Turquie : Sur les pas de Marie, Jean et Paul

Le bulbul Dag, Koressos, le Mont Rossignol. Est déjà loin Istanbul, ville parcourue et admirée en long et en large.
Je suis à huit kilomètres de Selcuk (Ephèse).

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Paula Lew Fai

Je viens de ce « Château de Coton », en turc Pamukalle. Éblouie, je le suis par cette formation géologique étonnante qui tient son origine des 17 sources chaudes, saturées de sels minéraux et de gaz carbonique ; ce dernier, se libérant dans l’air, fait précipiter le carbonate de calcium qui se dépose et durcit ensuite lors de l’évaporation de l’eau. Toute la colline en terrasses de travertin est recouverte d’une couche blanche, immaculée. Au milieu d’un terrain aride. Des cascades gelées brillent sous le soleil. C’est une féerie. Et, sur cette splendeur, seul sur le flanc blanc de la colline, un sarcophage de l’époque romaine. Une solitude infinie. Des notes de requiem flottent sur cette blancheur, s’attardent sur le sarcophage et consolent les morts. Le pouvoir absolu de Rome et aujourd’hui, une nécropole des sarcophages. Dans cette intemporalité, Hiérapolis, avec ses thermes tout près, incarne le culte, les soins apportés au corps pour conjurer la déchéance physique. Étrange sensation devant la saisissante beauté de la nature et la fragilité des mondes.
Et maintenant, me voici devant une modeste maison sur ce Mont Rossignol. C’est la Meryemana Evi, la maison de la Mère Marie. Un silence complet. Un silence habité. Rien ne peut traduire ce sentiment de surnaturel qui, dès l’allée menant à la maison, imprègne les lieux. Même les oiseaux se taisent. Reviennent ces mots de Hans Urs von Balthasar, théologien (1).

« Nous oublions … mais la mémoire de Marie est aussi précise aujourd’hui qu’au premier jour … La foi est un don de toute la personne. Marie ayant toujours été entièrement disponible, sa mémoire était la page immaculée sur laquelle l’Esprit-Saint allait graver le Verbe de Dieu … »

L’Église de la Vierge Marie à Ephèse

Mystère du Silence et de l’Écoute. De l’échange entre cœurs silencieux. Et l’Esprit grave le Verbe de Dieu.

Une seule pièce pour se recueillir dans cette petite maison ; peu de lumière sinon celle intérieure de celle qui fut toujours là, en adoration devant le mystère d’une incarnation. Une ferveur toute simple et aimante traverse les siècles et se transmet, sans aucune intervention de l’intellect. Une autre dimension de l’émerveillement. Celui proche de l’enfance.

« Mon âme exalte le Seigneur,
exulte mon esprit en Dieu, mon Sauveur !
Il s’est penché sur son humble servante »

Je comprends un peu mieux que Marie soit l’archétype du moine, le modèle de la sainteté chrétienne, le « lieu » de l’accomplissement du mystère de l’Incarnation de Dieu et de la divinisation de l’homme. Et qu’elle occupe une place privilégiée, exclusive sur la péninsule monastique du Mont Athos. C’est aussi le « Panaya Kapi », la « Porte de la Toute Sainte » qui étend au monde sa mission maternelle de miséricorde, de paix et d’unité.

La bibliothèque de Celsus était jadis la troisième plus grande après celles d’Alexandrie et de Pergame

La Maison de la Mère Marie à Ephèse fut découverte à la suite des visions d’Anne-Catherine Emmerick, mystique stigmatisée, décédée en 1824. En 1880, un prêtre français, l’abbé Gouyet, se rendit à Ephèse pour constater sur place la véracité des détails donnés et pour découvrir l’emplacement de la maisonnette d’Ephèse. Après quelques recherches, il parvint en un lieu où se dressait une ruine et quand il demanda le nom de l’endroit, on lui répondit : Panaya Kapi , la « Porte de la Toute Sainte ». Le Pape Paul VI s’est rendu en pèlerinage à la Maison de Marie le 26 juillet 1967. Le Pape Jean Paul II s’y arrêta le 30 novembre 1979 et lors de son voyage en Turquie, le Pape Benoît XVI a célébré la Messe dans ce sanctuaire.
L’importance de Marie se révèle aussi dans l’église de la Vierge Marie d’Ephèse, principale église et cathédrale de la métropole d’Ephèse pendant l’Antiquité tardive. L’église est identifiée avec certitude à l’église de Marie dans laquelle se déroulèrent les débats des deux conciles de 431 et 449, grâce à une inscription de l’évêque Hypatius dans le narthex. C’est en cette église que trois importants conciles eurent lieu (431, 449 et 475). À l’inverse des conciles de Nicée (325) et de Constantinople (381) dont les questions théologiques portaient principalement sur l’unicité de Dieu, le concile d’Ephèse marque un tournant dans le dogme en récusant l’arianisme et en définissant l’union hypostatique des deux natures, humaine et divine, du Christ. Le concile d’Ephèse marque ainsi l’explicitation et la proclamation du Christ homme et Dieu. Il fixe également le dogme de la Vierge Marie Théotokos (« Mère de Dieu »).

La Meryemana Evi, la maison de la Mère Marie, sur le Mont Rossignol

Dans l’église en ruines, ce grand silence, toujours habité. Les colonnades, la grande vasque et les baptistères, par leur dépouillement élèvent le cœur vers le passé. Ce n’est plus le silence mystique, c’est celui qui réunit une communauté de croyants autour des Pères de l’Église, dont les pères cappadociens, Basile de Césarée, Grégoire de Nazianze, Grégoire de Nysse.

De Meryemana Evi, on descend à la cité antique d’Ephèse, connue dans le monde romain pour abriter l’une des Sept Merveilles du monde antique, le temple d’Artémis, déesse de la fécondité, temple quatre fois plus grand que le Parthénon d’Athènes, servant aussi de banque centrale et de sanctuaire pour ceux qu’on accusait de crimes. Il y a aussi l’agora, l’odéon, le temple d’Hadrien, la place de Domitien… des trésors archéologiques inoubliables. Et parmi, la magnifique Bibliothèque Celsus, construite par un fils, gouverneur de la ville, pour son père Celsus, gouverneur avant lui. Abritant pas moins de 12 000 rouleaux, conservés dans des placards en bois encastrés dans les murs et détruits par un incendie, elle occupait le troisième rang des plus grandes bibliothèques du monde, derrière celles d’Alexandrie et de Pergame. Les inscriptions sur les socles des statues sont la Sagesse (sophia), la Science (épistémè), la Pensée (ennoia) et la Vertu (arété) et témoignaient des qualités attribuées à Celsus.

Sur les marches, aux pieds de ces statues, mes pensées parcourent le temps et l’espace, se posent sur toutes ces bibliothèques que l’homme, dans sa soif de connaissance, a érigées de par le monde et sur ces vertus si rares aujourd’hui.

La Tombe de St-Jean au coeur du Martyrium

En fin de visite, le grand amphithéâtre d’Ephèse de 24,000 places. L’émotion n’est plus uniquement d’ordre intellectuel et esthétique. Ce fut le site de l’émeute, orchestrée par un orfèvre Démétrius qui précipita le départ de Paul d’Ephèse. Paul séjourna pendant trois ans dans la ville et prêchait surtout à l’occasion des fêtes de mai durant lesquelles le personnel au service du temple d’Artémis, prêtre, eunuques, magiciens, comédiens, joueurs de flûte, diseurs de bonne aventure, astrologues, artisans locaux gagnaient leur vie. Dans l’amphithéâtre, les clameurs de la foule s’élèvent. Paul, habitué à être contesté par les Juifs des synagogues, persiste à vouloir prendre la parole. Ses disciples, par mesure de sécurité parviennent à le convaincre de passer en Cappadoce. Cette région pétrie d’histoire des premiers chrétiens et de leurs cités souterraines (par ex. Derinkulu) à la période des persécutions, de la vallée des moines à Pasabag, d’églises sculptées dans la roche de Goreme, de fresques si émouvantes. Nous sentons en Cappadoce une église, tournée davantage vers l’extérieur, vers la recherche doctrinale tout en privilégiant le silence intérieur. C’est une progression de l’intelligence de la foi dans l’Église primitive. En regardant les 150 montgolfières prendre leur départ à l’aube, nous sommes dans un temps autre : le présent et le passé se déroulent en même temps, évoquant l’Esprit qui plane sur les eaux.

Esprit présent à la basilique Saint-Jean d’Ephèse. Elle est l’une des principales églises de la ville romaine tardive et byzantine d’Ephèse, construite sur la tombe attribuée à l’évangéliste Jean sur la colline d’Ayasoluk, dans les faubourgs nord de la ville. Elle est le sanctuaire le plus renommé d’Ephèse et garde son importance jusqu’à la prise de la ville par les Seldjoukides au XIVe siècle.

Une belle journée prendra fin bientôt et il n’y a personne. Sur cette tombe de St-Jean au milieu du martyrium, c’est le silence, le même que celui à Meryemana Evi. Le silence effacé, contemplatif de celui qui repose sur la poitrine du Christ. Il est aussi celui de l’hébreu Yôhânân qui signifie « Yahweh fait grâce ». Le Verbe fait Grâce.
Face aux persécutions des chrétiens, vers 42 (2), Jean et Marie arrivent à Ephèse, patrie d’Artémis, carrefour d’idées dominé par l’école ionienne et les idées du philosophe Héraclite (576-480 av. J-C) (3). Loin de la ville, sur le Mont Rossignol, Jean prendra longtemps soin de Marie (4) mais c’est auprès d’elle, en silence et dans l’humilité la plus totale, que l’apôtre devient disciple du cœur silencieux de Marie. Son évangile ainsi que l’Apocalypse sont écrits à Ephèse et sur l’île de Patmos, non loin d’Ephèse. Les Sept Églises de l’apocalypse sont toutes dans la région d’Ephèse.

« A sa vue, je tombai à ses pieds, comme mort ; mais il posa sur moi sa main droite en disant « Ne crains pas, je suis le Premier et le Dernier, le Vivant … Ecris donc ce que tu as vu : le présent et ce qui doit arriver plus tard … » (Apocalypse 1,9-19).

Notes
(1) Hans Urs von Balthasar, Marie pour aujourd’hui, Nouvelle cité, 1988, p.48-49.
(2) Ce fait est corroboré par des textes du IIe et IIIe siècle de plusieurs témoins connus : St Irénée de Lyon, St Polycarpe de Smyrne, Hippolyte de Rome, Eusèbe de Césarée, Clément d’Alexandrie, Origène qui écrivirent quelques décennies après la mort de Saint Jean
(3) Héraclite est le premier des Grecs à parler d’un logos, qui gouverne et juge toutes choses. Mais ce logos n’est point un esprit.
(4) St-Jean est mort à Ephèse vers l’an 100. Le 8 mai, l’Eglise d’Orient célèbre la synaxe en l’honneur des cendres ou de la « Sainte Manne » que produisait le tombeau du Saint Apôtre : chaque 8 mai, le tombeau était recouvert d’une sorte de cendre que les chrétiens du lieu appelaient la « manne », laquelle avait la vertu de guérir les maladies de l’âme et du corps de ceux qui s’en oignaient avec foi.

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