Une saga

— Tu suis cette affaire de reward money là toi.
— Même si je ne voulais pas, je suis obligée de suivre, toi : tout le monde ne parle que de ça.
— Il y a de quoi ! Tu as vu cette quantité de millions qui sont sur les comptes de certains policiers !
— Et tu as vu le nombre de gradés arrêtés à cause, justement, de ces millions sur leurs comptes bancaires ?!
— Il y a une chose que je ne comprends pas dans cette affaire ?
— Une chose seulement ? Laquelle ?
— Comment se fait-il que c’est seulement maintenant qu’on découvre tout ça. Qu’est-ce que la police et la FCC de l’époque, l’ICAC, faisaient avant.
— Tu dis ça en foutant ?
— Pas du tout, je pose la question sérieusement. D’après ce que j’ai lu, ça faisait des mois et des mois que les millions du reward money vont sur les comptes des hauts gradés de la police. Et pas que les hauts gradé en plus.
— Qu’est-ce que tu veux dire par « pas que les hauts gradés ? »
— Tu ne sais pas que dans le lot des policiers interpellés il y a aussi au moins un sergent qui avait des millions sur son compte ! Personne n’a trouvé ça louche ?
— Tu veux parler de l’ICAC ? Tu sais bien que c’était un bouledogue sans dents, le bureau des enquêtes qui sont commencées mais ne sont jamais terminées !
— Allons dire que l’ICAC ne s’est pas intéressée à cette affaire-là. Mais dans la police personne n’a trouvé drôle que des gradés qui touchent, disons Rs 100 000 par mois, puissent avoir des dizaines de millions en banque ?
— Dis-moi un coup à qui les banques allaient signaler cela : au chefs de la police ! ? Koumadir to pe met lisien vey sosis !
— Mais cela veut dire que si certains policiers ont pu détourner des fonds, ils ont pu faire autre chose.
— Mais bien sûr, comme faire planter de la drogue chez certaines personnes lors des descentes de police. Ou garder pour eux des affaires saisies !
— Donc les personnes qui disaient que le Special Striking Team les avaient installées en plaçant de la drogue chez eux disaient la vérité alors.
— En tout cas certains d’entre elles. D’ailleurs, je te rappelle que pas mal de ces cas ont été rayés par la cour pour faute de preuves.
— C’est incroyable toi : on dirait qu’on est en train de suivre un film de gangsters !
— Oui, surtout depuis qu’on a arrêté le chef de l’ancienne Special Striking Team. Celui qui allait à la radio avec deux avocats envoyés par le commissaire de police pour le protéger !
— Ah, ce dernier bout-là je n’ai pas suivi. Il a été arrêté ?
— Il a été interpellé puis arrêté et envoyé en prison.
— Ça me rappelle un vieux film américain : le shérif est en prison.
— C’est tout à fait ça. Le lendemain quand on l’a emmené en cour il portait un gilet pare-balles, un casque de protection et était entouré de policiers avec des fusils et des boucliers pour le protéger.
— Pareil comme quand dans les films, les chefs de la mafia repentis sont traduits en cour !
— Presque. Disons que ça rappelle aussi la fois où, dans l’affaire Kistnen, un ministre a été traduit en cour.
— Tu as raison. C’était le jour où la police avait bloqué l’accès à la cour et même placé des snipers sur les bâtiments, soi-disant pour protéger le ministre d’une éventuelle attaque.
— Oui, on m’a dit que ce jour-là le quartier de Port-Louis où il y a la cour, ressemblait à une rue d’un pays en temps de guerre.
— En tout cas, son avocat a demandé des mesures de protection. Qu’il soit enfermé seul dans une cellule isolée avec une caméra de surveillance. Et quand on va l’emmener en cour qu’il passe par la porte de derrière. L’avocat a demandé et obtenu toutes ces mesures de protection pour son client.
— On dirait que c’est un avocat qui means business.
— Oui, toi. C’est le même qui défend Pravind Jugnauth dans l’affaire de la valise avec plusieurs dizaines de millions.
— Ne me dis pas ! Il y a une chose que j’aimerais savoir dans ces affaires de reward moeney là.
— Quelle chose ?
— Avec quel argent ces hauts gradés, qui ont été interpellés et arrêtés, vont payer les avocats qui les défendent ? Parce que d’après ce que je comprends, certains de ces avocats ne travaillent pas pour du pain du beurre.
— C’est une bonne question. Tu crois qu’ils vont utiliser le reward money transféré sur leurs comptes bancaires pour payer leurs hommes de loi ?
— Va savoir ! Mais pourquoi a-t-on besoin de protéger comme un criminel le chef de l’ancienne Special Striking Team. Qui peut le menacer ?
— Pas mal de monde, surtout ceux qui ont été victimes de l’ex-Special Striking Team. D’ailleurs, il y avait des gens pour insulter les hauts gradés arrêtés quand ils sont passés en cour. Après il y a, surtout, les informateurs toi.
— De quels informateurs tu es en train de parler ?
— Mais les informateurs qui ont appris que les millions qu’on leur doit sont sur les comptes de la banque de certains policiers.
— Des haut gradés de la force arrêtés qui réclament la protection de la police parce qu’ils ont détourné, pour ne pas dire volé, des millions destinés à des informateurs ! On dirait une saga Netflix !
J.-C.A.

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