Une affaire d’« honneur » ?

Le Premier ministre a demandé au Gouverneur de la Banque de Maurice de quitter son poste, vendredi, mais Rama Sithanen n’a pas immédiatement soumis sa lettre de démission. Il attend, semble t-il, de rencontrer le PM, lundi, pour le faire. Les mauvaises langues affirment que c’est (i) pour essayer de faire le PM revenir sur sa décision, ou (ii) pour négocier un parachute doré de départ avec pension à la clef. Cette sale affaire qui a duré quelques semaines a durablement écorné l’image de la République, lui faisant ressembler à celles que l’on qualifiait autrefois de bananières. Et ce, au vu et au su de ceux qui ont voulu suivre sur les radio et télés publiques et privées et les nombreux sites internet le déroulement de ce mauvais feuilleton à rebondissements, révélations et coup de théâtre à répétitions. Apres avoir joué la comédie de l’amour parfait au moment de leur nomination, la dream team de la Banque de Maurice a volé en éclats, en transformant ses protagonistes en adversaires, qui se sont rapidement transformés en ennemis jurés. C’est-à-dire capables de mettre de côté les principes et d’utiliser toutes les armes et tous les moyens disponibles pour parvenir à achever leur opposant. Ces hommes évoluant dans un monde où la discrétion et la retenue sont les qualités premières se sont affrontés publiquement à coups d’accusations, de révélations et de dénonciations les unes plus choquantes que les autres. Le rythme du feuilleton s’est accéléré quand le PM a demandé au second Gouverneur de démissionner – ce que ce dernier a fait sur le champ – et en lui donnant l’autorisation d’aller défendre son honneur en conférence de presse. Espace médiatique que le second gouverneur démissionnaire a transformé en base de lancement de missiles en rendant public tout ce qui se chuchotait jusqu’alors dans les salles de réunion à l’ambiance feutrée des banques : que le fils du Gouverneur interférait de façon constante dans le day to day business de la Banque
Le Gouverneur a choisi de répliquer en organisant une autre conférence de presse pour réfuter les critiques et défendre son fils. En croyant éteindre l’incendie, le Gouverneur de la Banque n’a fait que le raviver : on a commencé à laver le linge sale des dirigeants de la Banque en public et à grande eau. Il est vrai que le Gouverneur, encore en poste, a une certaine expérience dans le domaine du lavage : ne s’était-il pas proclamé à l’époque meilleur ministre des finances du pays en paraphrasant une publicité pour un savon ? Quoi qu’il en soit, les tweets ont succédé aux posts, accusant, défendant, diffamant les uns et les autres, et on a commencé à évoquer des enregistrements de conversations téléphoniques « damaging ». L’une d’entre elles annoncée de longue date – et dont l’existence avait été niée – fut postée sur les réseaux sociaux. Elle permit à ceux qui l’ont écoutée et repostée – des centaines de milliers d’auditeurs – de faire deux constatations majeures : (i) déjà en novembre 2024, avant même la nomination de son père, le fils du Gouverneur – que son père présente comme faisant partie de l’élite et la relève du pays – se comportait comme le propriétaire de la Banque, et (ii) en matière de zouré mama et de vulgarité, le même fils du Gouverneur est, sans conteste, un expert ! Après la diffusion de l’enregistrement, il s’empressa de déclarer que ce n’était pas sa voix que l’on entendait, rejoignant son père qui avait parlé de recours à l’Intelligence Artificielle. Réagissant à ce démenti, les deux autres participants à la conversation se sont empressés de jurer un affidavit pour affirmer qu’il s’agissait bien de leurs voix en validant l’enregistrement. Pour tenter de mettre fin à ce grand déballage de linge plus que sale, le Gouverneur et son fils ont fait servir du papier timbré à l’ex-Second Gouverneur lui réclamant chacun Rs 50 millions pour diffamation et laver leur honneur attaqué. Pour ce faire, ils ont choisi une procédure légale qui prendra des années avant d’aboutir, au lieu d’en privilégier un courte – une réclamation d’une roupie symbolique, par exemple – qui leur aurait permis de laver et de restaurer leur honneur dans les meilleurs délais. Mais semble t-il, tout le monde n’a pas la même définition de l’honneur dans cette sale affaire, dont la principale victime est la Banque de Maurice.
Jean-Claude Antoine
P.s. : L’ex-ministre de la Femme a été prise la main dans le sac, c’est le cas de le dire, en train de voler des produits de maquillage dans un supermarché. Il y a quelques semaines, un homme a été condamné à trois mois de prison pour avoir volé quelques tablettes de chocolat dans une grande surface. Nous saurons dans quelques jours si, à l’île Maurice, tous les citoyens sont égaux devant la loi ou si, comme l’écrivait Jean de la Fontaine, il y a quelques siècles, « selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de Cour vous rendront blanc ou noir ».

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