Bon, c’est pratiquement décidé : la mixité dans le secondaire public (hormis La Gaulette SSS), plus précisément dans des collèges dédiés aux high flyers, ne sera plus appliquée. Les académies seront remplacées par des collèges nationaux genrés, à l’exception du MGI qui, de tradition, est un établissement mixte. À partir de quand ? Pour la réponse officielle, il faudra attendre la présentation du Blueprint de l’Éducation accompagnée des explications du ministre Mahend Gungapersad. Mais avant le dévoilement du fameux Blueprint, le public et les stakeholders seront consultés sur le mode opératoire des collèges nationaux. Mais pas sur la question de la mixité. Ainsi, les académies disparaîtront sans qu’il n’y ait eu la moindre évaluation rigoureuse de leur fonctionnement, ni de leurs résultats, ni même de leur pertinence dans notre paysage éducatif pour apprécier leur efficacité pédagogique, mesurer l’impact réel sur la réussite des élèves, ou encore déterminer si les ressources investies ont été optimisées.
En l’absence d’un tel exercice d’analyse, la fermeture de ces institutions apparaît non seulement précipitée, mais aussi contraire aux principes de bonne gouvernance et de transparence qui devraient guider toute réforme éducative. Les 2,127 jeunes qui ont réussi haut la main les dernières épreuves du National Certificate of Education et qui intégreront la Grade 10 dans les académies en 2026 seraient vraisemblablement les derniers de la cohorte mixte à vivre cette expérience inédite dans le système éducatif public au secondaire.
Le premier exercice d’admission en Grade 7 ou 10, selon le mode opératoire opté, dans les prochains collèges nationaux « genrés » devrait, donc, se faire en 2027. Quant à la dernière cohorte mixte qui se retrouvera dans les collèges nationaux, elle devrait terminer son cycle en 2030. Sur le plan juridique, la transition du statut d’ « académie » à celui de « collège national » ne devrait pas, en principe, ralentir la mise en opération des établissements nationaux. En effet, ce changement de dénomination relève davantage d’un ajustement administratif que d’une transformation structurelle profonde.
Mahend Gungapersad aura beaucoup d’explications à fournir pour justifier – et convaincre avec des arguments evidence-based – la décision de rompre avec les académies et le retour en force de la compétition avec un nouveau système de notation au Primary School Achievement Certificate (PSAC), si l’admission dans les collèges nationaux se fait en Grade 7. Le ministre devra aussi expliquer ce qu’il adviendra des facilités et infrastructures qui ont coûté des millions de roupies pour que les académies puissent accueillir des filles et des garçons.
Au-delà des arguments académiques et pédagogiques, la question qui a toujours suscité le débat, voire dérangé, lorsqu’il est question des académies, est le pivot même de leur concept : la mixité des genres. Or, le dysfonctionnement, s’il y en a, de ce système ne repose pas sur la mixité en elle-même, mais sur l’incapacité de l’Éducation nationale, d’une part, à outiller correctement ses enseignants, gestionnaires et autres membres du personnel pour former et encadrer des filles et des garçons en pleine construction identitaire et sexuelle, dans une même salle de classe et une même cour de récréation. Et, d’autre part, sur sa tendance persistante à porter des œillères lorsqu’elle élabore la politique éducative. Plutôt que d’affronter les enjeux contemporains de l’éducation – égalité, inclusion, compétences psychosociales – et de se pencher sérieusement sur ce concept de mixité, elle préfère encore adopter la politique de l’autruche et renvoyer toute réforme profonde aux calendes grecques, comme si le temps allait à lui seul résoudre des problématiques qui demandent, au contraire, courage, vision et investissement.
D’ailleurs, si ce concept n’a pas porté ses fruits, c’est bien parce qu’il a été lancé dans la précipitation, sur des bases déjà fissurées, fragilisées par l’absence de formation adéquate pour relever les principaux défis liés à l’école mixte. Dans ces conditions, il était illusoire d’espérer qu’il puisse, quatre ans plus tard, produire des résultats tangibles ou durables. Alors que, dans de nombreux pays, les écoles genrées se font de plus en plus rares, à Maurice, on recule : on rebrousse chemin, on renonce à la mixité…
Nous l’écrivions en janvier dernier : dans ses premières déclarations, peu de temps après son installation à la MITD House, le ministre de l’Éducation avait laissé entendre qu’une refonte des académies serait envisagée. Bien avant les assises de l’Éducation, en avril dernier, il avait été décidé qu’il fallait se défaire des académies, un héritage du précédent gouvernement, implémenté dans le cadre de la réforme Nine-Year Continuous Basic Education.
L’Éducation est un secteur où la politique laisse des empreintes indélébiles et, depuis 25 ans, les gouvernements successifs ne cessent de changer le paysage éducatif et de remodeler l’orientation des collèges d’élite, comme pour marquer leur mandat dans l’Histoire. L’arrivée des collèges nationaux, si elle a lieu, signera tout simplement le retour d’une conception mise en place lors de la réforme de Dharam Gokhool, alors ministre de l’Éducation du gouvernement travailliste, en 2007. Promouvant une world class education, il avait rangé la formule des Form VI Colleges de son prédécesseur Steven Obeegadoo, pour introduire les collèges nationaux et le fameux grade A+ au CPE d’alors. Les gouvernements passent de réforme en réforme, imposant à chaque génération des formules différentes, sans laisser aux élèves, aux parents et aux enseignants le temps de s’adapter à des orientations qui auraient davantage besoin d’être renforcées et repensées pour s’aligner à l’évolution.
Qu’on se le dise : il ne s’agit nullement de remettre en question la pertinence, ni même les fondements des établissements d’excellence. Un État a le devoir de garantir une éducation de qualité aux jeunes les plus brillants, tout comme il doit offrir la même exigence à l’ensemble des enfants scolarisés. Par contre, il s’agit de se questionner sur les vraies raisons qui visent à séparer filles et garçons au secondaire pour finalement leur dispenser les mêmes matières ? Le ministre de l’Éducation devra nous expliquer en quoi cette séparation fait une différence, et surtout quels en seraient les bienfaits. À défaut d’arguments solides, cette pratique ne risque-t-elle pas de perpétuer des stéréotypes que le monde moderne s’efforce justement de déconstruire ? Les écoles mixtes sont le reflet de la société, un écosystème où cohabitent tous les genres.
Si le ministère de l’Éducation prend le parti de démanteler la mixité, qu’en sera-t-il alors de l’introduction de l’éducation à la vie affective dans les collèges ? Il est évident que ce sujet ne fera pas son entrée dans les écoles de sitôt, alors même qu’il y a urgence à informer et sensibiliser les enfants et les adolescents à l’affectivité, aux émotions et à la sexualité. Une école qui sépare les genres risque difficilement d’offrir un cadre cohérent pour aborder ces questions essentielles, et tellement incontournables dans la formation des jeunes.
Une école qui sépare les genres revient à nier une évidence aujourd’hui largement admise : la mixité en classe favorise l’égalité, le respect et une compréhension mutuelle entre filles et garçons. N’est-il pas paradoxal d’imposer une séparation au secondaire, alors que la maternelle, le primaire et même le tertiaire sont entièrement mixtes ? Et si, dans certains établissements, la cohabitation entre filles et garçons a pu entraîner des problèmes d’indiscipline, est-ce vraiment la mixité qui en est responsable, ou plutôt un manque de supervision, d’encadrement et de pédagogies adaptées ?
Au final, le ministre de l’Éducation, avec sa réforme qui ne fait pas l’unanimité auprès de ses collègues du MMM, a trouvé un moyen de se débarrasser de la mixité.
Sabrina Quirin
