Traits et travers

Qu’est-ce que l’affaire du jet privé dit de la mentalité qui continue à prédominer dans nos institutions? Que ceux qui bénéficient d’un parapluie politique se croient toujours tout permis, qu’ils prennent allègrement sur eux pour pistonner, intervenir et protéger leurs petits copains. C’est aussi simple que ça !
On chipotera encore longtemps sur les responsabilités des uns et des autres, mais des faits, déjà établis et têtus, eux, ne s’évaporeront pas de si tôt. Selon les informations qui ont filtré depuis cet atterrissage litigieux à l’aéroport SSR dans la nuit du samedi 11 au dimanche 12 octobre, ce qui est désormais du domaine public – en attendant que le rapport rédigé par le secrétaire au cabinet, Sooresh Seebaluck soit rendu public, s’il l’est, au retour du Premier ministre –, c’est que les manœuvres ont commencé au cours d’un dîner à Avalon Golf Estate à Bois Chéri, dans le sud du pays. Le Club House de cet établissement avait été privatisé et fermé au public ce samedi 11 octobre.
Les protagonistes mentionnés, golfeurs amateurs, sont Dass Thomas, président de Jet Prime Ltd, entité qui a fait la demande d’autorisation d’atterrissage du jet qui avait pour passagers l’ex-Premier ministre malgache et l’homme d’affaires Mamy Ravatomanga. Kishore Beegoo d’Air Mauritius, qui oublie trop souvent qu’il n’est que le président à temps partiel du conseil d’administration de la compagnie nationale, était aussi de la soirée « privée ».
L’autre nom cité est celui de Gilbert Noël, lui aussi membre du board de Jet Prime depuis septembre dernier. Il est celui qui a été accueillir son « ami » Mamy Ravatomanga au salon de la compagnie dont il est un directeur. Cet avoué de profession est celui qui avait été impliqué dans la commission d’enquête que la présidente Ameena Gurib-Fakim avait voulu instituer en pleine tempête sur l’utilisation de cartes de crédit.
L’avoué avait aussi été critiqué dans un jugement de la Royal Court of Jersey en date du 11 septembre 2017 pour avoir refusé de témoigner et d’avoir permis à un des accusés de dissimuler les faits, ce qu’il avait vivement contesté pour ne pas avoir eu l’occasion de s’expliquer.
Ce qui est également établi, c’est que la version mise en avant pour justifier cet atterrissage a changé au fil des heures dans la nuit du 11 au 12 octobre. En sus du non-respect du délai d’information pour être autorisé à se poser à la non-divulgation de l’arrivée d’un ancien Premier ministre d’un pays voisin en pleine nuit, il y a aussi eu les prétextes utilisés pour pouvoir atterrir. Ce fut d’abord le manque de carburant qui déclenche un protocole bien précis, puis, sur l’instigation des « clients » ou « amis », ce fut finalement « for tourism proposes ».
Ceux qui, ici, ont facilité cet atterrissage savaient que la panne de carburant pourrait poser un problème, celui du réapprovisionnement, du maintien des passagers à bord, avec ordre de repartir une fois le plein fait. D’où la décision de jouer sur les deux tableaux : invoquer la possible mise en danger de vie d’autrui pour en quelque sorte forcer l’atterrissage et, ensuite, permettre qu’ils foulent le territoire mauricien pour faire du « tourisme ».
C’est gravissime tout ça ! Demain, n’importe quel aéronef peut débarquer parce qu’ils connaissent des membres de Jet Prime, d’Air Mauritius ou d’Airports Holdings. Et si ce sont des terroristes, des assassins, des trafiquants de drogue, qui se cachent derrière certaines fausses identités pour provoquer du grabuge dans le pays ?
Si le fonctionnement de Jet Prime – qui a aussi comme « board members » l’insubmersible Dhiren Dabee et un directeur de la Mauritius Investment Corporation nommé sous le MSM – doit être revu, toute la chaîne de prise de décision et des vérifications, avant d’accorder le feu vert à un atterrissage, doit également être revisitée.
Les nouveaux directeurs de Jet Prime appliquent probablement les mêmes méthodes qui avaient cours sous le gouvernement MSM. Est-ce bien surprenant lorsqu’on sait que l’actuel CEO, Siven Chellen avait été nommé quelques mois avant les élections générales de l’année dernière après avoir été licencié de son poste d’Officer in charge d’Airports of Mauritius Ltd, en décembre 2022, pour faute grave alléguée. Malgré sa « re-nomination » dans une compagnie sœur d’Airports Holdings Ltd, Siven Chellen avait été compensé à hauteur de Rs 20 millions par AML.
Les millions de Chellen, de Bheenick et de Sithanen, pour ouvrir une parenthèse, ont de quoi faire bondir les familles qui devront casquer pour les frais de scolarité de leurs tout petits. Tout commençant avec la petite enfance, le gouvernement a le devoir d’accorder une chance égale à tous dès les premières années d’apprentissage. S’il faut supprimer un projet d’infrastructure pas prioritaire et subventionner l’école des enfants en bas âge, il faut y aller.
La saga Jet Prime/ jet privé/ homme d’affaires n’est pas sans rappeler le précédent Alvaro Sobrinho, celui qui avait été absout de toute irrégularité juste parce qu’un PM adjoint, Ivan Collendavelloo en l’occurrence, avait été convaincu de sa probité par un simple échange de regard. L’Angolais avait infiltré la Présidence de la République, alors occupée par Ameena Gurib-Fakim, elle-même un choix du Muvman Liberater.
Cet homme d’affaires, accusé de détournement de fonds au Portugal, avait eu droit au salon VIP de l’aéroport en 31 occasions entre octobre 2015 et avril 2017, au moment où Week-End révélait les dessous des petites affaires à gros sous du ressortissant angolais. Faut-il rappeler qu’il avait obtenu une Investment Licence après un amendement au Finance Act de 2016 introduit par Pravind Jugnauth, après que les portes de la BOM et de la FSC lui aient été fermées au nez ?
C’est pour dire qu’il faut faire attention à ne pas trop reproduire, en dépit des promesses de changement et même de rupture, les traits et les travers de l’ancien gouvernement. Avec un choix maladroit et malheureux de nominés politiques, le risque est là. Et on a bien vu à quoi tout cela mène…

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JOSIE LEBRASSE

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