Notre invité de ce dimanche est Me Ritesh Ramphul, le nouveau ministre des Affaires étrangères. Dans l’interview, réalisée jeudi soir, il dresse un bilan de l’action de son ministère et répond à des questions d’actualité internationale et locale.
O Est-ce que dans ce monde de plus en plus divisé entre grandes puissances et blocs – les États Unis, l’Europe, la Chine, la Russie – , le BRIC Maurice peut faire entendre sa voix ?
— Le monde devient de plus en plus complexe géopolitiquement avec, d’une part, les États Unis et le problème des tarifs commerciaux ; de l’autre, la Chine qui pénètre sur le continent africain, les différents blocs qui se développent. Mais Maurice fait entendre sa voix à travers nos ambassadeurs en poste, ainsi qu’en étant présent dans les forums internationaux, récemment à l’assemblée générale des Nations Unies, bientôt à la COP 30 sur l’Environnement. Par ailleurs, nous avons eu des missions dirigées par le Premier ministre au sommet de la SADC, de la COI, en Inde, au Japon – où nous avons ouvert une ambassade – et à une conférence sur l’océan en France. Maurice vient d’être élue en pôle position au Human Right Council des Nations Unies et en sus de cela, nous avons renforcé nos relations avec nos partenaires traditionnels. L’année prochaine, Maurice accueillera deux importantes réunions : l’Indian Ocean Conference qui regroupe les pays entourant notre océan commun et, en août, le Sommet Afrique Amérique qui a pour objectif de faire de Maurice une plateforme vers l’Afrique pour les hommes d’affaires américains. Ce qui démontre qu’avec le nouveau gouvernement, la diplomatie mauricienne est sur la bonne voie.
O Quelle est la définition de cette diplomatie mauricienne : elle est non alignée ou entretient de bonnes relations avec tout le monde ?
— Nous avons toujours gardé un principe de neutralité. Nous sommes membre du mouvement des non-alignés, ce qui est important pour nous, petit pays vulnérable, en évitant toute confrontation, en sauvegardant nos intérêts.
O En parlant d’intérêt, quel est l’état d’avancement du dossier des Chagos ?
— Nous avons réussi à trouver un arrangement avec la Grande-Bretagne en incluant les États Unis. À un moment des négociations, les Anglais ont voulu des négociations bilatérales, mais nous avons insisté pour attendre que l’administration Trump entre à la Maison Blanche après les élections et soit au courant de toutes les conditions avant que le deal ne soit ratifié. L’accord a été examiné et ratifié avec une grosse majorité par plusieurs instances du Parlement britannique. Le 4 novembre, il sera débattu à la Chambre des Lords et s’il est adopté, il devrait entrer en vigueur, après l’assentiment royal, l’année prochaine.
O Est-ce qu’il existe un risque que l’accord soit rejeté par la Chambre des Lords ?
— Le parti travailliste n’est pas majoritaire à la Chambre des Lords et pour faire approuver l’accord, il aura besoin de la collaboration des libéraux démocrates. Des experts de ce parti étaient récemment en visite à Maurice pour obtenir des précisions sur les conditions de l’accord, notamment le redéploiement des Chagossiens dans l’archipel. Nous avons répondu à leurs questions, donné les assurances qu’ils attendaient et nous sommes confiants qu’avec leur soutien, l’accord sera ratifié par la Chambre de Lords.
O Nigel Farage, leader du parti de la Réforme, affirme que Maurice a conclu un accord secret avec la Chine, pour l’installation d’une base sur une des îles des Chagos.
— L’Attorney General mauricien lui a répondu très clairement : c’est une fausseté inventée par des politiciens britanniques pour des raisons évidentes.
O La presse indienne fait état de la création d’une station de surveillance maritime indo-mauricienne autour des Chagos.
— Il y a une confusion autour de ce sujet. Il s’agit, en fait, d’une station de surveillance télémétrique, de suivi et de communication satellitaire qui est le résultat d’un accord signé entre l’Inde et Maurice en 1986. Cet accord a été renouvelé lors de la récente visite du Premier ministre en Inde.
O Puisque nous parlons d’accord, pourquoi est-ce que les conditions de celui liant l’Inde et Maurice sur Agaléga ne sont pas rendues publiques, alors que le PTr avait promis de le faire pendant la campagne électorale ?
— C’est vrai que nous avions fait cette promesse. Mais malheureusement, l’ancien gouvernement a accepté une clause de confidentialité dans cet accord que nous devons respecter.
O Mais il me semble qu’un ministre des Affaires étrangères indien avait déclaré que l’Inde n’avait aucune objection à rendre public l’accord.
— Ce n’est pas la position de l’actuel gouvernement indien qui veut garder la confidentialité de cet accord. Cela dit, le PM et le DPM, qui l’ont consulté, ont officiellement déclaré qu’il n’y a rien dans cet accord contre les intérêts de Maurice.
O Quelle est la position diplomatique de Maurice sur Madagascar ? Est-ce qu’elle suit celle de l’Union Africaine qui a suspendu ses relations avec Antananarivo pour soutenir l’ancien régime, ou est-ce qu’elle reconnaît le nouveau régime qui vient de s’installer au pouvoir ?
— Maurice ne soutient pas l’ancien régime malgache. Nous nous alignons sur la position de l’Union Africaine, dont nous sommes un des membres, qui, pour le moment, a rompu les relations avec Madagascar. J’ai eu des contacts avec les présidents de la SADC et de la COI pour dire qu’il n’est pas bon pour la stabilité et le commerce régional de laisser la situation perdurer. La SADC a réagi en voyant une équipe d’experts à Madagascar qui a rencontré diverses personnalités locales et les diplomates étrangers, dont celui de Maurice, en poste pour faire une évaluation de la situation et soumettre un rapport, ce qui nous permettra de prendre une décision.
O C’est-à-dire reconnaître le nouveau régime ?
— En tout cas, lever les sanctions et rétablir les relations avec Madagascar le plus vite possible. Il ne faut pas oublier que des entreprises mauriciennes sont implantées à Madagascar et qu’il y a chez nous un nombre assez important de travailleurs malgaches. Je dois dire que même si nous n’avons pas reconnu le nouveau régime, nous avons établi une ligne de contact avec ses responsables pour, évidemment, sauvegarder les intérêts des entreprises mauriciennes et ceux des malgaches travaillant ici.
O Passons maintenant au sujet qui occupe la une de l’actualité depuis une semaine : l’affaire Mamy Ravatomanga . En tant que ministre des Affaires étrangères, qu’avez-vous à dire sur ce dossier ?
— C’est une affaire complexe. Le bureau du PM a ouvert une enquête et soumis son rapport sur les conditions qui ont entouré l’atterrissage de l’avion de l’homme d’affaires malgache à Maurice. Pour sa part, la FCC a ouvert une autre enquête, financière celle-là, avec des interrogatoires, des perquisitions et des arrestations. Il faut attendre les conclusions de cette enquête. Par ailleurs, nous avons reçu des autorités malgaches une demande d’extradition de l’homme d’affaires, que nous avons transmis au bureau de l’Attorney General, qui conseillera le gouvernement sur la marche à suivre. Il faut aussi dire que nous avons reçu une demande des autorités américaines pour l’ouverture d’une enquête par la FCC sur la vente d’avions malgaches à l’Iran.
O La question suivante est posée surtout à l’avocat que vous êtes. La FCC travaille sur des dossiers qui finissent par des accusations provisions en attendant la conclusion de ses enquêtes. Or, la majeure partie des charges provisoires logées par la police de l’ancien gouvernement sont en train d’être rayés par les tribunaux. Est-ce qu’il n’y a pas un risque que les charges provisoires logées depuis cette année par la Financial Crimes Commission (FCC) subissent, à terme, le même sort ?
— L’ancien régime avait amendé le FCC Act en retirant des pouvoirs au DPP pour les confier au Commissaire de Police pour décider des poursuites sur des cas de corruption et de blanchiment d’argent. La FCC avait alors agi comme un organe politique de l’ancien régime. Dès que nous sommes arrivés au pouvoir, nous avons rétabli la situation et retourné au DPP, dont l’indépendance est garantie par le Constitution, ses prérogatives de décider des poursuites. Désormais, la FCC doit envoyer ses dossiers au DPP pour avoir la garantie que les charges qu’elle logent soient soutenables devant une Cour de justice. Ce qui fait toute la différence.
O On reproche au gouvernement le fait que de tous ceux qui « ont fait tout ce qu’il ont fait au cours des dix dernières années » et qui ont fait l’objet d’enquêtes de la FCC soient toujours en liberté.
— Nous sommes dans une démocratie et toutes les institutions doivent fonctionner en toute indépendance. Nous ne pouvons pas dire à la FCC ou à la Cour d’aller plus vite. Nous ne voulons pas ouvrir des enquêtes pour des raisons politiques, comme l’ont fait le MSM et ses alliés. Je suis convaincu que la FCC fait un excellent travail qui donnera des résultats.
O Revenons à la diplomatie. Quelle est la position de Maurice dans la guerre entre la Russie et l’Ukraine ?
— Nous avons toujours soutenu la résolution des Nations-Unies réclamant la fin des combats et le regain de la souveraineté de l’Ukraine sur son territoire.
O Mais cette résolution est impossible à mettre en pratique dans la mesure où le veto d’un seul des membres du Conseil de Sécurité des Nations Unies suffit à la bloquer !
— C’est pour cette raison que, dans mon allocution aux Nations Unies, j’ai demandé une restructuration des organes de l’organisation, principalement de son Conseil de Sécurité. Ce n’est pas possible qu’un seul de ses membres permanents ait un droit de veto sur toutes les décisions de l’assemblée générale. Ce n’est pas possible que les pays du Sud, en général, et ceux du continent africain, en particulier, ne soient pas représentés au Conseil de Sécurité ! L’ONU a besoin d’une bonne restructuration de ses instances pour faire face aux défis mondiaux auxquels elle est confrontée.
O Un de ces défis étant la situation à Gaza. Est-ce qu’avec la « paix » du Président Trump, la position diplomatique de Maurice sur ce dossier a évolué ?
— Non. Maurice a toujours soutenu la cause palestinienne et l’ambassadrice de la Palestine vient de m’écrire pour me féliciter de cette position claire. La « paix », le retour des otages israéliens et des prisonniers palestiniens n’est qu’une partie de la solution au problème. La solution c’est l’adoption d’une résolution créant un État palestinien à côté d’un État israélien…
O… résolution à laquelle les États-Unis, principal allié d’Israël, vont opposer leur veto au Conseil de Sécurité. Rien ne changera…
— …aussi longtemps que l’ONU ne restructurera ses instances, en particulier la composition des membres de son Conseil de Sécurité !
O Abordons maintenant la politique locale. Quel est votre bilan de l’action gouvernementale pour ces presque 11 mois écoulés ?
— J’ai beaucoup de choses à dire sur ce sujet. Il faut d’abord réaliser qu’il est très compliqué, pour dire le moins, de rettraper un retard de 10 ans en 11 mois ! Les Mauriciens ne réalisent pas la situation dont nous avons héritée, qui aurait, si des mesures n’avaient pas été prises, pu nous mener vers ce qui s’est passé au Bangladesh, au Sri Lanka et à Madagascar. Le MSM nous a laissé Rs 650 milliards de dettes et un déficit budgétaire de 9.8%, la planche à billets a fonctionné et la roupie a été dépréciée ! Les Mauriciens ont oublié dans quel climat était le pays, comme le Parlement dysfonctionnait, l’ex-PM prenait 30 minutes pour répondre à une seule question, tandis qu’aujourd’hui le PM en répond à 12-13…
O …vous n’êtes pas fatigué de dénoncer à tout bout de champ le précédent gouvernement ?
— Il faut rappeler aux Mauriciens dans quel genre de pays ils vivaient : leur téléphone était sur écoute, les droits démocratiques étaient bafoués, la police pratiquait le « planting » et il y avait un pourrissement généralisé de nos institutions. Malgré cet état de situation, nous avons pris des décisions importantes pour redresser la situation et j’ai l’impression que les Mauriciens ne réalisent pas leur importance.
O Parce que, on l’a dit et répété, votre gouvernement n’explique pas le pourquoi de ses décisions, ne communique pas, semble ne pas savoir communiquer !
— C’est vrai : nous avons un problème de communication, donc je profite de cette interview pour dire certaines choses. Nous avons changé la donne avec un Parlement qui fonctionne comme il se doit et respire. Avec le budget, nous avons changé notre modèle économique qui était basé principalement sur la consommation et la dépréciation de la roupie, et le précédent gouvernement a multiplié les prestations sociales…
O …ce que vous avez fait, vous aussi, en payant un 14ème mois, malgré l’état des finances !
— C’est une promesse faite par l’ex-gouvernement que nous avons été obligés de tenir en partie, en étant responsable. Nous avons changé de modèle économique qui est désormais basé principalement sur l’investissement et la productivité. Les droits des citoyens ont été restaurés, nous avons révoqué les règlements sur les sim cards. Nous avons pris des mesures pour faire baisser certains prix, mais malheureusement, il y a des choses qui ne dépendent pas de nous, comme l’augmentation du fret. La MBC a retrouvé sa crédibilité tout comme le Champ de Mars, qui était dans un état plus que déplorable. Nous avons relancé l’Éducation…
O …tout en éliminant les subventions pour le secteur pré-primaire…
— Vous faites erreur : aucune décision n’a été prise et le gouvernement est en train de revoir ce dossier. Le sport a retrouvé sa crédibilité et intéresse de plus en plus de jeunes…
O … alors que le Comité Olympique Mauricien est toujours contrôlé par une direction qui est en place depuis des années…
— … à ce niveau, il y a un problème légal avec une affaire en justice. Tout ça pour vous donner quelques exemples de ce que nous avons fait, pour vous dire que nous ne nous sommes pas assis au cours des derniers mois. Il ne faut pas oublier qu’un gouvernement a un mandat de 5 ans, pas de 12 mois, et qu’il faut nous donner du temps, et je crois que les Mauriciens comprennent cela.
O Vous ne sentez pas le mécontentement des Mauriciens qui augmente contre le gouvernement, qui fait que certains députés sont traités de voler pension !
— Je comprend l’amertume sur la question du report de l’âge de la pension, qui nous a rendu impopulaire. Ce n’était pas une décision facile à prendre, mais nous ne pouvions pas faire autrement. Depuis 2021, la Banque Mondiale disait déjà qu’il fallait revoir le problème de la pension, et le gouvernement précédent n’a rien fait. Il faut que les Mauriciens réalisent que ce problème ne concerne pas que Maurice, mais la plupart des pays. Les Seychelles, la France et tous les pays qui ont un problème de dette publique doivent, malheureusement, revoir l’âge de la retraite. En sus de cela, nous avons à Maurice le problème de vieillissement de la population.
O Pourquoi est-ce que les arguments que vous êtes en train de développer n’ont pas été donnés avant la présentation du budget et l’annonce, brutale, du report de l’âge de la pension ?
— Parce qu’il fallait, juste après les élections, prendre des décisions pour éviter d’être downgraded par Mody’s, ce qui aurait été une catastrophe pour notre économie, qui aurait fait les investisseurs étrangers quitter le pays. Nous avons été obligés d’agir vite et nous n’avons pas eu le temps d’expliquer, de bien communiquer. Il faut nous donner le temps de faire les réajustements nécessaires pour redresser l’économie. Nous aurions été des irresponsables si nous n’avions pas pris les décisions impopulaires, mais nécessaires, et qui porteront leurs fruits.
O Juste avant de commencer cette interview, nous avons appris la démission de Kishore Beegoo comme président du Conseil d’administration d’Air Mauritius en s’en prenant au Vice PM. Votre commentaire ?
— Je ne suis pas au courant des vraies raisons de cette démission, ce qui fait que je ne peux pas faire de commentaire. Tout ce que je peux dire, c’est que c’est déjà une chose du passé et qu’il nous faut regarder vers l’avenir pour redresser le pays.
O Est-ce que la politique mauricienne étant ce qu’elle est, avec ses clans et ses lobbies, cette démission pourrait mettre en péril l’alliance du changement ?
— Nous sommes allés devant la population pour proposer un programme de changement. La population nous a accordé une large majorité, en faisant surtout confiance à Navin Ramgoolam et Paul Bérenger. C’est vrai que nous pouvons avoir des différends et des divergences au sein de l’alliance, mais il est dans l’intérêt du pays et de la population que cette alliance dure jusqu’au terme de son mandat.
O Je vais aborder un sujet politique délicat : la succession au sein des partis. Pourquoi est-ce ces partis, dont le PTr, sont incapables de se choisir un leader adjoint et de préparer l’alternance ?
— Il est très difficile dans le contexte politique mauricien de nommer un assistant leader à cause des préjugés des uns et des autres. Par ailleurs, il est inélégant de choisir un remplaçant alors qu’il existe un leader en place. Finalement, pour le PTR, c’est une question qui relève de nos instances de direction.
O Question directe : est-ce qu’en cas d’élection d’un leader adjoint du PTr, dont vous êtes le secrétaire général, vous seriez candidat ?
— Le PTr a déjà un leader et, à ce que je sache, la succession n’est pas ouverte. Je trouve inélégant d’aborder ce sujet, alors que nous avons un leader qui fait très bien le travail.
O Le mécontentement et les critiques contre le gouvernement apportent de l’eau au moulin de l’opposition. Est-ce qu’elle est est en train de regagner du terrain au point de pouvoir remporter les prochaines élections ?
— Le Mauricien est intelligent et je suis convaincu que le moment venu, il saura faire le bon choix, comme il l’a fait aux dernières élections. C’est vrai que les décisions impopulaires que nous avons prises a donné au MSM un peu de sérum, mais pas assez pour faire oublier ce qu’ils ont fait au cours des dix dernières années. J’aimerais pour terminer poser la question suivante aux Mauriciens à travers cette interview : est-ce que vous préférez la fourmi qui travaille dur, c’est-à-dire le gouvernement, ou est-ce que vous allez vous laisser séduire par les paroles mielleuses de la cigale paresseuse et menteuse qu’ont été le MSM et ses alliés pendant dix ans ?
Jean-Claude Antoine

