Change of name et transidentité : Un pas vers la renaissance

Une carte d’identité nationale symbolise pour les uns le passage à l’âge adulte et pour les autres, comme Linzy, Karla, Anya…, des personnes transgenres femmes, une renaissance. Faute d’une reconnaissance officielle de leur genre, Karla et Anya, devenues femmes par la chirurgie d’affirmation, et Linzy, qui est en processus de transition, ont fait le choix de changer leurs prénoms originels masculins en passant par les procédures de change of name. Désormais, leur acte de naissance, carte d’identité, passeport… ne portent que des prénoms féminins qu’elles ont choisis. Et une photo d’elles qui les représente et non l’homme qu’elles n’ont jamais voulu être.

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« Jean Ivan Bruno, c’est du passé ! C’est un nom mort et enterré », lance Linzy Joseph fermement, mais sans se départir de la bonne humeur qui la caractérise. D’ailleurs, Linzy, 35 ans, est connue pour son grand sourire. Jean Ivan Bruno n’est pas un ancien amoureux qui lui aurait fait de la peine. Même si à l’entendre on pourrait croire que c’est un nom qui lui a brisé le coeur. Ces trois prénoms sont ceux que portait officiellement Linzy jusqu’au moment où elle a tenu sa nouvelle carte d’identité dans ses mains, soit le 15 mai dernier, où sont inscrits Marie Linzy Queendella. Mais pour Linzy, cela fait une douzaine d’années depuis qu’elle a rangé « Jean Ivan Bruno » aux oubliettes.

« Mo ti anvi gard ansien kart-la kouma enn souvenir. Me mo’nn bizin rann-li », dit-elle. À l’époque, lorsqu’elle ouvre un compte sur un réseau social, elle opte pour son identité, le prénom Linzy. « Comme Linzy Bacbotte. Je la suivais dans l’émission Sofe Ravanne, j’ai aimé sa personnalité et je me suis inspirée de son nom », raconte-t-elle. Depuis, c’est le nom par lequel elle se fait appeler. Désormais, à l’État civil, elle est Marie Linzy Queendella. « J’ai inventé le nom de Queendella. Autrefois, je disais que si un jour j’ai une petite fille je l’appellerais Queendella. Mais comme je n’en n’aurai pas… », confie-t-elle en précisant qu’elle adore les enfants. « J’ai été baby-sitter. Je rêve de pratiquer à nouveau ce métier », concède Linzy.

« Aster, dan lopital  zot pou kriy Linzy »

Ce mercredi 15 mai 2024, lorsqu’elle a lu les prénoms féminins sur sa carte d’identité, Linzy a été envahie, raconte-t-elle, par un sentiment de fierté. « J’étais tellement heureuse. Je me sentais encore plus femme. Je me disais que je n’aurais plus à entendre le personnel de l’hôpital m’appeler par mon prénom masculin. C’est une situation embarrassante, car je me présente toujours dans une tenue féminine », explique Linzy. « Aster, dan lopital zot pou kriy Linzy », dit-elle. C’est en décembre dernier que la trentenaire a déposé une demande de changement de prénom auprès du bureau de l’Attorney General. Comme pour de nombreuses personnes transgenres, cette démarche est une étape importante pour Linzy dans le processus de la reconnaissance de son identité.

Soutenue par l’organisation non-gouvernementale Prévention Information Lutte contre le Sida (PILS), auprès de laquelle elle est volontaire, Linzy ne s’est pas sentie seule dans cette aventure administrative, d’autant que certaines procédures ne sont pas gratuites. « La prise en charge des frais par PILS m’a grandement aidée, sinon je n’aurais pas pu assurer les dépenses financières », concède Linzy. Une enquête policière a fait suite à sa demande auprès du bureau de l’Attorney General. « Cette enquête fait partie des procédures. Mes proches et moi-même avons été priés de répondre aux questions de la police. J’ai dû préparer ma mère à cet exercice. Si elle a accepté mon orientation sexuelle et ma décision pour affirmer mon identité, je reconnais que cela n’a pas été toujours facile pour elle d’accepter mon choix. Il y a des moments où elle me le fait sentir », confie Linzy.

Enquête policière

Pour les besoins de l’enquête policière, Linzy a eu à expliquer les raisons pour lesquelles elle a fait une demande pour changer ses prénoms. En effet, la demande de changement de prénoms doit avoir un intérêt légitime. « J’ai tout expliqué à la police, dit-elle, comment et depuis quand je me sens femme. J’ai même présenté un papier du médecin de l’hôpital où je reçois un traitement bloqueur hormonal pour mon processus de transition homme à femme. » Cette dernière précise qu’elle ne s’est pas sentie embarrassée, voire humiliée d’avoir eu à révéler une part de sa vie privée à la police. « Il a fallu passer par là. Pour moi, c’était une simple procédure, qui plus est, cela s’est très bien passé. Vous savez, j’ai connu d’autres situations plus stigmatisantes dans ma vie », explique-t-elle.

Plus jeune, elle a essuyé des insultes, quand ce n’était pas des pierres qu’on lui lançait parce qu’elle est différente. La différence, Linzy a toujours eu le courage de l’afficher, tout comme sa couleur préférée : le rouge. Elle la porte sur elle et sur ses ongles. Elle a eu aussi le courage de publier l’avis de « Change of name » obligatoire, dans les journaux et la Government Gazette, comme l’exige la loi. Affronter le regard curieux des autres fait partie du lot de son quotidien.

Maquillée et  coiffée pour la photo

Le jour où elle a tenu la lettre du bureau de l’Attorney General l’informant que celui-ci n’émettait aucune objection à sa demande, elle a vécu cet instant comme une renaissance. « Dans ma tête, j’ai toujours été une femme. Avoir un nouvel acte de naissance et une carte d’identité qui reflète ce que je suis par mes noms sont des preuves de plus. Je n’avais pas tardé à aller faire ma carte d’identité. Mes amis volontaires à PILS me voyaient maquillée, coiffée, habillée plus que d’habitude me demandaient où j’allais. Kan mo’nn dir zot ki mo pe al fer mo kart idantite, zot demann mwa : Koumsa ? Tou sa-la pou al fer kart idantite ? » raconte Linzy en s’esclaffant.

Elle va aussi refaire son passeport, mais cette fois-ci avec un espoir qu’elle nourrit depuis un certain temps, celui de partir, quitter le pays pour la France ou ailleurs, là où elle pourrait selon elle s’épanouir pleinement. « J’aimerais travailler comme baby-sitter à l’étranger, trouver quelqu’un avec qui partager ma vie et qui s’occupera de moi », dit-elle. Un autre rêve serait, dit-elle, être reconnue officiellement comme une femme ou transgenre femme. Mais elle sait avant que ce « M » pour « Male » sur sa carte d’identité ou autre document ne soit remplacé par la lettre qui va la genrer, cela prendra encore un certain temps. Elle aura sans doute le temps d’accomplir un autre souhait : une chirurgie faciale et des implants mammaires. Quant à une chirurgie d’affirmation de genre, cela demande plus de réflexion dit-elle.

Anya (nom modifié) a déjà franchi le pas avec la chirurgie d’affirmation. Elle nous avait relaté son parcours dans une de nos éditions en octobre dernier. Sa carte d’identité, elle l’a déjà… ou presque. Son précieux document est prêt et l’attend. Prise par ses activités professionnelles et ses études à l’université, elle n’a pas encore été récupérer sa carte d’identité. « Mais le jour où le facteur m’a remis la lettre du bureau de l’Attorney General faisant état qu’il n’y avait aucune objection à ma demande de changement de nom, j’ai littéralement sauté de joie », raconte-t-elle. « Avec une carte d’identité où figurent mes deux prénoms féminins et mes opérations, j’ai accompli 90% de mon combat pour être une femme », explique Anya. Les 10% restants, dit-elle, seront atteints lorsqu’elle n’aura plus à cocher la case « M » pour mâle ou masculin.

7 prénoms  pour Karla

Si changer de prénom pour une personne transgenre est une démarche qui s’insère dans la construction du genre souhaité, de leurs côtés, les parents peuvent mal vivre ce choix et l’interpréter davantage comme un rejet qu’un processus transitionnel. Par respect pour ses parents, Karla a gardé le prénom « Michel », mais l’a féminisé. Toutefois, il y a deux ans, lorsqu’elle a fait une procédure de changement de prénom, elle s’est permis un petit plaisir. Elle a fait officialiser sept prénoms féminins. « Ce sont des noms que j’ai toujours aimés », explique-t-elle. « Mais tout le monde m’appelle Karla », dit cette employée d’une compagnie privée.

Chargé de projet au Collectif Arc en Ciel, Hans Telvave explique que les demandes de changement de prénom par les personnes transgenres ne sont pas légion, mais pas rares non plus. Et proviennent principalement de personnes transgenres femmes. Un changement de prénom, explique encore Hans Telvave, permet de genrer, certes pas officiellement, mais quand même sans ambiguïté la personne transgenre. Ce qui enlève déjà la problématique de la stigmatisation dans des lieux publics, où la carte d’identité doit être présentée et ailleurs. Concédant qu’il a entamé sa phase de transition, bientôt par le blocage hormonal, il envisage plus tard de changer officiellement son prénom dans un prochain temps. Et n’aura plus à jongler entre Hans et Hanna.

« Chaque étape du processus de la transition requiert une préparation et du temps », observe Hans Telvave. D’où la raison, dit-il, que pour le moment, qu’on s’adresse à lui au féminin ou au masculin, il n’en fait pas un cas. Le Collectif Arc-en-Ciel, explique-t-il, ne prend pas en charge les frais des procédures pour un changement de prénom de ses adhérents transgenres. Les démarches sont individuelles. Cependant, le collectif souhaiterait que le système juridique écourte les procédures administratives concernant des personnes transgenres. Cette demande, selon Hans Telvave, n’est pas une faveur : « La simplification des procédures pour les personnes transgenres assouplira et accélérera leur intégration dans le secteur de l’emploi. » Un milieu où, rappelle ce dernier, les personnes transgenres sont régulièrement victimes de moqueries et autres discriminations parce que leur identité de genre n’est pas en adéquation avec leur carte d’identité.

Identité de genre — Dimitry Ah-Yu, président du CAEC : « Les partis politiques doivent cesser  de se retrancher dans le passé »

Le Collectif Arc-en-Ciel (CAEC) réitère, dans un position paper présenté le 17 mai — lors de la Journée internationale contre l’homophobie, la transphobie et la biphobie — son plaidoyer pour la protection des droits humains des personnes transgenres, citoyennes à part entière de la République de Maurice. Dans ce document, l’organisation non-gouvernementale rappelle que les personnes transgenres, bien qu’elles aient accès aux procédures de changement de prénom, la modification de la lettre (M ou F) qui les genre sur leurs documents d’identité n’est toujours pas autorisée par la loi.

En cette période de précampagne électorale où les partis politiques sont à l’écoute de la société civile, le CAEC cherchera audience auprès de ceux qui ont l’intention de gouverner le pays et faire appliquer ses lois et sa Constitution. Dans cette optique, Dimitry Ah-Yu, président du CACE, explique : « Bien que la société mauricienne soit aujourd’hui plus tolérante, il reste encore un immense travail à accomplir pour que la communauté LGBTQIA+ se sente pleinement intégrée. Les droits des individus LGBTQIA+ sont des droits humains fondamentaux, et il est impératif que ces citoyens mauriciens soient officiellement reconnus selon leur identité de genre. Les partis politiques ne peuvent plus ignorer cette réalité et doivent cesser de se retrancher dans le passé. Les Mauriciens vivent avec leur temps, et il est grand temps que nos dirigeants prennent position pour renforcer les lois contre la discrimination des personnes LGBTQIA+, en particulier des personnes transgenres à Maurice. » 

Dimitry Ah-Yu est d’avis qu’il n’est plus possible pour les personnes LGBTQIA+ de continuer à osciller dans un environnement indécis en ignorant ce que leur réserve l’avenir. « Nous devons avancer en matière de droits humains comme d’autres pays progressistes, ou risquer de régresser comme certains pays d’Afrique, tels que le Ghana ou l’Ouganda. Cette prise de position ne peut être faite que par nos dirigeants, et elle doit être claire et déterminée, car la discrimination des personnes LGBTQIA+, et plus particulièrement des personnes transgenres, notamment en milieu de travail, en matière de logement, d’accès aux services publics et de soins de santé, est une réalité qui ne doit plus perdurer. »

Il se dit cependant confiant que les choses évolueront. « Nous l’avons bien vu avec la décision historique de la Cour suprême de rendre inconstitutionnel l’article 250 du code pénal, une loi coloniale vieille de plus de 186 ans qui punissait la sodomie. Cette victoire ouvre enfin des portes et marque le début d’un véritable travail pour l’amélioration du cadre juridique et du système de santé pour tous. » Pour appuyer ses arguments dans son plaidoyer dans la sphère politique, le CAEC, explique encore son président, reprendra les grandes lignes des recommandations du position paper. Il s’agit : i. de la simplification du processus de changement de nom pour les personnes transgenres ;  ii. de la reconnaissance légale de l’identité de genre et la possibilité de changer de genre dans les documents d’identification ; iii. de l’amélioration de la protection légale contre la discrimination, dont des mesures contre la discrimination au travail, dans le logement, et dans l’accès aux services publics et aux soins de santé et ; iv) de la création d’espaces sûrs et inclusifs, cela inclut la mise en œuvre de politiques anti-discrimination.

« En mettant en œuvre ces mesures, nous pouvons non seulement améliorer la vie quotidienne des personnes transgenres, mais aussi promouvoir une société plus juste et équitable pour tous », soutient Dimitry Ah-Yu.

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