainsi à une approche simple et ancrée dans le quotidien pour protéger la santé mentale des hommes, à travers des gestes accessibles, répétés et non stigmatisants.
Dans votre article A Small Slide, A Big Opportunity : Everyday Steps for Men’s Wellbeing, vous expliquez que ce sont les habitudes du quotidien, pas les grandes résolutions, qui protègent notre bien-être. Pourquoi les petits gestes répétés sont-ils particulièrement efficaces pour la santé mentale des hommes ?
Notre cerveau et notre système nerveux réagissent davantage à ce que nous faisons régulièrement qu’aux grandes résolutions que nous prenons ponctuellement. En effet, de petites actions quotidiennes envoient des signaux répétés de sécurité et de prévisibilité, qui sont essentiels pour réguler l’humeur et le stress. Les recherches sur les habitudes et l’activation comportementale montrent que la mise en place de routines simples et régulières, comme le fait de bouger chaque jour, de maintenir un rythme de sommeil constant ou de s’accorder de petits moments de plaisir ou de connexion, peut progressivement réduire les symptômes d’anxiété et de dépression tout en soutenant le bien-être à long terme.
Nous ne disposons pas encore d’études mauriciennes détaillées sur le sujet, mais rien n’indique que les hommes d’ici feraient exception à cela. Dans le cadre de mon travail à Maurice, j’observe un schéma similaire à celui décrit dans les recherches internationales : lorsque les hommes optent pour de petits changements réalistes plutôt que de viser des objectifs parfaits, ils sont plus susceptibles de persévérer, de remarquer des améliorations au fil du temps et de gagner en confiance dans leur capacité à faire face aux difficultés.
Le World Happiness Report montre une légère baisse de la satisfaction de vie à Maurice, passant de 6 à 5,8. Comment interprétez-vous ce glissement, et en quoi est-il révélateur selon vos recherches ?
Selon le World Happiness Report, le score du bien-être à Maurice est passé d’environ 6,0 à 5,8 sur une échelle de 10. Le pays reste l’un des mieux classés de la région, ce qui est le signe de liens sociaux solides et d’une certaine stabilité, mais cette légère baisse montre que le quotidien devient plus éprouvant pour beaucoup.
Dans ma pratique, j’entends souvent parler de la hausse du coût de la vie, de la charge de travail, des responsabilités familiales et de la pression « d’assumer pour tout le monde ». Lorsque ces contraintes augmentent plus vite que les ressources émotionnelles, la qualité de vie a tendance à diminuer. Cette évolution du score agit comme un signal d’alerte : si nous souhaitons inverser la tendance, nous devons investir dans le bien-être psychologique avec autant d’attention que nous accordons au développement économique.
Vous soulignez que les hommes sont souvent moins enclins à parler de leur mal-être. Quels freins principaux observez-vous encore aujourd’hui lorsqu’il s’agit pour eux de demander de l’aide ou de s’ouvrir ?
Certains obstacles viennent de l’intérieur. Beaucoup d’hommes ont appris qu’ils doivent résoudre leurs problèmes seuls et subvenir aux besoins de leur entourage, tout en gardant toujours le contrôle. Le fait d’admettre une détresse ou le fait d’accepter une faiblesse peut alors être vécu comme un échec ou une perte de statut. Ces croyances s’installent souvent dès l’enfance et les accompagnent à l’âge adulte.
D’autres obstacles sont sociaux ou pratiques : ne pas savoir vers qui se tourner, s’inquiéter du coût d’une thérapie ou encore le fait de manquer de temps en raison du travail. Beaucoup d’hommes redoutent aussi la réaction de leur entourage. S’ils s’attendent à être jugés, incompris ou à ce qu’on leur demande d’agir « tout simplement en tant qu’hommes », ils peuvent choisir de se taire, même lorsqu’ils souffrent réellement.
Vous proposez sept habitudes simples comme « dix minutes de mouvement » ou « une conversation sincère par semaine ». Parmi ces recommandations, lesquelles ont, selon vous, l’impact le plus immédiat sur le moral et l’énergie ?
Souvent, la première amélioration arrive simplement en parlant à quelqu’un de confiance. Dire, même brièvement, que l’on traverse une période difficile peut alléger le sentiment de porter tout seul ses préoccupations et diminuer ainsi la pression. Ensuite, le mouvement a un effet très puissant. Même dix minutes de marche rapide, d’étirements ou de montée d’escaliers peuvent améliorer l’humeur et réduire la tension à court terme — surtout si cela s’inscrit dans une routine quotidienne. Enfin, de courtes pauses chaque jour aident le système nerveux à se rééquilibrer : quelques respirations lentes, sortir un instant pour sentir la lumière et l’air, ou le fait de s’étirer entre deux tâches. Pris de manière isolée, ces moments semblent minimes, mais lorsqu’ils sont répétés tout au long de la semaine, ils apportent plus de stabilité et d’énergie.
Comment les familles et les proches peuvent-ils encourager ces gestes du quotidien sans mettre de pression ou créer un sentiment d’échec ?
Les invitations douces fonctionnent souvent mieux que les injonctions. Plutôt que de dire : « Tu devrais faire plus d’exercice », il peut être plus aidant de proposer : « Je vais marcher un petit moment, tu veux venir avec moi ? » L’idée est de garder les suggestions simples et liées à ce qui compte pour lui : mieux dormir, se sentir plus calme, avoir plus de patience avec les enfants.
Il est également plus efficace de valoriser l’effort plutôt que le résultat. Pour cela, il faut pouvoir identifier les moments où il essaie vraiment d’apporter du changement : « J’ai vu que tu as éteint ton téléphone plus tôt pour te reposer, ça te fait du bien » motive davantage que le fait de souligner les jours où il n’y arrive pas. Le message global, c’est que vous explorez ensemble ce qui l’aide, plutôt que de l’évaluer comme s’il réussissait ou échouait !
Vous invitez aussi les entreprises à normaliser la conversation sur le bien-être mental. Quels changements concrets un manager ou un dirigeant peut-il mettre en place dès maintenant, même sans ressources supplémentaires ?
Les managers peuvent transformer l’atmosphère d’un lieu de travail par leurs gestes du quotidien. Ils peuvent ainsi privilégier de véritables temps de pause, décourager les longues heures vues comme un « badge d’honneur », et ouvrir les réunions par un simple tour de table du type : « Comment tout le monde gère cette semaine ? » plutôt que de se concentrer uniquement sur les objectifs.
Ils peuvent également partager des informations simples et validées sur le stress, le sommeil ou les routines saines, à travers de courtes interventions ou des discussions d’équipe. Surtout, ils peuvent montrer clairement que le simple fait de demander du soutien n’est pas synonyme de faiblesse ni de contre-performance.
Quand les leaders prennent eux-mêmes un congé après un événement difficile, quand ils expliquent calmement comment ils gèrent leur stress, ou lorsqu’ils permettent des horaires flexibles en cas de crise familiale, ils envoient un signal fort : ici, la santé mentale compte, et il est normal d’en prendre soin.

