Sommes-nous condamnés à adopter et mettre en pratique des formules déjà éprouvées, qui aujourd’hui ne font qu’éprouver davantage des populations déjà ébranlées et marquées par des difficultés sociales et économiques ?
Comme dans de nombreux pays, la question se pose aujourd’hui à Maurice autour de la question de la brutale réforme des pensions annoncée dans le récent exercice budgétaire. Qui porte l’âge du versement de la pension de vieillesse de 60 à 65 ans, sans aucune consultation ou discussion préalable. Il n’y a pas d’autre choix nous dit-on.
Pourtant, ici et à travers le monde, des voix et des initiatives s’élèvent pour remettre en question le fameux TINA : There Is No Alternative. Et elles méritent qu’on s’y arrête, et peut-être qu’on s’en inspire pour ré-interroger des modèles figés.
C’est le cas notamment en Afrique, comme le montrent par exemple les 2èmes Assises Africaines de la Démocratie qui se sont tenues du 19 au 22 juin dernier à Dakar, au Sénégal, à l’initiative de la Fondation de l’innovation pour la démocratie.
Créée en 2022, cette Fondation est une organisation panafricaine à but non-lucratif dont l’objectif est de contribuer à faire émerger des modèles de démocratie inscrits dans l’histoire, les cultures et les territoires africains. Avec pour vocation de devenir un lieu de création et d’organisation de nouveaux flux d’idées et de nouveaux liens entre les acteurs de terrain, pour « ré-ouvrir des possibles et accompagner un réveil démocratique en Afrique ». En misant sur « la richesse des ressources endogènes, l’énergie de la jeunesse, la voix des femmes, la puissance de l’intelligence collective et l’élan des communautés ». En d’autres mots être une plateforme pour « réinventer la démocratie dans un continent jeune, en mutation et en quête d’alternatives ». Rassembler et outiller les actrices et acteurs de la démocratie, les aider à penser en commun, à se projeter dans un horizon ouvert et libre et à se mettre en réseau pour agir. L’innovation au service du pouvoir d’agir.
Loin de n’être qu’un lieu de discussion théorique (de bla-bla diraient certains), ces passionnantes Assises ont entre autres mis en lumière des initiatives concrètes soutenues par cette Fondation dont le directeur général est l’historien Achille Mbembe.
On y découvre ainsi treize initiatives au riche potentiel financées par la Fondation en 2025, au Rwanda, en République Démocratique du Congo, au Tchad, au Cameroun, au Cap Vert, au Niger, au Mozambique, au Sénégal.
Au Burkina Faso, la Fondation soutient la recherche-action au service de la sécurité humaine menée par une ONG nommée GRASH. Qui œuvre à contribuer à la lutte contre l’insécurité et l’extrémisme violent ; à promouvoir les droits humains et en particulier ceux liés au genre ; à favoriser l’accès du citoyen à la justice ; à contribuer à l’état de droit et à la démocratie. Cela, notamment, à travers deux cliniques juridiques qui offrent un soutien direct aux communautés en matière de droits et de justice.
Au Mali, c’est Impact Sahel, association qui promeut la résilience, la paix et le développement durable à travers l’engagement citoyen, le respect des droits humains et le renforcement des capacités des jeunes et des populations vulnérables. La Fondation soutient son projet « Engagement des femmes et des jeunes pour une gouvernance inclusive grâce aux technologies numériques ». Qui introduit des pratiques innovantes comme la diffusion de contenus citoyens et l’organisation de débats hybrides (physiques et en ligne), rendant ainsi la gouvernance plus accessible et inclusive.
En Guinée-Conakry, c’est la Ligue guinéenne de slam et son projet « Des-Mots-Cratie ». Qui a pour but de sensibiliser les jeunes sur les 14 principes de la démocratie, et de leur offrir des formations à l’écriture et à la création artistique pour la démocratie. Ce en vue de créer et promouvoir une démocratie « audacieuse et décolonisée ».
Au Maroc, c’est la coopérative Thyssia, créée en février 2023, qui œuvre pour l’inclusion sociale et économique des femmes rurales à travers la valorisation de l’artisanat traditionnel, notamment le tissage amazigh. Implantée dans les montagnes isolées du Haut Atlas, elle accompagne les femmes dans un processus d’autonomisation intégrale en combinant formation technique, transmission du patrimoine culturel, renforcement des capacités et création de revenus durables. Transformant le savoir-faire ancestral en levier d’action pour l’autonomie.
Au Burundi, c’est l’expérience singulière menée par la coopérative Muntunuwundi. Qui signifie Pain, Paix, Développement. « Il n’y a pas de paix sans pain. Il n’y a pas de pain sans paix. Et nous ne pouvons avoir de développement s’il n’y a pas de paix et de pain », explique sa directrice, Daphrose Ntarataze. Elle-même a été victime du génocide qu’a connu le Burundi en 1993-94, en parallèle à celui du Rwanda. Réfugiée en Suisse avec son mari, elle y a bénéficié d’accompagnements qui lui ont permis de se reconstruire. Ce qu’elle a voulu ramener dans son pays d’origine. Aujourd’hui, leur association y mène diverses actions de reconstruction des personnes, village et société. Soigner les mémoires en puisant dans les savoirs ancestraux. Parmi les outils mis en place, celui qui s’appelle « Conte, raconte et cercles restauratifs ». À travers lequel ils éprouvent sans cesse la force réparatrice de la parole, de la conversation, au service de l’action constructive.
Puisqu’il est question de pain, une autre expérience concrète peut retenir notre attention cette semaine. Celle mise en lumière par La Dépêche du Midi, dont le journaliste Léo Rebeyrol consacre un reportage à Jean-Pierre Delboulbe, boulanger à Castelsagrat dans le Tarn-et-Garonne, département français appartenant à la région Occitanie.
« J’ai essayé de comprendre ce qu’on pouvait faire pour que les salariés soient à peu près heureux. Et c’est pas forcément le salaire qui amène le bonheur. Ca y contribue certainement. Mais c’est aussi le temps libre. Et la tranquillité au travail » raconte ce dernier.
Après en avoir parlé avec ses salariés, il a mis en place dans sa boulangerie organisée en coopérative la semaine des 4 jours, avec 10 semaines de vacances annuelles. En 2023, tous les salariés qui avaient plus de 3 ans de présence dans cette coopérative (qui compte 20 ans d’existence) ont reçu salaires plus primes, soit plus de 3 000 euros net par mois.
Une dizaine d’agriculteurs adhérents fournissent à la coopérative le blé qui est transformé dans le dernier moulin artisanal du Tarn-et-Garonne, et cette farine est transformée par les boulangers en pains de campagne vendus au marché dans différentes villes situées à moins d’une heure de là.
« On oublie que les gens qui travaillent dans la restauration, la boulangerie, la pâtisserie, la charcuterie etc, ce sont des gens qui ont le droit d’avoir une vie privée aussi. Et la vie privée quand vous travaillez 6 jours y compris le week end, elle n’existe pas. Et si elle n’existe pas, les gens abandonnent le métier », souligne Jean-Pierre Delboulbe.
« Le travail que fait une personne, il est proportionnel à son temps de présence dans l’entreprise ça c’est vrai, mais il est aussi très proportionnel au taux d’implication de la personne à chaque heure qu’elle travaille. Donc si vous travaillez 5 jours en regardant à quelle heure finira la journée, ou si vous travaillez 4 jours en étant intéressé par ce que vous faites, toute la différence est là. Si ils aiment l’entreprise, si ils aiment le projet, les gens vont s’impliquer. Et donc le produit du temps de présence par le taux d’implication fera que le résultat sera aussi bien que quand on travaille 5 jours par semaine complètement désimpliqué. Nous vivons dans un monde capitaliste mais ce n’est pas pour ça qu’on est obligé de suivre un modèle extrêmement capitaliste. On peut modérer les choses et essayer de mieux répartir les richesses créées ensemble », affirme le boulanger.
Toutes ces initiatives existent. Elles partent d’individus, de la société civile, et irriguent une communauté, un pays, une région. Elles fonctionnent. Elles disent qu’il peut y avoir d’autres façons d’envisager et de faire les choses que les modèles souvent imposés d’en haut, sans consultation, sans dialogue, sans recherche de solutions novatrices.
Elles sont magnifiquement inspirantes en ces temps qui peuvent sembler condamnés.
SHENAZ PATEL
- Publicité -
EN CONTINU ↻