COP26 : quelle vision pour Maurice ?

Dr AVINAASH MUNOHUR
Politologue Président de la Commission Développement Durable du MMM

La COP26, qui se tiendra au mois de novembre de cette année, sera l’occasion d’un bilan critique sur les engagements pris lors des accords de la COP21 à Paris en 2016. Cette dernière – à la suite du protocole de Kyoto signé en 1997 et entré en vigueur en 2005 – avait représenté un grand pas en avant pour la lutte contre le réchauffement climatique avec l’objectif de limiter le réchauffement global en dessous du seuil de +2 degrés par rapport aux niveaux préindustriels. Cinq ans plus tard, bon nombre d’experts déclarent aujourd’hui que la COP21 n’était pas allée assez loin dans les objectifs et dans l’application des recommandations par les pays signataires, et la COP26 devrait proposer des objectifs et des ambitions renouvelées – surtout à la lumière du sixième rapport du GIEC publié en août 2021. Ce dernier, qui fait suite au rapport de 2014, tire la sonnette d’alarme sur l’accélération du réchauffement global et la généralisation des disruptions environnementales – qui produisent à leur tour des disruptions sociales, économiques, sécuritaires et sanitaires d’envergure.

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Le ministère de l’Environnement, de la gestion des déchets solides et du changement climatique a déclaré que l’objectif premier du gouvernement était la réduction de 40% de nos émissions de gaz à effet de serre. Mais au regard des niveaux d’émissions de gaz à effet de serre dans le monde, nous avons de quoi nous poser des questions.

En effet, Maurice produit 0,01% des gaz à effet de serre à l’échelle mondiale, alors même qu’elle se trouve placée à la 16ème place des pays les plus exposés aux risques du réchauffement climatique par l’UNEP. Ce rapport asymétrique entre d’un côté le faible taux de pollution et, de l’autre, le fort taux d’exposition aux risques est entièrement constitutif de ce que le rapport du GIEC nomme une « inégalité climatique mondiale » entre les pays les plus polluants et les pays les plus exposés. Et cette inégalité mondiale appelle forcément au développement d’approches différentes.

‘Croyance économique’ et décroissance carbonique

Il est bien évidemment absolument impératif de réduire les émissions de gaz à effet de serre, ce qui implique que nous sommes face à l’impératif de réduire la consommation mondiale en énergies fossiles. Mais cet impératif n’a pas la même importance pour tous les pays ou fédération de pays. Par exemple, les États-Unis, la Chine, l’Union européenne, la Russie et l’Inde – qui produisent à eux cinq plus de 55% des émissions de gaz à effet de serre – se doivent de drastiquement réduire leur dépendance aux énergies fossiles, ce qui implique de trouver des moyens pour réconcilier la ‘croyance économique’ avec la décroissance carbonique. Mais pour des pays comme Maurice, les enjeux sont ailleurs : il s’agit bien plutôt pour nous d’acquérir les capacités et les moyens de lutter contre des disruptions liées au changement climatique, ce qui implique de revoir nos priorités nationales en matière de développement et de stratégies de gouvernance.

En effet, il devient absolument urgent de définir une typologie et une hiérarchie des vulnérabilités de notre pays afin de pouvoir définir un master plan dans les meilleurs délais.

Nous savons, par exemple, que nous ferons face à deux problèmes majeurs d’ici 2040 : la montée des océans et l’insécurité alimentaire. De ce fait, il est absolument essentiel pour nous de commencer une conversion agricole qui entame le recul progressif et réfléchi de la monoculture sucrière afin d’augmenter notre production en fruits et légumes. Ceci implique de revoir la manière même dont notre agriculture fonctionne, la manière dont nos sols doivent se régénérer ou encore la nature des cultures à utiliser afin d’optimiser la production tout en conservant l’objectif de réductions importantes en utilisation de pesticides. La montée des océans nous pousse, elle, à développer le plus rapidement possible une feuille de route pour la conversion de notre industrie touristique vers un tourisme éco-responsable, en liant les acteurs de l’hôtellerie avec les parties prenantes engagées dans la conservation de nos lagons, de nos plages et de nos littoraux (communautés de pêcheurs, ONG, institutions publiques, etc).

Il s’agit là de deux exemples importants, et il y en a bien d’autres.

Lutter contre le changement climatique implique directement de réduire notre dépendance des énergies fossiles, qui sont la cause première des émissions de gaz à effet de serre. Mais lutter contre le réchauffement climatique se doit également de passer par une refondation du modèle économique ultra-libéral de la mondialisation, puisqu’il y a une corrélation directe entre consommation en énergies fossiles et croissance économique. Ceci doit bien évidemment s’effectuer à l’échelle du monde, mais la position délicate de notre pays nous appelle également à faire évoluer notre modèle de développement.

Diplomatie climatique

Notre fort taux d’exposition fait que la multiplication des disruptions, la destruction des écosystèmes et notre manque de préparation actuel auront des impacts directs sur notre société et sur notre économie. Et l’inégalité climatique mondiale se traduira par un accroissement des inégalités internes : inégalités sociales, inégalités économiques, inégalités de genre, inégalité des chances, ou encore les inégalités d’accès à une alimentation saine, à l’eau potable, à un service de santé moderne, ou encore à une éducation de qualité.

Il suffit d’ailleurs d’observer ce qui se passe à Mahébourg depuis la marée noire pour se rendre compte qu’un événement qui vient exposer notre faiblesse à répondre aux désastres peut avoir des conséquences sociales et économiques dramatiques sur les communautés dont la subsistance dépend des écosystèmes impactés.

Il aurait ainsi été souhaitable que la COP26 puisse servir de plateforme aux pays les plus vulnérables afin de pousser un agenda différent : celui de la transformation de nos modèles de développement et de la responsabilisation des grands pollueurs envers les États vulnérables. La COP21 avait déjà reconnu un principe de responsabilité, mais il faut aller beaucoup plus loin. Il y a là un espace de revendication extraordinaire que nos gouvernants ont du mal à comprendre et à saisir : celui du développement d’une diplomatie climatique mondiale dont l’objectif serait de construire un bloc capable de négocier avec les grands pollueurs afin que ces derniers nous aident à construire nos capacités de résilience. Et il est du devoir de Maurice d’occuper une place centrale dans le développement de cette diplomatie climatique.

Ainsi, développer ces capacités diplomatiques aurait dû être au sommet de l’agenda de notre gouvernement pour la COP26, mais il faudrait pour cela qu’il puisse en avoir la vision.

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